Un nouveau cépage rouge, le Gamaret, a été créé par la Station fédérale de recherches agronomiques Agroscope RAC Changins en 1970 par croisement entre le Gamay et le Reichensteiner. Ces dernières années, ce cépage connaît un développement rapide dans le vignoble suisse, en particulier dans le bassin lémanique. Le Gamaret présente un niveau de résistance élevé à la pourriture grise. La plante met en place des mécanismes de défense pour combattre le parasite (acide glycolique, phytoalexines, composés phénoliques). Le Gamaret présente des teneurs en ces composés plus élevés que le cépage Gamay étudié en comparaison. Le Gamay est nettement plus sensible au Botrytis que le Gamaret. Cette bonne résistance à la pourriture assure au Gamaret une bonne tenue sur souche en fin de maturation. La vendange tardive (deux à trois semaines après la vendange normale) améliore sensiblement la qualité des vins de Gamaret, en particulier au niveau des tanins.

Introduction
Depuis 1965, la Station fédérale de recherches agronomiques Agroscope RAC Changins poursuit un programme de création de nouveaux cépages par hybridation dirigée entre des variétés européennes. Sept variétés issues de ce programme ont été proposées aux viticulteurs : deux cépages blancs, le DoraI et le Charmont provenant de croisements entre le Chasselas et le Chardonnay, et cinq cépages rouges. Deux rouges (Gamaret et Garanoir) ont été obtenus par croisement entre le Gamay et le Reichensteiner, les trois autres étant le Diolinoir (Robin noir x Pinot noir), le Carminoir (Pinot noir x Cabernet Sauvignon) et le Galotta (Ancelotta x Gamay). L’objectif principal de ces travaux était d’élargir la palette des cépages, en particulier dans les régions plus fraîches climatiquement, où le choix de l’encépagement est plus limité (première époque). Dans les blancs, les recherches ont été orientées vers la création de variétés plus aromatiques que le Chasselas en croisant ce cépage avec des blancs aromatiques comme le Chardonnay, le Riesling ou le Gewürztraminer. Seuls des croisements avec le Chardonnay ont donné des résultats intéressants. Pour les rouges, on a recherché en premier lieu des cépages peu sensibles à la pourriture et aptes à fournir des vins structurés, bien colorés et dotés d’un bon potentiel tannique. Dans cet article, nous nous limitons au cépage Gamaret qui rencontre le plus d’intérêt auprès des viticulteurs.

Développement marqué du Gamaret
Les deux nouvelles obtentions blanches n’ont pas connu un développement significatif au cours de ces dernières années. Les trois cépages rouges créés en 1970, Gamaret, Garanoir et Diolinoir, ont suscité un intérêt croissant. A eux trois, ils couvraient en 2004 une surface de 380 ha. C’est le Gamaret qui occupe la surface la plus importante avec plus de 260 ha plantés (Figure 1) et c’est dans les vignobles du bassin lémanique (Genève et Vaud) que son extension a été la plus rapide. Pour expliquer les raisons de l’intérêt pour ces nouveaux cépages rouges, on peut émettre les hypothèses suivantes :

· Eventail d’encépagement limité dans des vignobles tardifs
· Sensibilité parfois trop élevée au Botrytis des cépages rouges traditionnels sous des climats humides.
· Bonne acceptance pour de nouveaux cépages dans des régions n’ayant pas de tradition solidement établie pour certains types de production (ex.cépages rouges dans le bassin lémanique)
· Production locale de vins rouges améliorateurs (couleur, tanins, structure)
· Diversification des types de vins produits (par ex. vinification en barrique, etc..)
· Evolution du goût du consommateur vers des vins rouges plus structurés et colorés avec un bon potentiel tannique.
· Phénomène de mode : avidité d’une certaine frange de consommateurs pour la nouveauté, l’exotisme
· Le marché des vins suisses est essentiellement un marché de proximité, il existe une ouverture importante pour une diversification de la production.
· Absence de législation très contraignante concernant l’introduction de nouveaux cépages dans l’assortiment (règlement AOC)

Résistance élevée au Botrytis
Dans les régions viticoles présentant un niveau de précipitations relativement élevé (> 1000 mm), la résistance au Botrytis est un facteur primordial de qualité, en particulier pour les vins rouges. Par rapport aux deux cépages rouges traditionnels du vignoble suisse que sont le Pinot noir et le Gamay, le Gamaret offre une résistance nettement supérieure à la pourriture grise. Notre collègue R.Pezet a effectué un grand nombre de recherches sur le développement du Botrytis et sur les mécanismes de résistance à différentes étapes du cycle végétatif de la vigne en comparant en particulier le Gamay au Gamaret (Pezet, 1993). Les infections sur vigne se font déjà avant la floraison. La pluie favorise le développement du Botrytis et les déchets floraux offrent un bon support de croissance au parasite. Botrytis cinerea peut ainsi s’introduire dans les jeunes baies nouées. Le champignon entre alors en période de latence sans provoquer de dégât, les tissus des raisins mettant en place des mécanismes bloquant le développement de la pourriture. Le métabolisme général des baies diminue progressivement d’activité jusqu’à la véraison. Il s’ensuit une réduction, voire une disparition, des mécanismes de résistance.

