« Le goût d’un vin peut être “sublimé” par les paysages de son terroir, que nos souvenirs font ressurgir dès la première gorgée » (Jean Paul Pigeat, 2000). En proposant les résultats de quelques études menées durant les dernières années, dans ma communication, j’essaie de vérifier l’affirmation de Pigeat, c’est-à-dire le rôle du paysage (ou de son imaginaire) dans l’exaltation, l’avilissement de la valeur du vin. On sait qu’il existe des imaginaires collectifs sur les paysages, viticoles et non, capables d’influencer les préférences des consommateurs. Même au niveau commercial, certaines régions viticoles beneficient de cette aptitude et, dans certains cas, ont devéloppé des stratégies marketing « vin-territorial » très puissantes, centrées sur le paysage. Mais jusqu’à quel point ont-elles la capacité d’influence du paysage ? Peuvent-elles jouer un rôle même au moment de la dégustation ? Et en cas affirmatif, quels sont les élements du paysage qui poussent vers une perception positive ou négative, et pourquoi ?

Pour étudier la relation vin-paysage du point de vue de la perception sensorielle, à partir de 2007 (Tomasi, 2007), le « Centre de recherche pour la viticulture de Conegliano Veneto» a organisé des séances de dégustation à l’aveugle, accompagnées par la vision de différentes images de paysage. Les résultats ont été très parlants : les vins (même de mauvaise qualité) associés à un « beau paysage » ont été préferés aux vins associés à un paysage banal. Plus tard, d’autres essais ont confirmé ces conclusions et ont permis d’évaluer les typologies de paysage les plus performantes (Tomasi et al., 2010 ; Tempesta et al., 2010).

Dans d’autres circonstances, j’ai répeté ce genre d’étude avec des échantillons de personnes très différents. Des épreuves conduites avec 27 étudiants universitaires au niveau œno-culturel à peu près « nul », un groupe de 14 personnes un peu plus « évolué » et 70 sommeliers de l’Association italienne des sommeliers (AIS, niveau « pro »), ont fourni des résultats comparables à ceux obtenus par le Centre de Conegliano Veneto. Presque toujours, un vin obtient un score plus élevé lorsqu’il est associé à un paysage de qualité. En plus, la relation semble être active dans tous les niveaux de la perception sensorielle (visuelle, olfactive, gustative) avec une possible accentuation du degré d’influence du paysage dans le niveau olfactif.

Dans les essais, quelques images ont été choisies, avec l’aide des psychologues, afin de comprendre quels sont les éléments positifs ou défiguratifs des paysages viticoles qui pèsent sur le score d’un vin, et quels sont les points de vue sur les paysages viticoles préférés par les observateurs-dégustateurs. Les résultats semblent confirmer les théories de la psychologie environnementale sur la perception du paysage. Les éléments qui définissent un paysage viticole traditionnel bien conservé (par exemple : présence de hameaux, d’architectures rurales traditionnelles et d’architectures religieuses historiques, d’architectures monumentales, mais aussi des piquets en matériaux traditionnels, des murs en pierre sèche, des petits chemins, etc.) jouent un rôle positif. Il s’agirait d’éléments qui se rapportent à la perception affective, celle qui détermine des jugements liés au contexte socio-culturel historique de l’homme (européen).

En même temps, les paysages « ouverts », d’une certaine complexité mais cohérents, c’est-à-dire avec des éléments interprétables, des paysages capables de produire de la curiosité et les paysages avec une composante de naturalité ont été préferés aux vignes modernes, monotones et aux paysages viticoles désordonnés. On retrouverait ici des éléments (la nature , le vert, l’espace ouvert, l’équilibre, la cohérence) qui appartiennent, selon la théorie de Jay Appleton (1975), à notre patrimoine biologique, liés à la survivance de l’homme dans le milieu de la savane pendant des millions d’années. Pour le moment, ces résultats doivent être considérés comme des axes de recherche d’un certain intérêt mais avec des questions ouvertes, même d’un point de vue méthodologique. D’autres recherches seront nécessaires pour confirmer ou non ces résultats et pour verifier leurs validité géographique au-délà de l’Italie.