Genève, 6 Décembre 2002

Tout d’abord, permettez-moi de vous adresser mes salutations cordiales, y compris au nom du Comité italien des vins D.O.C., et mes sincères remerciements pour m’avoir invité à participer à cette rencontre importante, aux côtés d’amis que j’estime beaucoup pour leur prestige et leur engagement en faveur des appellations d’origine des vins de leur pays. Je n’ai guère à ajouter à ce qui a déjà été dit et je ne peux qu’exprimer mon accord total avec les intervenants qui m’ont précédé. Je me limiterai donc à faire quelques réflexions à partir de la situation italienne et suis à votre disposition pour répondre aux questions éventuelles. L’Italie, on le sait, fut définie « Enotria Tellus » par la civilisation grecque et, aujourd’hui encore, malgré la lourde campagne d’extirpation qu’elle a connu ces dix dernières années, elle est, avec près de 800 000 hectares de vigne, l’un des plus grands pays vitivinicoles d’Europe et du monde.

De plus, compte tenu de sa position géographique et de la variété de son orographie, de ses microclimats et de ses cépages autochtones, notre pays produit une gamme extrêmement variée de vins: plus de 2000 types différents. Bien qu’elle soit arrivée en retard, en 1963 seulement, au concept d’A.O.C. (« Appellation d’Origine Contrôlée » en italien) et à en réglementer l’utilisation, l’Italie compte aujourd’hui 326 D.O.C. et 23 D.O.C.G., appellations appartenant toutes deux à la catégorie européenne des VQPRD et correspondant à environ 35% du « Vignoble Italie », auxquelles il faut ajouter 117 I.G.T., ou Indications Géographiques Typiques, qui occupent 30% de ce « vignoble ».

Soit au total plus de 60% de la superficie et près de 50% de la production nationale, même s’il existe des différences dans la classification des productions et dans les contrôles auxquels elles sont soumises. On peut donc affirmer que l’Italie s’est engagée à fond dans la voie de la qualité certifiée par les appellations D.O.C., D.O.C.G. et I.G.T. Un engagement dont ont bénéficié les exportations qui, en 2001, ont atteint 18 millions d’hectolitres, chiffre qui place l’Italie au rang de premier exportateur du monde avec plus de 32% du total des exploitations mondiales. Il est donc indéniable qu’au cours des trente-cinq dernières années, et d’une façon plus marquée ces dix dernières années, le patrimoine vitivinicole italien a pu s’améliorer en matière de qualité et gagner en image et en prestige, y compris au plan international, surtout grâce à la protection de l’appellation d’origine contrôlée.

Etant bien conscient de tout cela, en 1992, le parlement italien a voulu adapter les normes de production et de contrôle des D.O.C. et des I.G.T. en promulguant une nouvelle loi, la loi numéro 164/92 – à laquelle j’ ai eu l’ honneur de collaborer directement – qui les a rendues plus précises et plus rigoureuses; surtout en ce qui concerne la protection des consommateurs ainsi que des producteurs. Ceci a permis de développer chez les consommateurs et les producteurs une prise de conscience, prouvée par les faits et certifiée par les contrôles, en ce qui concerne la « qualité » et la « spécificité » des vins italiens. Des facteurs qui ne sont pas de simples « trouvailles » de marketing mais bien des contenus intrinsèques, rigoureusement contrôlés, répondant à des règles précises de production et vérifiés (tant au niveau chimique et physique qu’au plan organoleptique), avant que les vins ne soient livrés à la consommation.

Nous avons donc tenté de répondre à une question qui nous est souvent posée: Que veulent dire les termes « qualité » et « spécificité » d’un vin D.O.C. et qu’est-ce qu’ils supposent? En répondant à cette question de façon objective et précise, nous nous sommes aperçus qu’en fait nous nous retrouvions à perfectionner un travail de promotion et de mise en valeur des vins D.O.C., en en retraçant l’historique, en en exprimant la culture, en expliquant les rapports étroits qui les unissent au territoire et au professionnalisme des producteurs. En effet – comme l’ont rappelé les autres intervenants -, le concept d’A.O.C. est pratiquement identique dans presque tous les pays vitivinicoles européens; en particulier, dans les pays méditerranéens. La loi italienne elle-même énonce que la « qualité » et la « spécificité » d’un vin D.O.C. dépendent de trois facteurs fondamentaux qui forment ce que l’on appelle le « triangle de la qualité »:

a) Premièrement, la variété du raisin, donc le cépage, et la quantité de production par pied;

b) Deuxièmement, le facteur humain; c’est-à-dire, les méthodes de culture de la vigne et les techniques de production et de conservation du vin;

c) Troisièmement, le facteur climat-sol, soit l’environnement naturel de la zone de production.