Différents composés cellulaires des baies peuvent freiner le champignon de la pourriture durant la phase de latence. Ainsi, l’acide glycolique dont la concentration est maximale à la fin de la floraison pour diminuer progressivement jusqu’à la maturation, est toxique pour Botrytis cinerea. Les baies de Gamaret contiennent plus d’acide glycolique que le Gamay (Figure 2) (Pezet, 1993). Dans les phytoalexines stilbéniques sunthétisées par la plante après un stress (ex agression parasitaire) se trouvent le resvératrol, le ptérostilbène et le viniférines dérivées du resvératrol. Les composés phénoliques, dont les tanins, peuvent inhiber certaines
enzymes sécrétées par le champignon et ainsi stopper son développement. Le Gamaret contient plus de phénols totaux et de tanins que le Gamay (Pezet, 1993).

Date de vendange et qualité
Le Gamaret commence la maturation du raisin avant le Pinot noir. De par sa résistance très élevée à Botrytis sur grappe, il se conserve bien sur souche, sans progression trop importante des sucres des raisins. La question de la période optimale de vendange en relation avec la qualité des vins a été étudiée. Un essai a été mis en place en 1996 au vignoble expérimental d’Agroscope RAC Changins à Nyon; il a porté sur quatre années. Une vendange normale à maturité physiologique a été comparée à une vendange tardive effectuée selon les années deux à trois semaines après la vendange normale, soit à l’apparition de la décoloration automnale des feuilles. La vendange tardive n’a pas entraîné de pertes notables de rendement. L’accroissement des sucres est resté modéré. La vendange tardive a, par contre, montré des teneurs plus faibles en acidité totale, malique et tartrique (tabl. 1). Au niveau des vins, la vendange tardive a permis la production de vins plus riches en polyphénols et plus colorés (fig. 3). Ces vins ont toujours été largement préférés en dégustation grâce à une meilleure structure et des tanins de meilleure qualité (fig. 4) (Spring, 2004).

Conclusions
Le nouveau cépage rouge Gamaret connaît un fort développement dans le bassin lémanique. Il commence à être bien connu du consommateur suisse qui apprécie sa structure, sa couleur et la qualité de ses tanins. Il est spécialement apprécié du producteur de par sa très bonne résistance à la pourriture qui lui confère une bonne tenue sur souche, permettant ainsi de retarder la date de vendange. La vendange tardive améliore sensiblement la qualité des vins, en particulier au niveau des tanins. Jusqu’ici, la viticulture a peu exploité , pour le raisin de cuve, le potentiel génétique présent dans le genre Vitis, en particulier dans l’espèce VItis vinifEra. Les cépages traditionnels ont généralement une meilleure image que les nouvelles varietés obtenues par croisement. On sait aujourd’hui que l’ensemble des cépages cultivés est issu de croisements pour la plupart naturels, entre variétés de Vitis vinifera. Il existe aujourd’hui le risque de concentrer l’encépagement viticole mondial sur quelques variétés internationales à la mode. L’affirmation de la personnalité et de la typicité des vins de nombreux vignobles se fait à travers l’usage de cépages locaux. La création de nouveaux cépages adaptés aux conditions pédoclimatiques spécifiques de vignobles dont la palette de cépages est limitée à quelques variétés internationales, pourrait contribuer à conférer à ces régions viticoles une spécificité propre.

Bibliographie :
Pezet R. ; 1993. La pourriture grise des raisins : le complexe plante-parasite. Le Vigneron
champenois 114 (5), 65-83.

Spring J.-L, 2004. Influence de la date de vendange sur la qualité des vins de Gamaret. Revue
suisse vitic. Arboric.hortic. 36 (3), 159-163.

Fiches techniques Gamaret
Obtenteur: Station fédérale de recherches agronomiques RAC Changins (A. Jaquinet) 1970.

Origine: croisement entre Gamay x Reichensteiner

Caractères végétatifs : vigueur moyenne; présente ponctuellement, selon les sites, une affinité irrégulière avec le 3309 qui se traduit par des blocages de végétation au printemps, lors des trois à quatre premières années, parfois associés à de forts rougissements du feuillage en automne; ces manifestations disparaissent généralement sur vignes adultes; jaunissement du feuillage et chute précoce des feuilles.

Fertilité : moyenne à bonne; peut se révéler assez sensible à la coulure, notamment lorsque la vigueur est élevée.Caractères phénologiques : débourrement précoce, véraison précoce, maturité 1ère époque précoce (comme le Pinot noir).

Résistance: très élevée à la pourriture du raisin.

Caractéristiques des moûts et des vins : potentiel d’accumulation des sucres dans les baies moyen à élevé, avec un niveau d’acidité suffisant; fournit des vins colorés, structurés et équilibrés, bien pourvus en tanins de bonne qualité avec, parfois, un léger caractère épicé; le raisin se conserve bien sur souche et permet des vendanges tardives, les vins obtenus y gagnent alors en puissance, en complexité et en qualité des tanins, même en l’absence d’une progression importante de la teneur en sucre des baies. Le Gamaret fournit non seulement des vins de cépage appréciés qu’il est possible de soumettre à divers types de vinifications, mais s’associe encore très bien à d’autres cépages (Gamay, Pinot noir, Garanoir).

Aire d’adaptation : très large, s’adapte bien à des conditions pédoclimatiques très différentes ; peut encore être cultivé dans des sites relativement frais grâce à sa précocité et se comporte également très bien dans des zones viticoles chaudes en Valais, ainsi qu’au Tessin où il est particulièrement apprécié pour sa remarquable résistance à la pourriture ; ne doit pas être implanté dans des situations très exposées au gel de printemps en raison du débourrement précoce.