La grande côte des blancs, représentée particulièrement par les villages prestigieux que sont Meursault, Puligny, et Chassagne, a été défrichée et mise en valeur par les moines de Citeaux il y a pratiquement 1 000 ans. Le cépage utilisé principalement est le chardonnay, appelé aussi Pinot chardonnay, et dans de plus faibles proportions, le Pinot blanc et le Pinot gris. La grande notoriété internationale des grands blancs de Bourgogne est récente et date des années 1960. Le peu de moyens investis dans la production avant les années fastes ont permis de garder certaines techniques anciennes qui ont encore leurs adeptes aujourd’hui.
D’autres vignerons ont au contraire fait évoluer largement leur façon de travailler et ont investi dans un matériel récent, permettant une approche différente des vinifications. Se côtoient aujourd’hui en Bourgogne des techniques très modernes associées au meilleur de la tradition, ayant été depuis validée par la science oenologique.

Le chardonnay étant un cépage éminemment modelable, ces techniques différentes définissent des styles variant de la grande finesse à une certaine rusticité des vins. L’expression de l’origine, du terroir, devant transparaître dans les vins, il me sembl intéressant de faire un inventaire de ces différentes approches et de les comparer, de la vendange à la mise en bouteille.

LA VENDANGE
La vendange reste majoritairement manuelle dans les crus de Bourgogne, mais la machine fait son apparition sérieuse depuis une dizaine d’années. Les arguments cités par les adeptes des vendanges mécaniques sont : le coût (30% d’une vendange manuelle), la difficulté de recrutement de la main-d’oeuvre, et la souplesse dans le travail et l’organisation de la récolte. La machine impose par contre une série de précautions de protection, lors du transport qui ne sont pas aujourd’hui encore pleinement mises en place : séparation des jus et protection contre l’oxydation, transport inerté des raisins, pressurage adapté à une vendange triturée, séparation des bourbes abondantes liées à ce type de travail. Majoritairement, les vendanges manuelles sont transportées en petites caissettes de 30 kg, jusqu’à des bennes de 2,5 à 3 T de vendange, avec pour soucis de rapporter à la cuverie des vendanges les plus intacts possibles. La tradition prime encore.

Traditionnellement, les chardonnay se vendangeaient tard, avec des équipes réduites et sur un temps relativement long. On avait rarement recours à la chaptalisation, et un certain pourcentage de botrytis était accepté, et même apprécié car il renforçait les teneurs en sucre des moûts. La tendance actuelle est de vendanger à la maturité (le degré minimum étant fixé à 11% potentiel alcool pour les villages, 11,5% pour les 1ers crus, avec enrichissement possible à 2% alcool) tout en surveillant les niveaux d’acidité. Le botrytis est, autant que faire se peut, évité, éventuellement trié, car il entraîne une certaine fragilité des vins à l’oxydation, combinée à une certaine lourdeur marquant les vins et masquant la finesse du terroir. En utilisant des techniques appropriées à la vigne, il est très possible de récolter régulièrement des moûts titrant entre 12,5 et 13,50% potentiel alcool, avec des pH oscillant entre 3,10 et 3,30, des AT entre 4,5 et 6,5 gr (en sulfurique) suivant le taux d’acide malique du millésime. Au domaine, nous avons très rarement recours à la chaptalisation, jamais plus de 0,5% alcool sur des moûts titrant au minimum 12% naturel.