Ce sont donc là les trois facteurs qui font l’objet d’une réglementation précise, y compris dans la législation italienne sur les vins D.O.C. et I.G.T., sachant que si les deux premiers, cépage et facteur humain (c’est-à-dire, professionnalisme et techniques de production) peuvent être transposés et reproduits n’importe où dans le monde, le seul à ne pouvoir être ni transposé, ni produit ailleurs est le « territoire » (le facteur climat-sol) qui demeure une exclusivité de la zone de production du vin D.O.C. auquel il confère des caractères spécifiques et typiques. C’est pourquoi, dans la loi italienne, la protection a toujours pour objet le nom géographique qui, selon les cas, peut être accompagné de l’indication d’autres paramètres variétaux ou vinicoles (nom des cépages ou mentions telles que Classico, Superiore, Riserva, Passito, Vinsanloetc.)

Car c’est bien la protection du nom géographique qui garantit aux consommateurs que, pour produire tel ou tel vin, on respecte des règles précises et que ce vin provient entièrement d’un territoire bien déterminé. Ce cadre de certitudes étant assuré, les producteurs peuvent donc investir pour améliorer la qualité et l’image d’un vin dont l’identité ne pourra plus être usurpée par personne et dans lequel le consommateur placera toute sa confiance en sachant que telle ou telle bouteille ne lui réservera aucune surprise désagréable. Il s’agit là du choix fait en toute conscience par l’Italie vitivinicole et dont elle tire, à l’heure actuelle, une grande satisfaction qui nous encourage à poursuivre dans cette voie; en particulier, dans les régions du sud du pays qui ont encore du retard.

Et ceci, en sachant très bien que, même dans le monde « global », le concept d’A.O.C. ne fait pas partie du patrimoine de tous les pays vitivinicoles. Il n’est profondément ancré qu’en Europe où il est réglementé par l’Union Européenne, quoi qu’avec quelques différences et quelques dérogations pour ce qui concerne les pratiques œnologiques, et il ne constitue un patrimoine historique que dans quelques pays seulement. Il y a encore de nombreux pays en dehors de l’Union Européenne qui n’ont jamais adhéré aux conventions internationales de Lisbonne et de Madrid sur la protection des AO.C. et qui, hélas, continuent, aujourd’hui encore, à usurper des noms et à produire des imitations.

Malgré tout, il me semble que le concept de protection des appellations d’origine fait actuellement de gros progrès; au point que, même dans les discussions en cours sur la mise à jour des accords TRIPS dans le cadre de l’OMC, après Doha, on voit se profiler des perspectives positives. D’ailleurs, à ce sujet, ce qui se passe actuellement en Californie semble le confirmer. Avant, on le sait, les productions californiennes faisaient très souvent référence à des productions européennes (Chablis, Burgundy, Sheny, Porto, etc.) alors qu’aujourd’hui les nouvelles productions, les plus importantes au plan de la qualité, font essentiellement appel à la marque et au cépage. Nous n’en sommes pas encore à l’appellation d’origine contrôlée mais il peut s’agir d’un premier pas dans ce sens. C’est dans cette même direction que s’orientent toutes les vitivinicultures des pays hors de l’Union Européenne. Le message variétal a donc pris une valeur non négligeable à l’échelon international mais il ne suffit cependant pas, à lui seul, pour définir la particularité d’un vin (sa tipicità comme nous disons en italien).

Le seul avantage est de dire exactement ce que contient une bouteille étiquetée Chardonnay, Cabernet ou Sauvignon, Mais, étant donné qu’un cépage cultivé dans des sols différents et sous des climats différents donne des vins différents, il est impossible de reconnaître un Cabernet Sauvignon californien d’un autre, produit au Chili, en Espagne, en France ou en Italie. Même si le cépage est un message important, il ne suffit pas à lui seul. Par contre, l’A.O.C. peut fournir toutes les réponses qui permettent de situer les productions dans leur milieu naturel: la zone géographique dont elles proviennent. En effet, il est reconnu et scientifiquement prouvé que l’influence du climat et du sol de la zone d’origine est toujours un facteur caractérisant pour identifier un vin et c’est exactement ce que recherchent aujourd’hui les consommateurs les plus attentifs, culturellement parlant, et les plus avertis, On peut faire le même genre de réflexions en ce qui concerne la « marque ». En effet, on a vu, surtout dans les pays dont la tradition vitivinicole est plus récente, que nombre de producteurs ont tenté d’opposer la « marque » de la maison au concept d’A.O.C., c’est-à-dire qu’en faisant référence à la « marque », certains producteurs ont pensé pouvoir donner aux consommateurs des garanties sur les standards qualitatifs et sur l’image de leur produit.

