Depuis presque une trentaine d’années, au choix d’un vin comme accompagnement d’un plat, je préfère choisir en premier lieu le vin, car chaque bouteille contient un message qu’il convient de décrypter. Le vin nous « explique » ce qu’il est et nous « dit » ce qu’il désire. Ce dialogue entre le vin et le plat, l’alliance des accords gustatifs, que je souhaite empreints de courtoisie, seront appréciés par chacun selon ses connaissances, sa culture ou son imaginaire.

Au lieu d’opposer Bacchus et Comus comme deux mondes indépendants, voire comme deux disciplines autonomes, j’ai choisi de les associer dans une même démarche au service d’une nouvelle convivialité. Pour ce faire, il me fallait aller au terme de la démarche engagée depuis 1992, et véritablement marquer, non la prééminence du liquide sur le solide, mais simplement respecter l’antériorité du vin. Le vigneron fait le vin, au cuisinier d’adapter ses plats à chaque bouteille. Cette nouvelle carte d’alliances, amène à faire une cuisine de courtoisie (amour courtois).

Il ne s’agit pas, comme le fit Raymond Brunet dans les années 30, de dresser la nomenclature impossible des « vins qui s’harmonisent avec les 4.500 préparations culinaires les plus courantes ». Ma démarche est à la fois plus modeste et plus ambitieuse, car elle s’attache à l’essence même de la construction aromatique d’un vin et de ses correspondances gustatives, de densité et de forme. Car chaque vin possède son histoire aromatique ainsi qu’un goût d’époque. Et la nôtre est riche de bouteilles sollicitant la compétence d’un chef au service du dégustateur.

Ce que nous faisons avec les accords est le reflet d’une sensibilité, d’un imaginaire, reflet de nos connaissances. Nos mariages ne sont pas livrés à l’arbitraire des acteurs. Par la compétence des experts qui nous ont entouré durant plus de quinze années de recherche, nous espérons y avoir apporté une certaine « légalité » et un certain degré de vérité, tout en sachant que nous ne parviendrons jamais à une certitude complète. La nouvelle présentation de ma carte est le fruit d’un véritable concept culinaire axé sur l’art du combinatoire des goûts et confirme l’intérêt d’un parcours initiatique gastronomique reposant sur l’expression entre le liquide et le sec. C’est pour moi l’univers culinaire de demain.

Je ne peux pas envisager ou proposer à la dégustation un met dont la conception, l’élaboration, la cuisson, reposent sur des paramètres d’une grande précision, sans prendre la précaution de veiller à la concordance des effluves qui l’accompagneront afin de valoriser au maximum « la croisée des goûts ». Si un vin est heureux sur un plat, il en deviendra le faire-valoir et réciproquement. Il révélera alors la profondeur du plat tout en libérant toutes les subtilités de son terroir.

QUELQUES GRANDS ACORDS DE LUCAS CARTON

Champagne Cuvée Dom Pérignon vintage 85
Ma polenta aux truffes noires
Date de création : 2000

Pour cette polenta crémeuse et délicate structurée par l’apport de truffes noires, version très savoureuse et sensuelle, Dom Pérignon œnothèque 85, dégorgé en 99. Notes de truffes, de mousse, d’amande, soutenu par une magnifique fraîcheur.

L’idée force de l’accord: Quel accord sensuel ! L’onctuosité de la polenta et la finesse du Champagne s’enroulent pour terminer sur un feu d’artifice de saveurs.

Accord de texture et de chair: Les grains de la polenta et les bulles du Dom Pérignon ne font plus qu’un.

Manzanilla « El Rocio » – Gonzales Byass
Belons « 000 » rôties dans leur coquille lutée, beurre blanc aux noisettes, toast au Jabugo « Bellota-Bellota »
Date de création : 1995

De rares Belons limite « pied de cheval », simplement rôties dans leur coquille lutée afin de conserver et de développer leur magnifique goût de noisette. Quelques toasts croustillants de Jabugo « Bellota-Bellota », version tapas, pour cette Manzanilla fraîchement « tirée du fût ». Très élégante, marquée par l’iode et ses arômes de noisette, cette Manzanilla nous transporte vers le sud de l’Espagne, en Andalousie.

L’idée force de l’accord: l’expression type de l’accord dit « en croix »

Accord de texture et de chair: l’acidité et la fraîcheur de cette Manzanilla vient transpercer le gras de l’huître afin de s’harmoniser et de décupler les saveurs de cet accord.

