Génève, le 2 décembre 2004

J’aimerais tout d’abord dire que l’idée de présenter ce travail sur le commerce mondial du vin et son avenir a pour but de réfléchir sur le futur de la production du vin dans le monde. Réfléchir sur l’actuel marché consommateur international ainsi que sur les travaux à réaliser pour créer des nouveaux marchés. Penser de même à amplifier certains marchés potentiels qui puissent absorber la consommation de la production croissante mondiale du vin et en même temps, contribuer à améliorer la qualité moyenne des vins produits dans le monde.

I. Les chiffres du vin

Les informations actuelles nous disent qu’aujourd’hui, la production mondiale du vin est nettement supérieure à la consommation de celui-ci. Nous savons, d’autre part, à l’exception de l’Union européenne (UE), que les plantations de vignobles augmentent partout dans le monde. Voyons donc les données les plus importantes : Les vendanges 2004 atteindront les 280 millions hl. Et peut-être au-delà de ce chiffre, c’est-à-dire entre 9 et 10% de plus qu’en 2003.

1) Pour rappel, les vendanges 2000 avaient atteint  275.893.000 hl.

Selon les dernières informations officielles de l’Office International de la Vigne et du Vin (OIV) et de celles dont disposait l’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO), la surface plantée en 1996 était de 7.795.000 hectares alors qu’en 2000, elle atteignait les 7.886.000 hectares, ce qui signifie 91.000 hectares en plus. Pour sa part, l’UE a diminué ses surfaces à vignoble de 66,1% à 62,7% du total mondial. Durant cette même période, les Amériques ont augmenté leur surface de 10,5 à 11,9%, l ‘Asie de 18,2 à 19,2%, l’Afrique de 4 à 4,3 % et l’Océanie de 1,1 à 1,9 %. « L’Asie est un cas à part car la majeure partie du vignoble est consacrée au raisin de table et au raisin à sécher ».

2) Entre 2000 et 2001, la surface plantée a augmenté une fois de plus, passant de 7.886.000 à 7.893.000, c’est à dire 7.000 hectares supplémentaires. Alors que, selon les mêmes sources, la consommation mondiale de vin pour l’année 2000 n’a atteint que les 219.832.000 hl. En clair, pour l’année 2000, sont restés invendus plus de 56 millions hl. Et, selon les informations disponibles, il n’y a pas eu d’augmentation de la consommation durant les années suivant l’an 2000 permettant de constater une croissance importante de la consommation mondiale. D’après les récentes publications en la matière : on constate une production nettement supérieure à la consommation. « Quoi qu’il en soit, la production sera fort supérieure à la consommation mondiale, d’au moins 50 Mhl. »

II. Les chiffres de l’Union européenne

Comme d’habitude, les données européennes sont beaucoup plus complètes que les statistiques au niveau international. J’ai donc sélectionné cinq tableaux qui montrent de façon extrêmement claire, la situation du marché du vin dans l’UE : Le premier fait référence à la production du vin de qualité, à celle du vin de table et enfin à la production totale. Il s’agit d’un graphique très explicite : d’une part, la production est stable, de l’autre, la production du vin de qualité augmente et la production du vin de table diminue. Le deuxième nous montre la consommation totale du vin dans l’UE. La consommation tend à diminuer dans les grands pays traditionnels. D’autre part, il augmente légèrement en Allemagne, au Benelux et au Royaume-Uni qui, par ailleurs, sont devenus les premiers importateurs de vin au niveau mondial. Le troisième tableau montre que durant ces dernières années, la consommation de vin de table est en constante diminution. Le quatrième graphique indique que la consommation de vin de qualité augmente partout dans l’UE. Le dernier nous montre qu’il y a une écart étendu entre la production et la consommation, qui explique un peu les 50 Mhl de vin qui resteront sans être consommés durant l’année 2004-2005.

III. Le reste du monde

Parmi les pays producteurs et consommateurs traditionnels de vin dans le monde, c’est-à-dire les États Unis, l’Argentine, le Chili, l’Australie, l’Afrique du Sud, etc., les tendances sont similaires. Croissance de la production et diminution ou stabilisation de la consommation. L’OIV explique qu’entre 1996 et 2000, la consommation de vin dans le monde a été stable (219.816.000 hl en 1966 et 219.832.000 hl en 2000) avec quelques petits mais intéressants changements. Par exemple, la consommation européenne a diminué de 73,6% à 70,6% ; l’africaine de 2,8% à 2,7%. Cependant, l’américaine (les deux Amériques) a augmenté légèrement de 19,3% à 20,3% ; l’Océanique est restée pratiquement stable, de 1,7% à 2,0% ; mais l’augmentation la plus intéressante nous vient de l’Asie qui monte de 2,6% à 4,5% . Il est évident que la Chine joue ici un rôle de locomotive déterminant. Si on regarde les chiffres de la production, l’évolution est fort semblable.