Il s’agit là aussi, bien sûr, d’un critère qui n’est pas dépourvu d’intérêt. Mais il a immédiatement montré qu’il a des limites car il suppose des investissements publicitaires considérables et incessants dont les résultats sont très limités dans le temps. En Italie, en effet, on a constaté que le concept de « marque » à lui seul ne marche pas. Par exemple, il y a dix ans, on a vu, surtout parmi les noms les plus importants et les plus prestigieux, que certains producteurs pouvant utiliser une A.O.C. on jugé plus intéressant de se présenter sur le marché, surtout en dehors de l’Union Européenne, en misant sur la « marque » et en caractérisant leurs produits avec elle. Ils se sont vite aperçus que ce choix coûtait cher et qu’il n’offrait aucune certitude pour l’avenir et ils ont constaté, qu’au contraire, il était plus utile et plus avantageux pour eux d’en revenir à miser sur les productions bénéficiant de la protection du background culturel d’une A.O.C. Etant donné que la mise en valeur de l’A.O.C. voit la participation de toute la collectivité de la zone concernée, puisqu’il ne s’agit pas seulement du patrimoine des producteurs vitivinicoles mais d’un patrimoine collectif, elle permet également de mieux valoriser la « marque » elle-même et, éventuellement, le message variétal entendu comme typologie de produit.

En effet, la philosophie de l’AO.C. telle qu’elle est conçue en Italie, permet une intégration parfaite de toutes les valeurs: le sol, le climat, la variété du raisin ou la typologie du produit, et la « marque », entendue en termes de mise en valeur de l’histoire, de l’expérience, du professionnalisme et des techniques de production utilisées par les différentes entreprises, mais aussi la salubrité et la spécificité du vin, l’environnement et le paysage rural. Voilà pourquoi, les AO.C. constituent le meilleur système pour mettre en valeur et promouvoir les productions vitivinicoles typiques de qualité sur les marchés globaux. Ici aussi, la confirmation la plus importante nous vient du marché des Etats-Unis d’Amérique où, sous l’effet du mix « variété » plus « marque » qui était en vogue il y a encore quelques années, plusieurs maisons italiennes – comme je l’ai rappelé – ont lancé leurs produits avec des noms fantaisie en misant sur la « marque » et sur le prestige de leur nom et ont beaucoup investi au plan promotionnel en obtenant d’excellents résultats sur le coup.

Eh bien, si on analyse aujourd’hui ce qu’il reste de ces gros efforts financiers, on constate que, pour consolider leurs résultats, ces maisons en sont revenues à privilégier l’A.O.C., aux côtés de la « marque », et non plus les noms fantaisie ou du cépage. On le voit, cette expérience montre bien que nous sommes désormais dans une phase nouvelle et différente sur le plan culturel et de la consommation de vin; une phase dans laquelle même le consommateur américain se fie de moins en moins à la « marque » seule et aux noms fantaisie. Par contre, ce qui marche et ce qui s’ affirme de plus en plus c’est la sécurité offerte par une A.O.C. au sein de laquelle la « marque » de la maison peut être mieux mise ne valeur et se mesurer sur le plan d’une qualité de plus en plus élevée, y compris vis-à-vis des autres producteurs d’une même A.O.C. C’est donc le sigle A.O.C. (ou D.O.C. et surtout D.O.C.G. en Italie) qui, dans l’imaginaire collectif, symbolise désormais la spécificité contrôlée et certifiée et qui est ainsi en mesure de fournir le maximum de garanties, y compris en matière de sécurité alimentaire et de l’environnement. Il s’agit, par conséquent, d’une véritable « valeur ajoutée », y compris dans les actions de marketing des différentes maisons, et pour les vins de toute la zone de production concernée.