RECEPTION DE LA VENDANGE ET PRESSURAGE
Se côtoient encore aujourd’hui des pressoirs verticaux anciens, des pressoirs horizontaux de type vaslin et des pressoirs pneumatiques. Nous sommes ici confrontés à des approches diamétralement opposées, se combinant parfois de façon étrange : les chargements de pressoirs à l’ancienne se faisaient grappe entière sur des pressoirs verticaux au pressurage lent et doux produisant des jus très clairs. La combinaison foulage de la vendange et pressoirs vaslins, entraîne une trituration importante de la vendange et des jus très bourbeux, mais garde des adeptes, même parmi de très bons vinificateurs se targuant d’extraire plus de matière des raisins. Les pressoirs pneumatiques, plus doux, détrônent actuellement les vaslins. Ils sont majoritairement chargés aujourd’hui soit avec une pompe à vendange, soit avec foulage. Certains se préoccupant de retrouver les caractéristiques des jus obtenus sur des verticaux, chargent en vendange entière. En pratiquant ainsi, les rendements en jus sont moindres, et les moûts sont beaucoup moins chargés en bourbes. La plus grande finesse des vins est obtenue ainsi, et les plus rustiques, sont globalement obtenus avec foulage et vaslin serré fortement.

Le pourcentage et la qualité des bourbes sont ici déterminants et marquent fortement le style de vin. Il conduit logiquement à pratiquer des débourbages plus ou moins importants. En effet, la quantité et qualité des bourbes laissées dans les moûts déterminent fortement l’aspect du vin après fermentation alcoolique. Un moût trop fortement débourbé fermente mal, les levures manquant de nutriments pour achever les fermentations alcooliques, un moût peu ou pas débourbé amène souvent des notes végétales et très réductrices lors de la
fermentation alcoolique. Certains ne débourbent jamais les jus, et travaillent ainsi en forte réduction avec fermentations alcooliques tumultueuses, et sont attachés à cette pratique. Les vins demanderont un travail d’aération plus important lors de l’élevage. Nous sommes passés, au domaine, du pressoir vertical traditionnel au pressoir pneumatique (en 1983) d’abord chargé à la pompe à vendange, donc avec foulage, puis, depuis 1997, lors de l’achat d’un deuxième pressoir, au chargement de vendanges entières. L’objectif étant d’obtenir des jus très peu chargés en évitant toute trituration, associé à un débourbage léger séparant seulement les particules terreuses du fond de cuve. Depuis ce changement important, je ne constate plus de réduction ou mercaptan lors des fermentations alcooliques, et les développements aromatiques sont plus fins. Néanmoins,
de très bons résultats sont obtenus avec différents parcours à partir du moment où l’on sait choisir une suite logique lors de l’élevage du vin. A noter aujourd’hui chez certains, un désir de retour aux pressoirs verticaux, et la sortie sur le marché de nouveaux matériels plus pratiques à utiliser. Cette technique reste aujourd’hui très rare mais, à mon sens, permettrait d’obtenir des résultats très intéressants.
FERMENTATIONS
Traditionnellement, les Bourgogne blancs sont fermentés en futs. Lors du débourbage, actuellement, les cuveries équipées refroidissent les moûts afin d’éviter toute surchauffe lors de la fermentation alcoolique. L’entonnage se fait soit directement après débourbage (le plus fréquent), soit après départ de la fermentation alcoolique en cuve à des densités de 1060 à 1020. Peu d’écarts dans le résultat final sont à constater dans l’utilisation de ces deux méthodes. La dernière mobilise plus de cuves mais permet un départ de fermentation alcoolique homogène, et un meilleur contrôle des températures de fermentation. Les levurages sont encore peu fréquents, la moitié environ des vignerons préférant travailler avec les levures indigènes, en évoquant le fait que ces levures font partie intégrante du terroir. Les températures en fut atteignent généralement un pic de 22 à 25°C pendant un temps assez court entre 1040 et 1020 de densité. Les fins de fermentation alcoolique sont relativement longues à température plus basse (18 à 20 °C). La durée totale de la fermentation alcoolique est généralement de 1 mois à 3 mois. Quelques cuvées peuvent traîner leurs sucres sur plus longtemps, souvent au détriment de la clarté aromatique (déviation, fermentation malo-lactique sur sucre, risque d’acidité volatile)

