Féchy est d’abord un joli village situé entre Lausanne et Genève, au pied du Jura, au bord du lac Léman. Il donne son nom à un vin de terroir très connu en Suisse et ayant droit à l’appellation d’origine contrôlée. C’est dans cette appellation que j’ai le plaisir d’exploiter un domaine familial et de produire des vins personnalisés et typiques de la région. La Suisse était en passe de libéraliser le marché du vin blanc, l’avenir de cette appellation me tient particulièrement à cœur. Afin de mieux vous faire comprendre la situation actuelle, je me permets de vous présenter brièvement le Vin, son histoire lointaine et récente ainsi que quelques réflexions sur son avenir.

LE VIN

Le Féchy est un vin d’appellation d’origine contrôlée issu du cépage Chasselas. Ses arômes floraux de tilleul, sa finesse, sa légèreté et son caractère souple présentant une acidité très en retrait, en font un vin très aimé par les Suisses qui ont l’habitude de boire du vin blanc en dehors des repas. En Suisse romande, les vins issus du cépage Chasselas comme le Féchy accompagnent entre autres les rites de passage tels le Baptême, la Confirmation, la conscription et le mariage; ils représentent donc un élément fondamental de la culture et de la vie sociale de la région.

LE CEPAGE

Le Chasselas, qui semble être originaire du bassin lémanique, est utilisé comme raisin de cuve en Suisse romande (sa terre d’élection), au Sud de l’Allemagne (région de Baden), en Alsace et en Val de Loire (région de Pouilly-sur-Loire). Dans le Sud de la France, il est cultivé en tant que raisin de table. Au niveau de la culture, il demande des soins importants et présente des rendements pouvant être élevés mais irréguliers (très sensible à la coulure). Il mûrit chez nous vers la fin du mois de septembre et est récolté avec une teneur en sucre correspondant à un alcool potentiel de 10 à 11 degrés. Il est utilisé comme cépage de référence par les ampélographes pour définir l’époque de maturité.

HISTOIRE

La vigne et le vin de Féchy ont une histoire plus que millénaire. Il en va de même pour le cépage cultivé dans ce terroir, le Chasselas. Comme dans d’autres vignobles historiques, les Romains ont enseigné aux habitants de ma région les premières techniques de culture de la vigne et l’art de produire le vin. Au Moyen Age, les moines, en particulier ceux des hospices du Grand St-Bernard, ont façonné le vignoble lémanique tel qu’on le connaît aujourd’hui, excepté quelques incursions dans la plaine fertile. Depuis la nuit des temps, le vin était produit pour être consommé sur place et n’avait, hélas, pas droit de cité à la cour des grandes puissances européennes. Il n’eut donc pas la chance de connaître des ambassadeurs glorieux l’aidant à se faire apprécier à l’étranger.

Néanmoins il était fort aimé (et il l’est toujours) par les Suisses alémaniques venus occuper la région pendant près de trois siècles, soit de 1536 à 1798. Grâce au développement des voies de communication et à une économie de plus en plus f1orissante, la consommation de vin issu du cépage Chasselas, et notamment le Féchy, s’est fortement accrue en Suisse alémanique à partir du début de ce siècle, et plus particulièrement depuis les années cinquante, le marché des vins blanc suisses, très majoritairement issus du cépage Chasselas, étant strictement protégé de toute concurrence étrangère, et ce avec l’accord des consommateurs du pays qui avaient voté, en 1951, la loi sur l’agriculture garantissant aux vignerons un prix couvrant les coûts de production. De plus, ce vin blanc indigène, à l’arôme subtilement floral correspondait et correspond encore au goût et à la façon de boire des Suisses, habitués à goûter au vin blanc en dehors des repas, pendant la journée: le matin à onze heures ou en début de soirée, pour arroser la signature d’un contrat ou marquer la conclusion d’un quelconque accord. Ces rituels font partie de notre culture et sont donc un élément important de notre identité.

CONSEQUENCES DE LA PERIODE PROTECTIONNISTE

Sans concurrence, les vignerons suisses connurent une longue période de bien-être économique, ce qui est une très bonne chose en soi. Malheureusement, cette période eut aussi des inconvénients dont on mesure seulement aujourd’hui l’importance. Longtemps, elle favorisa un productivisme effréné. Dorlotés par un marché couru d’avance, certains vignerons sont tombés dans la facilité, sans vraiment se frotter à la concurrence ou se remettre en question sur le plan qualitatif ou sur le type de vin produit. De même, ce marché florissant a d’une part favorisé l’explosion des prix des terres viticoles qui atteignirent un niveau comparable à celui payé pour les crus classés à Bordeaux et, d’autre part, cimenté les structures existantes.