IV. Conclusions intermédiaires

Augmentation de la surface plantée de vignoble dans le monde. Augmentation de la production mondiale du vin. Diminution de la consommation du vin, notamment dans les pays producteurs traditionnels du Vieux comme du Nouveau Monde. Selon diverses sources, la consommation de vin de qualité est en augmentation dans les pays traditionnels mentionnés et la consommation de vin de table en augmentation dans les pays représentant les nouveaux marchés.

V. Du diagnostic à l’action

A quoi sert un diagnostic déjà bien connu au sein de l’Académie Internationale du Vin (AIV) ? J’ai pensé qu’il serait intéressant non seulement de décrire la situation générale de la production et de la consommation de vin dans le monde, mais également de pouvoir en même temps travailler sur une stratégie destinée à relancer ou à améliorer la consommation de celui-ci. Le but serait d’ajouter de nouveaux marchés et d’amplifier la consommation dans les marchés existants. Et pourquoi ? Parce que dans le cas contraire, une tendance générale à la diminution de la consommation dans les marchés classiques se fera sentir et la concurrence des autres boissons (bière, boissons non alcoolisées, etc.) augmentera la crise de l’industrie vitivinicole au niveau international. J’ai pu constater qu’il n’y a pas d’action commune entre les producteurs et les exportateurs, tout au moins de la part des pays exportateurs, pour diffuser la consommation de vin dans le monde.

En regardant les chiffres de la consommation par tête d’habitant, on peut voir qu’il y a des marchés fort importants qui devraient être la cible d’une action du monde du vin dans un futur proche. Je voudrais, par exemple, citer quatre grands pays qui pourraient devenir plus importants sur le marché mondial du vin si l’on mettait en oeuvre une stratégie propre les incitant à augmenter leur consommation de vin. Il s’agit de la Chine, du Brésil, de l’Inde et du Mexique. La Chine avec son 1 milliard 200 millions d’habitants, représente déjà 2,5% de la consommation mondiale de l’année 2000 et, selon diverses estimations, a une consommation de 0,2 à 0,8 litres par habitant. Le Brésil, avec ses 180 millions d’habitants, a une consommation de 1,7 à 1,9 litres par habitant. En clair, le pays consomme 3,40 millions hectolitres par an, selon les mêmes estimations. En Inde, ils sont 1 milliard d’habitants. Nous n’avons pas d’indication exacte sur leur consommation de vin par habitant mais nous savons qu’ils ont une consommation de bière par habitant (0,7 litres), estimée assez faible pour le nombre existant. Le Mexique a, pour sa part, 110 millions d’habitants qui consomment à peu près 0,2 à 0,5 litres de vin par personne. Leur consommation de bière est de 48 litres par habitant. Nous pourrions ajouter d’autres pays à ces estimations, mais l’exemple de ces quatre grandes nations est suffisant pour parler de la stratégie du futur.

VI. Que faire ?

À mon avis, la question principale serait que l’AIV stimule une alliance entre pays producteurs et pays exportateurs, dirigée vers la promotion du vin et sa consommation dans ces pays. Pourquoi ? Parce que l’AIV a parmi ses objectifs de « défendre la cause du vin au niveau le plus élevé» et elle « peut intervenir auprès des Pouvoirs Publics, dans le cadre de la mission qu’elle s’est choisie ». En d’autres termes, nous avons besoin d’une campagne générique en faveur de la consommation du vin dans le monde et pas uniquement d’actions individuelles. Les actions particulières sont évidemment les bienvenues, mais il faut réfléchir sur l’ensemble du défi qui se pose au vin dans l’avenir. Si on pouvait trouver un accord entre les pays et/ou les principaux exportateurs et producteurs, on aurait fait alors un grand pas vers le progrès de la cause du vin dans le monde.

