On ne discutera pas en Europe l’antériorité de notre chère vigne sur la fève de cacao. Celle-là a été célébrée dès les temps les plus anciens, celle-ci a pris son temps pour être importée, a été ensuite très vite acceptée. En revanche son association avec le vin a été lente. Le chocolat figure rarement sur les menus et on trouve encore moins de trace de son mariage avec le vin. Chocolat : oui. Vin : oui. On n’a pas de date sur une première. A l’Académie Internationale, nous savons que notre cher André Parcé a oeuvré pour que chocolat et Banyuls aillent de pair, quand ce ne sont pas d’autres Maury. Le chocolat devenait un compagnon timide mais toléré par les Vins Doux Naturels et les Portos.

On peut citer comme des propagateurs récents de ces associations les artisans chocolatiers belges. Jean Galler figure parmi ces défenseurs. Est-ce être iconoclaste qu’associer ses chocolats à de grands vins de Bordeaux ? Je dînais il y a un an chez un grand viticulteur bordelais, nous terminions le repas avec quatre de ses millésimes. J’avais apporté une boîte de chocolats de Galler et ai proposé, sans idée préconçue d’associer le chocolat et son vin, à majorité de cépage cabernet sauvignon. Pourquoi ne pas tenter l’expérience, dût-elle s’avérer négative ? Avant de passer à l’épreuve pratique, j’ai proposé d’éliminer deux des verres, nettement trop tanniques. On allait essayer et à la surprise générale des participants, un des vins recueillit non seulement l’unanimité mais aussi l’adhésion de participants qui avaient avoué leur réticence.

Autre château le lendemain soir. Autres réserves exprimées, autre accord pour une expérience dans des conditions similaires. A nouveau un millésime convainquit des sceptiques. A ma grande surprise ce n’était pas le même que celui de la veille, mais l’idée avait germé et fleuri. Il me restait à proposer à notre chancelier de vous mettre à l’épreuve. D’abord en obtenant l’accord de Jean Galler, puis celui de notre collègue Jean-Michel Cazes, propriétaire d’un Cru Bourgeois Exceptionnel, les Ormes de Pez en appellation Saint-Estèphe. Première étape, l’envoi de deux chocolats à pourcentage de cacao différents à Jean- Michel Cazes. Notre idée première était de lui laisser le choix du chocolat que nous allions vous présenter et de l’associer à trois millésimes, afin de limiter l’expérience à un seul paramètre de chocolat.

Je ne vous dirai pas ce que Jean-Michel et son équipe ont préféré. Notre ami a conclu un mariage forcé : « Il nous a semblé que le 2004 se goûtait le mieux sur le 85%, suivi du 2001, qui apparaissait plus mince et possédant moins de fruit. Le 2003 paraissait moins à son aise, moins dense et un peu plus acide. Dans tous les cas de figure, les dégustateurs ont préféré le côté rigoureux, voire même un peu austère du 85% par rapport au 70%. La haute teneur en cacao semble mieux s’accommoder des tanins puissants du volume et du fruit des vins jeunes. Même la couleur plus dense du 85% paraît jouer un rôle dans la perception des goûts. »

J’ai réuni un petit groupe de dégustateurs et en plus des Ormes de Pez, j’avais ajouté trois autres crus bourgeois de la même appellation. Comme les avis divergent sur les crus, je ne pense pas vous influencer en vous faisant part de certains commentaires recueillis sur ces crus, à l’exception des Ormes de Pez, pour lequel vous ferez, j’espère, quelques remarques et commentaires à votre tour. Pour le Château Clauzet, dégusté sur les 2001 et 2004, on s’accordait, avant d’aborder le chocolat 85%, sur l’idée que ses tanins croquants pourraient trouver des affinités avec les saveurs du chocolat, ce qui ne serait pas le cas pour les tanins suaves du 2001. Or, chocolat en bouche, on conclut que l’on préfère le 2001 car la douceur de ses tanins réduit l’amertume du chocolat, lequel ne perd rien de sa personnalité. On en arrivait à penser que l’agressivité tannique du 2004 augmente celle du chocolat.

Jean Galler estimait qu’en place du 85%, un chocolat 70% apporterait une douceur supplémentaire au vin. Château de Pez On supposait qu’entre le 2001, le 2003 et le 2004, l’accord serait meilleur avec le plus vieux, le 2001. Un commentaire sur le 2003 aux tanins d’attaque souples et dont la douceur et la richesse en alcool font comprendre certaines affinités du chocolat avec les vins mutés. Quant au 2004, ses arêtes tanniques semblaient faire un pied de nez au chocolat, chacun faisant cavalier seul. Il en allait de même parmi nos avis, assez divergents quant à l’accord préféré. Notre grand chef présent, Freddy Van de Casserie, estimait que le chocolat requérait une acidité supplémentaire, donc celle conférée par le 2004. Jean Galler parlait de découverte du jour à propos de ce commentaire. Lui plaidait pour le 2003, pour sa douceur, le chocolat faisant ressortir l’acidité et mettant l’amertume en valeur.