Meursault 1997 – Coche Dury
Langoustines royales au vermicelle croquant, crème de coquillages, noisettes torréfiées « à manger avec les doigts »
Date de création : 2000

L’idée originelle de ce plat était de préparer des langoustines sans avoir le côté ennuyeux du « décorticage » mais de prendre du plaisir de façon immédiate. Construction pour le Meursault de Coche Dury, noisettes torréfiées. En parallèle, même recette pour un Meursault 97 des Comtes Lafon avec, pour modification, des amandes très légèrement torréfiées pour remplacer les noisettes. Zestes de citron et gingembre frais pour relever la crème de coquillages.

L’idée force de l’accord: le vermicelle croquant remplace la carapace de la langoustine. Il apporte du croustillant tout en conservant les saveurs sans les dénaturer.

Accord de texture et de chair: le moelleux de la langoustine avec la chair du Meursault, le vermicelle pour les notes boisées et torréfiées du vin.

Puligny Montrachet 1969, 1er Cru – Domaine Leroy
Foie gras de canard et cèpes cuits sur un tapis de mousse, en papillote
Date de création : 2003

Chardonnay de très grande finesse aux arômes de mousse, sous-bois, champignon, relevé d’une très belle acidité. L’équilibre, l’élégance et sa grande maturité, nous ont fait imaginer ce foie gras rôti, cuit en papillote sur de la mousse.

L’idée force de l’accord: l’acidité et sa finesse transperce le gras du foie pour en laisser exhaler toutes les saveurs.

Jurançon moelleux. Domaine Cauhapé 1995 – H. Ramonteu
Foie gras de canard des Landes au chou, à la vapeur
Date de création : avant 1985

En 1969, une histoire de « Recherche absolue » me lie au foie gras. Je découvre alors que le chou est l’élément naturel qui s’associe le mieux au foie gras qui rend du « gras », « gras » qui  sera ensuite absorbé par le choux. Je décide donc de le cuire à la vapeur et de l’envelopper de choux, à ma façon.

Affirmant que le goût c’est la texture du produit, que c’est cela qui donne la forme, je décide de donner au plat un « toucher en bouche » unique, avec gros sel et mignonnette de poivre. De là est née une recette merveilleuse qui s’inscrit comme l’une des valeurs sûres de la carte, très recherchée. Ce plat est aujourd’hui le résultat de la plus pure expression d’un savoir et non d’un hasard.

L’idée force de l’accord: un Jurançon plus léger que le Sauternes, qui restitue idéalement la légèreté du foie gras de canard, son côté sauvage et « animal ». On obtient alors une rondeur, un moelleux et une puissance aromatique extrême. Le gras du foie gras est alors équilibré par l’acidité du Jurançon que l’on ne sent pas mais qui unifie l’ensemble

Meursault 1993 – Domaine des Comtes Lafon
Homard de Bretagne à la vanille « Bourbon de Madagascar »
Date de création : 1978

Un voyage au pays du parfum fut à l’origine de cette création. En cueillant un jour une fleur de vanille au Sri Lanka, je l’associe instantanément avec le caractère sucré du homard breton lorsqu’il est à la bonne cuisson. L’idée fut alors de faire un plat salé avec de la vanille, et la résultante, une recette sublime où les saveurs parlent au cœur et aux papilles.

L’idée force de l’accord: un accord sublimé par la présence d’un Meursault naturellement vanillé. Un accord authentique et naturel, comme une évidence.

Savennières Clos de la Coulée de Serrant 1988 – N. Joly
Saumon sauvage d’Ecosse  l’aneth cuit dans l’argile
Date de création : avant 1985

Lors de la lecture d’un livre racontant l’histoire des Vikings, je découvris comment, lors des moments de pêche, ces derniers conservaient puis cuisaient au feu de bois les saumons entourés d’argile récupérée au bord des rivières. La recette du Saumon Sauvage à l’Argile reconstruit cette tradition légendaire en proposant la découverte d’un plat simple et extrêmement savoureux, aux délicieuses senteurs authentiques.

L’idée force de l’accord: vin blanc d’une extraordinaire minéralité soutenue par une forte acidité. Le « grain » et la finesse de ce grand « chenin », aux saveurs très aromatiques, viennent caresser le saumon avec beaucoup de délicatesse. (Les gitans perpétuent cette tradition encore aujourd’hui pour faire cuire les hérissons).