La mise en valeur de l’AO.C., telle qu’elle est conçue en Italie – comme je l’ai déjà dit – voit la participation de toute l’aire de production concernée, avec son histoire, son folklore, sa gastronomie, ses paysages et ses villages; en impliquant le tourisme, la culture rurale, les modes de vie et de travail dans les campagnes, comme le confirment les circuits-découverte des « Routes du Vin » (Strade del Vino en italien) qui ont été créés suite à une loi votée spécialement à cet effet par notre parlement. Ce sont autant d’éléments qui contribuent dans leur ensemble à caractériser le lieu de production et à le rendre attrayant, y compris aux touristes les moins avertis mais désireux d’associer le goût d’un vin au souvenir d’un paysage, d’un bourg, d’une spécialité culinaire, d’un restaurant typique ou d’un endroit où ils ont passé un moment agréable. Voici donc que l’aspect culturel en vient à prendre une importance non négligeable dans le concept et dans la caractérisation de l’A.O.C. d’un vin. Il permet, en effet, de mettre dans le récipient idéal qu’est l’A.O.C. tout ce que la zone de production possède de caractéristique; la variété du cépage venant s’ajouter à la « marque » pour conférer à tel ou tel vin le caractère unique qui le distingue des autres ou qui fait qu’on le reconnaît.

C’est justement ce « plus » – et avec cette réflexion je m’apprête à conclure -, c’est cette « valeur ajoutée » représentée aujourd’hui en Italie par les sigles D.O.C., D.O.C.G. et, de plus en plus par les L.G.T., qui permet à certaines productions, qui ont su en tirer partie au mieux, de prendre une position dominante sur les marchés, aussi bien en termes de prix que de demande des produits. Il faut d’ailleurs rappeler qu’en Italie, les maisons qui peuvent se permettre de faire de gros investissements de promotion par elles-mêmes ne sont qu’une minorité, face à un grand nombre de petites, voire de toutes petites, entreprises vitivinicoles qui, malgré leur taille, jouent un rôle essentiel pour garantir la présence de l’homme sur les terres, surtout dans des zones qui, autrement, seraient livrées à toutes sortes de calamités. C’est aussi pourquoi l’engagement collectif des producteurs de toute une zone dans la mise en valeur de leurs vins, telle que le leur permet l’A.O.C., est un facteur fondamental pour le développement mais aussi, et souvent, pour la survie de nombreuses petites entreprises. Et, je le répète, dans le cas spécifique de l’Italie, ceci ne peut absolument pas être négligé.

D’où également l’intérêt fondamental de l’Italie pour que les A.O.C. puissent continuer à se développer en Europe et pour que soit mise en place une protection sans cesse accrue dans le cadre du principe de réciprocité, à l’échelle mondiale. Je pense donc qu’il faut travailler de façon unitaire, afin que dans le monde entier le principe des A.O.C. (D.O.C.) tel qu’il a été conçu dans nos pays, puisse s’affirmer de plus en plus. Un évitant, comme Mr le chancelier l’a dit, que les vins soient «fabriqués plutôt qu’élaborés» et que des techniques œnologiques fondées sur des critères essentiellement écologiques puissent l’emporter sur celles qui se fondent sur des exigences de qualité et d’authenticité gui sont toujours liées au terroir. Au même temps, il faut renverser la tendance actuelle à homogénéiser les installations viticoles et les vins, pour mettre en valeur surtout les cépages autochtones et pour sauvegarder les biodiversités.

Ainsi, la «mondialisation», pour ce qui concerne les vins , ne pourra jamais être identifiée avec la «massification» des productions et des goûts. Elle sera plutôt conçue comme une manière de reconnaître et de mettre en valeur au niveau mondial les qualités typiques et spécifiques de chaque vin. Pour atteindre ce but, il nous faudra évidemment des négociations continues et des accords concrets au niveau de l’Organisation Mondiale du Commerce (WTO). Cela pourrait même n’être pas suffisant, si l’Europe n’engage pas une bataille culturelle rigoureuse et permanente visant à conquérir chaque producteur et les consommateurs potentiels par le principe de A.O.C. (D.O.C.).

Ce principe sera perçu comme un facteur fondamental de la compétition paritaire, qui ne se réalise pas dans le domaine des coûts de production mais bien dans celui de la qualité et de l’authenticité liées au terroir. Je pense que l’Académie Internationale du Vin peut sans aucun doute, grâce à sa longue histoire et aux buts qu’elle s’est donnés et qui ont été confirmés aujourd’hui par son chancelier, Mr Perrin, donner sa contribution précieuse dans cette direction. Cela même avec la création, comme on l’a envisagé, d’une sorte de «Prix Nobel», à assigner à un producteur viticole d’un pays étranger (par rapport à l’Europe) dont l’activité soit caractérisée par la cohérence dans la production de vins de qualité, dans le respect du principe de l’A.O.C. (D.O.C.), tel qu’il a été confirmé aujourd’hui.