La dégustation du Haut-Marbuzet allait lui donner raison, selon la dégustation qui fut faite. Comme l’a dit quelqu’un, le 2003 « était déjà tout chocolat » et s’attirait la conclusion que les vins aux tanins les plus agréables sont ceux qui s’associent le mieux au chocolat. On vous sert à présent Les Ormes de Pez, le 2004 dans le verre de gauche, le 2003 au milieu, le 2001 à droite. Ce n’est pas vous influencer que de dire que 2004 a les saveurs d’un vin jeune, puissant et d’une acidité présente, d’un 2003 de soleil, de chaleur, avec moelleux et rondeurs, plus une fine touche d’amertume, d’un 2001 puissant avec une fine touche végétale.

Avec le chocolat 85%

2001 : chacun parle à tour de rôle, mais il n’y a pas de dialogue

2003 : ni union, ni antagonisme

2004 : curieusement, on estime que le chocolat adoucit un peu le vin, à moins que ce ne soit l’inverse, mais il semble qu’il faille donner un peu de temps à chacun.

A l’opposé du choix de Jean-Michel Cazes, nous avons également essayé les Ormes de Pez avec un chocolat à 70% de cacao, du Sao Tomé, du Nigéria. Car selon Jean Galler, il répond plus à l’idée que l’on se fait d’un chocolat, il est plus accessible et sur le vin, il remplit sa fonction d’exhausteur. Cette dégustation vous est également proposée. Ici aussi, vos avis vont primer.

2004 : paraît plus suave, plus rond, il trouve un accord de plaisance et de complémentarité

2003 : aux tanins chocolatés se montre tout en rondeurs. Il gagne au change, avec un léger croquant sur le croustillant de l’autre

2001 : la puissance reste intacte. Pour Jean Galler, le sucre du 70% facilite les accords. A ses yeux, le cacao du chocolat crée quelque chose d’harmonieux sur le 2004. L’amertume du chocolat va rechercher l’acidité masquée du vin et sa chaleur est magnifique.

Pour le 2001, le vin fait ressortir les arômes du chocolat. En définitive, je vous dirai qu’on estime que la dégustation du 70% rend les différences moins abruptes. Ce 70% est plus consensuel, tandis que le 85% plus intellectuel, ce que confirme un autre dégustateur, qui juge que le 85% place la barre plus haut, tandis que le 70% sécurise.

A vous de conclure.

REFLEXIONS post dégustation avec les membres

– Les tanins les plus doux vont le mieux au chocolat

– Le grenache est l’ami du chocolat

Christian Flacelière

Il y a une matière à dégustation que je n’imaginais pas : c’est une véritable dégustation. La longueur du chocolat est plus grande que celle du vin. La texture du chocolat reste plus longtemps. La taille et la forme des tanins du chocolat et du vin sont assez proches, la différence ne se fait pas à l’attaque, le milieu de bouche est plus difficile, tout se joue sur la finale.

Erik Sauter

Il faut savoir si on cherche harmonie ou contraste.

Dominique Lafon

Je suis étonné par le chocolat et le vin, troublé par le goût des deux quand ils sont ensemble, car ils divergent. Je n’ai plus les mêmes perceptions, il n’y a pas d’accord, il n’y a pas d’aide de l’un à l’autre.

Jacques Puisais

Ce n’était pas mon heure, je l’aurais fait en fin de soirée. La dégustation du chocolat, c’est le repos et c’est un exercice important. Du vin, puis du chocolat, un coup l’un, un coup l’autre : cela va. Le chocolat 70% permet d’entrer plus facilement dans la dégustation et le 2003 a fini par donner du plaisir. Le chocolat et le vin sont deux grands acteurs, le goûteur est le metteur en scène et on apprend quelque chose. Le chocolat 70% est plus important, il se prête à la dégustation avec le vin mais il faut accorder beaucoup d’importance à sa température !

Jean-Pierre Perrin

L’Académie Internationale du Vin se devait de marquer son accord pour une expérience devant des hommes d’un niveau culturel assez identique. Quand on les réunit et que l’accord est parfait, il s’impose à tous, le goût n’est alors plus subjectif. Il n’y a pas eu d’accord de référence.

Jo Gryn

Les tanins les plus doux vont le mieux au chocolat, ce qui élimine en quelque sorte le 85%. La dureté du 2004 s’oppose au chocolat 70% et il en va de même, malgré les trois ans de différence, avec le 2003. Je vote donc pour le chocolat 70% avec le vin le plus chocolaté, le 2003. Je pense que l’accord est nettement mieux perçu en fin de repas, même après le café et que le chocolat gagne à être servi chambré, parce qu’il fond plus rapidement dans la bouche : c’est un accord qui ne va pas au chocolat « dur ». On gagne à jouer sur un contraste de température, entre le chocolat chambré et le vin rouge frais. L’expérience a porté sur Les Ormes de Pez, vin à majorité du cépage cabernet sauvignon. Je me demande si une dégustation semblable, avec le seul 70%, les mêmes millésimes, mais un vin de la rive droite, à majorité du cépage merlot, n’améliorerait pas les affinités entre chocolat et vin de Bordeaux.