CHANGEMENT DES HABITUDES DE CONSOMMATION ET OUVERTURE DES MARCHES

Alors que les vignerons se croyaient en sécurité, le consommateur suisse devenait de plus en plus exigeant et réfractaire à la politique viticole protectionniste, et ce à partir du début des années quatre-vingts. Ce phénomène fut particulièrement important dans les grandes villes de Suisse alémanique telles Zurich et Bâle. Poussé par un rythme de vie toujours plus effréné et guidé par la presse spécialisée de type « consumériste» qui débutait à cette époque, ce «nouveau consommateur» voulait boire moins mais mieux, et recherchait, au niveau du vin blanc, des sensations gustatives plus fortes et plus complexes. En parallèle, bon nombre de grands cuisiniers, épaulés par certains journalistes, rechignèrent de plus en plus à promouvoir le Chasselas, trop peu acide à leurs yeux, pour accompagner un quelconque plat des menus qu’ils concoctaient. Tout cela aboutit lentement mais inexorablement, à une baisse de l’image et de la consommation de Chasselas, ainsi qu’à un changement radical de la politique viticole suisse, beaucoup plus libérale par rapport aux importations de vins blancs et davantage axée sur la qualité depuis la fin des années quatre-vingts. Mal préparés à ces changements, les vignerons se trouvent actuellement dans l’obligation de s’adapter rapidement à ces nouvelles donnes s’ils veulent assurer la pérennité de leurs exploitations.

L’AVENIR DU FECHY

Même si le vin de Féchy connaît encore une forte demande, ses producteurs ne peuvent pas se permettre de se soustraire à une sérieuse remise en question, qui est d’ailleurs actuellement en cours. La qualité des vins a par ailleurs déjà sensiblement augmenté grâce à la diminution des rendements et l’utilisation de techniques culturales favorisant l’expression et la pérennité du terroir (viticulture « raisonnée ou intégrée », viticulture dite « biologique »). Malgré les efforts entrepris, il faudra aller encore plus loin, afin d’explorer notamment toutes les potentialités du terroir. Pour l’appellation Féchy, plusieurs options restent donc ouvertes, à savoir:

  1. Limiter encore davantage la production par des méthodes de culture appropriées et rechercher, parmi les Vieilles sélections de Chasselas, abandonnées pendant la période du productivisme, celles qui auraient les plus grandes potentialités qualitatives (petites baies, acidité plus saillante, arômes plus marqués, faible production). Il s’agit d’un travail de longue haleine, déjà actuellement en cours, en collaboration avec la Station Fédérale de Recherche de Changins.
  1. Approfondir une recherche de mise en valeur du terroir Féchy avec d’autres cépages que le Chasselas (recherche type Alsace). Cette recherche pourrait éventuellement aboutir non pas à un vin de cépage, qui risquerait de devenir un vin d’imitation, mais à un vin de terroir issu d’un assemblage encore à trouver.
  1. Rechercher un ou plusieurs cépages complémentaires au Chasselas: si l’on part de l’idée que le Féchy est un vin de terroir et non pas de cépage, on pourrait imaginer d’assembler au Chasselas le vin d’autres plants, parfaitement complémentaires au premier, afin de lui donner davantage de complexité aromatique, d’acidité et de longévité, sans pour autant lui enlever son originalité. Je pense en particulier au Doral et au Charmont (deux nouveaux cépages créés par la Station Fédérale de Recherches Viticoles de Changins, issus d’un croisement entre le Chasselas et le Chardonnay), au Chardonnay, au Pinot Gris et au Pinot Auxerrois.

Cette idée pourrait paraître blasphématoire, j’en conviens, notamment aux yeux de la production vaudoise, mais elle mérite d’être étudiée si l’on veut freiner la course aux vins de cépage actuellement en train de s’accomplir dans ma région. Ces vins ne présentent, à mon avis, que peu d’intérêt, parce qu’ils sont l’imitation de modèles déjà existants. Féchy ne serait d’ailleurs pas seul dans cette recherche. Le Chianti Classico n’a-t-il pas récemment considérablement modifié le règlement régissant les cépages autorisés dans la composition de l’assemblage? Loin de vouloir dénaturer le Féchy, je souhaite que tout soit mis en œuvre afin qu’il puisse occuper une place de choix dans le cœur du consommateur en tant que vin personnalisé de terroir et expression de la culture de ma région.