C’est pendant cette période, fin de fermentation alcoolique-début malo-lactique, que l’on bâtonne les vins afin de remettre en suspension les lies, de favoriser les fins des fermentations alcooliques, d’aérer les vins, et d’éviter que les lies ne se tassent (risque de réduction). A Meursault, la tradition veut que l’on bâtonne les vins jusqu’à la Saint Nicolas, en décembre. Cette pratique est aujourd’hui très discutée. La mode actuelle voudrait que l’on bâtonne régulièrement, et sur de très longues périodes les vins, certains le faisant pendant pratiquement un an, une fois par semaine ou plus, afin de les enrichir, de les rendre plus gras et ronds en utilisant au maximum l’effet de l’autolyse des levures alors que d’autres ne veulent pas bâtonner afin de garder une certaine tension et minéralité au vin. Le batônnage apporte indéniablement plus de gras, mais développe en même temps des arômes de lies et levures dans le vin. Il aère et dégaze le vin s’il est pratiqué de façon trop intense. Sur lie de malo, on peut même développer fortement des arômes « caramel au lait », que les Anglo-saxons appellent « butter scotch », quand cette pratique est effectuée sur des proportions de fut neuf importantes. A mon sens, perte de terroir pour un goût commercial rappelant à nos amis américains, les arômes de scotc bourbon d’antan. Il est intéressant de noter que le fait de remuer les lies enlève de petites réductions passagères et que c’est sur ces cas, une pratique très intéressante.
Ma position sur ce travail est qu’il faut bâtonner avec mesure, entre fin fermentation alcoolique et début fermentation malo-lactique, les lies en suspension apportant un effet anti-oxydation important alors que les vins ne sont pas sulfités. Je la pratique en dégustant, par petites touches, et en faisant des essais sur quelques futs, avant de la généraliser à toute une cuvée. Sur des principes de base simples : qualité des lies, netteté et pureté du vin, avant et après bâtonnage, temps de sédimentation avant de recommencer l’opération. Je ne bâtonne jamais un vin trouble, ce système est très empirique, et me permet de veiller à toujours rester dans le respect du vin et du terroir. L’utilisation de futs neufs est à la fois historique et, comme partout, subit des effets de mode importants. Dans les années 60, globalement, sans moyens, peu ou pas de futs neufs, juste pour assurer un renouvellement du parc de futs. Actuellement, la pratique du 1/3 fut neuf environ semble emporter tous les suffrages. La demande américaine très forte a fait exploser l’utilisation des futs neufs, avec certains vins très caricaturaux. Le boisé se fond bien en quelques années sur de grandes cuvées, mais reste présent et maladroit sur des vins plus simples. Comme le sel dans la nourriture, certains y sont plus sensibles que d’autres, et indéniablement le goût fut neuf reste ancré pour une majorité de consommateurs comme un indice de vins de qualité.

J’utilise personnellement une proportion de futs neufs variable suivant les cuvées : de 0% avec utilisation de futs récents (1 à 2 ou 3 vins) pour les villages jusqu’à 50% pour des 1er crus riches et bien constitués, et 25% pour les cuvées développant plus d’élégance. Basé sur l’expérience et la connaissance de chaque terroir construit au cours des années, l’objectif étant de ne pas avoir au premier plan de sensations boisées. Les fermentations malo-lactiques sont traditionnellement encouragées en Bourgogne, et cette pratique est d’actualité chez plus de 90 % des vignerons. Les 10% restant jouent sur une proportion de malo suivant les millésimes afin de régler au mieux l’acidité des vins, et, sur certains millésimes un peu lourds de garder une fraîcheur apportée par l’acide malique. Il suffit pour cela de les bloquer au moment voulu par un léger sulfitage. La personne la plus au fait de cette pratique étant sans conteste Jacques Lardière dont les vins de la maison Jadot ont acquit une haute réputation. Je n’ai jamais pratiqué de telle sorte, c’est en fait une histoire de goût.
Les malos sont généralement terminées entre le mois de mars et le mois de juillet suivant la récolte. Soutirage et sulfitage usuel (environ 4 gr/hl) en gardant une partie des lies fines, suivi soit d’une remise en fut, pour élevage prolongé de 6 mois à un an de plus, toujours sur lie, soit par une préparation à la mise en bouteille.
Deux grandes tendances : Félevage « court » et mise en bouteille avant vendanges suivantes, Félevage long sur lies terminé soit en fut, soit en cuve.