VII. Les actions ciblées

Il y a bien sûr plusieurs idées pour la promotion du vin. Elles sont les bienvenues. À cette occasion, je voudrais en proposer quelques unes qui sont, pour moi, évidentes. Tout d’abord, Il faut faire des campagnes génériques sur le vin et le plaisir de boire de façon modérée. Mettre l’accent sur le plaisir de partager celui-ci à l’heure du repas en famille, entre amis, pour les anniversaires ou pour tout événement important de la vie. Faire ressortir que le vin est le meilleur compagnon des repas. De même, on devrait souligner les avantages qu’il y a à boire du vin pour des raisons de santé. En effet, souligner ses effets positifs et antioxydants qui ont été prouvés par différentes études et recherches médicales et qui sont aujourd’hui fort appréciés partout dans le monde.

Une campagne didactique sur le mariage entre le vin et le repas, illustrant et enseignant les conditions ou les caractéristiques de chaque sorte de vin pour la meilleure association possible entre les divers plats de la cuisine indigène. On devrait ajouter une campagne ciblée montrant les rapports qu’il y a entre le vin et la culture. Le vin est en lui-même un produit culturel par le style de sa production, par le processus ultérieur de sa distribution, de sa commercialisation et de sa consommation finale sans oublier les occasions associant le vin à l’art et à la culture. On doit aussi diffuser le vin comme –probablement- le produit d’un artisanat «high tech», avec ses composantes traditionnelles qui entrent dans la manière de mener à bien son élaboration et qui font du processus de production une tâche humaine.

VIII. Les vins pour les nouveaux marchés

On a parlé de quatre grands pays comme cible d’une campagne pour stimuler la consommation de vin. On pourrait ajouter d’autres pays importants tels que la Thaïlande, l’Indonésie, etc. A mon avis, la question principale n’est pas de les identifier en tant que pays individuels, mais comme des millions d’êtres humains de cultures différentes. D’où l’intérêt de rapprocher leur richesse culinaire de celle du vin. Par conséquent, il s’agit bien de rapprocher le vin de leur culture culinaire et de produire ainsi certains vins répondant aux saveurs et aux caractéristiques de leurs plats. Le cas du Brésil, du Mexique et de la Chine est plus nuancé parce que leur cuisine contient des ingrédients déjà connus dans la gastronomie et dans la sommellerie des pays vinicoles, ce qui n’est pas le cas de la cuisine indienne ou thaïlandaise qui exige beaucoup plus de préparation et de recherche au niveau des épices.

C’est vrai qu’il y a 8.000 restaurants indiens à Londres et plus de 800 thaïlandais ; de même à Santiago, il y a plus de 300 restaurants chinois. Mais il s’agit maintenant d’imaginer combien de restaurants de pays sans tradition vinicole il y a dans le monde et réfléchir de quelle façon on pourrait introduire le vin comme complément principal de leurs menus. Enfin, je ne veux recommander aucun vin en particulier, mais c’est vrai qu’il faudrait envisager plusieurs alternatives au départ de la production vinicole traditionnelle pour bien appréhender ces marchés. Si on arrive à ce que la consommation des chinois passe de 0,2 ou 0,8 litres par personne à 1 ou 1,5 litres par habitant, ils représenteront alors 5% de la consommation mondiale du vin. Si au Brésil la consommation augmente de 1,9 litres par tête à 3 litres (ce qui est peu), ils passeront de 3,4 Mhl à 5,4 Mhl. Si en Inde on arrive à 1 litre par habitant, on arrivera alors à une consommation de 12 Mhl, etc. A mon avis, en tant qu’AIV, nous avons une tâche culturelle de stimuler les gouvernements, les associations, les producteurs et les exportateurs à entamer une campagne pour incorporer ce grand nombre d’êtres humains à partager avec nous le vin comme une valeur de civilisation, de culture et de plaisir dans le monde où nous vivons.

Notes

1) Estimations d’ONIVINS, publiées par la Section Agricole de la Mission du Chili auprès de l’Union européenne

2) OIV cité par ONIVINS dans : L’Agriculture mondiale actualisée au 13.8.2004

3) Pleinchamp.com ; Vin : Production mondiale attendue en forte hausse, 26.10.2004

4) Chiffres officiels de l’OIV, publiés par ONIVINS en Stats 2004 ; « La Viticulture Mondiale »

5) ONIVINS, selon la OIV 0,8 litres par tête d’habitant ; selon World Drinks Trends 2004 0,2 litres par habitant