En Chine, il existe également « le poulet des mendiants », cuit dans l’argile et permettant, après sa cuisson, de « déplumer » rapidement le poulet).

Banyuls 1985 – Cave de l’Etoile pour le suprême
Banyuls Solera “ Hors d’âge ” – A. Parcé pour la cuisse en salade
Canard Apicius rôti au miel et aux épices
“ Plat de l’époque romaine ”, 2000 ans
Date de création : avant 1980

Une histoire, vieille de 2000 ans, qui fut « réveillée » lorsque deux amis (Jean-François Revel et Claude Imbert) me demandèrent d’imaginer un repas à thématique « Romaine ». Décidant de « revisiter » cette recette Apicius en y apportant mes modifications personnelles, je travaille les garnitures de ce plat dans l’esprit de l’époque. Ainsi, la purée de dattes à la menthe et au gingembre, autant que le coing, la pomme et le safran, sont sublimés dans cette recette divine. (« Oxyporion » était le nom donné aux ingrédients ayant des propriétés facilitant la digestion). Une recette portée à la perfection, lorsque le Chef la modifie imperceptiblement pour toujours mieux l’accorder avec les années de récoltes des Banyuls proposés.

L’idée force de l’accord: une Alliance parfaite, car la mâche du mets et du vin est identique. La présence du Banyuls propose un mariage idéal avec les épices. Deux expressions de texture différentes : l’une moelleuse et délicate, « le magret » pour le Banyuls 85 de la Cave de l’Etoile ; l’autre plus dense et plus ferme,  « la cuisse » pour la Solera du Domaine Parcé.

Tokaji 5 Puttonyos 1993 – Royal Tokaji Wine Company
Monseigneur le Coing « nu »
Date de création : 1995

Un plat créé autour du vin, par amour pour le Tokaji, vin de Seigneur et nécessitant pour sa récolte tout le génie de l’homme. Peu enclin pourtant à faire les louanges des vins non français, j’apprécie à sa juste valeur les caractéristiques extraordinaires de ce vin idéal et unique dans sa faculté à savoir accompagner les fruits, et particulièrement le coing. J’essayai donc de parvenir à trouver une association idéale à ce vin de légende, tout en proposant le traitement le plus subtil d’un fruit particulier.

L’idée force en termes de perception du goût: la dégustation d’un fruit complet à la texture fine, goûteux et moelleux, correspondant à la texture du vin.

L’idée force de l’accord: une complémentarité idéale, l’accord total du coing et du Tokaji.

Rivesaltes « Aimé Cazes » 1975 – Domaine Cazes
Meringue à la menthe poivrée et sa glace à la réglisse
Date de création : 1995

La fraîcheur de la menthe poivrée décuple les arômes de la réglisse. Un rafraîchissement avec une palette aromatique très complexe.

L’idée force de l’accord: le Rivesaltes Aimé Cazes 75 est d’une finesse extraordinaire. Sa palette aromatique et sa fraîcheur sont de même structure que ce dessert. L’ensemble s’enroule pour laisser une finale fraîche et très parfumée plus prononcée encore que les deux séparés.

LES PLUS BEAUX ACCORDS VINS FROMAGES

Briquette de l’Ardèche                       Saint Joseph blanc 2000 –
avec son pain aux raisins blonds        B. Gripa

Comté (48 mois)                                Côtes du Jura 1990 –
avec son pain aux noix                      Domaine Rolet

Munster avec son pain                      Gewurztraminer 1992, Cuvée
au cumin                                           Laurence – Domaine Faller

Roquefort Cave des Baragnaudes     Château d’Yquem 1987
avec son pain Poilâne toasté
(tranché épais sans croûte)

Fourme d’Ambert avec sa brioche    Porto Graham’s Vintage 1980
épicée aux cerises noires

Maroilles « Crémeux à Cœur »          Krug – Collection 1964
avec son pain Poilâne toasté
(tranché épais sans croûte)

Vacherin aux truffes noires              Corton Charlemagne 1990 –
avec son pain Poilâne toasté            Domaine Bonneau du Martray
(tranché épais sans croûte)

Saint Marcellin « crémeux              Muscat de Beaume de Venise
à coeur»                                          1990 – Domaine de Durban