La première solution apporte beaucoup de fraîcheur au vin, mais peut certaines années bousculer un peu les vins juste finis en malo avant mise en bouteille. Que dire de certaines fois ou les malos ne sont pas terminées en août? La fin d’élevage en cuve permet de bloquer l’évolution des blancs et de leur assurer une fin d’élevage sur lie prolongée. Seuls les vins bien constitués (richesse, équilibre acide) supporteront un élevage prolongé sur fut, à condition de les laisser sur lie, en cave fraîche, et de bien veiller au niveau de SO2 libre (selon moi entre 15 et 20 mg SO2 libre). Ils peuvent de ce fait gagner en complexité. Cette méthode requiert une surveillance accrue par la dégustation afin que cet élevage ne marque par trop les vins. C’est celle que j’ai choisie de continuer puisque ce type d’élevage est traditionnel au domaine et donne d’excellents résultats. On dit que les vins élevés plus longtemps ont tendance à mieux vieillir, mais s’expriment un peu moins vite en bouteille. Il est par contre essentiel d’élever les blancs sur leurs lies quelque soit le temps d’élevage. En effet, les vins clairs élevés en futs sèchent rapidement, et perdent toute leur fraîcheur.
L’APPROCHE DES COLLAGES A LARGEMENT EVOLUE
Traditionnellement caséine et bentonite à forte dose, (30 à 40 gr/hl de caséine + 20 à 40 gr/hl de bentonite). Cette méthode a encore des adeptes principalement quand on travaille au vaslin, avec très peu de débourbage. C’est alors une opération « nettoyage » quasiment obligatoire. Il s’utilise assez fréquemment la bentonite seule à petite dose (5 à 10 gr/hl) pour son effet clarifiant, parfois colle de poisson et éventuellement PVPP. Anciennement, la mise en bouteille se faisait sans filtration, demandant un doigté supplémentaire au relevage de colle, aujourd’hui elle est suivie d’une filtration plus ou moins serrée en utilisant des filtres à terre (Kieselghür), ou membranes. La tendance est à l’allègement des filtrations en pratiquant seulement des terres blanches dégrossissantes. De gros progrès ont été fait par rapport aux filtres amiante puis cellulose, traumatisant grandement les vins. Je pratique, autant que faire se peut, la non filtration que j’ai toujours vu en oeuvre au domaine, en y apportant le contrôle nécessaire de la turbidité (à mon sens < à 2 NTU pour obtenir des vins brillants, et sans risque de dépôt en bouteille). J’y adjoins, si nécessaire, et rarement un Kieselguhr dégrossissant si turbidité > 2 NTU. Les SO2 pratiqués à la mise varient de 20 à 40 mg SO2 libre. Une attention toute particulière est donnée au niveau de CO2 à la mise, avec des variations importantes de 500 à 800 mg/l en moyenne suivant les producteurs et les vins. L’effet CO2 protecteur dans le temps est important, et mérite de s’y pencher. Son action sur la dégustation des vins est aussi primordiale. Personnellement, nos vins blancs, à la mise en bouteilles, sont entre 20 et 25 mg SO2 libre et 600 à 750 mg/l de CO2. En bouteille, les vins blancs de Bourgogne peuvent s’apprécier sur le fruit, relativement jeune (4 à 5 ans) mais sont capables de vieillissements intéressants sur 10-15ans, vois plus pour les amateurs. A mon goût, 7 à 10 ans d’âge est raisonnable pour un grand vin. Au delà, beaucoup restent intéressants et vieillissent lentement si ils sont correctement stockés. La Bourgogne, entre tradition et modernité, tout un panel d’approches très différentes au service d’une vision du vin, d’un style où le terroir, marque forte de notre région, transparaît toujours à condition que l’on commence avec des raisins noblement cultivés.