Histoire du tourisme du vin : la naissance et la diffusion

Jusqu’en 1993, les caves italiennes étaient toutes fermées au public à part une vingtaine de pionniers, et ce malgré qu’en de nombreux pays étrangers,  le tourisme du vin connaissait déjà d’importants résultats économiques et une grande notoriété.

Deux ans auparavant, j’avais découvert par hasard le personnage de l’œnotouriste, grâce à un questionnaire distribué dans les caves de l’association VIDE – Vignerons Italiens d’Excellence – repris plus tard par l’Université Bocconi. Il en ressort un portrait-robot pour le moins inattendu : passionné, attiré par la découverte des localisations du vin, prêt à acheter les bouteilles les plus chères et certainement différent de celui qui cherche un vin de campagne  bon-marché en vrac.

L’enquête indique le bouche à oreille comme principal instrument de diffusion des visites en caves. Le développement de l’ œnotourisme nécessitait donc d’amener dans les vignes et parmi les fûts les premiers anneaux de la chaine de la bouche à oreille.

C’est pourquoi, à Vérone le 3 avril 1993, j’ai fondé une association  baptisée « Mouvement Tourisme du Vin » entre producteurs, restaurateurs, opérateurs touristiques et experts convaincus des possibilités touristiques des caves. J’ai dirigé cette organisation pendant 9 ans. L’étape suivante, encore plus importante, tendait à déclencher le bouche à oreille. Le dimanche 9 mai 1993, j’ai pu convaincre 100 collègues toscans  lors de la journée «  Caves ouvertes » d’ouvrir de concert leurs structures de production. Les journaux mentionnèrent l’initiative quasiment pour l’unique raison qu’il était fort étrange de voir des sociétés rivales entreprendre quelque chose en commun. Mais à la surprise générale, les touristes arrivèrent. « Caves ouvertes « furent reprises quelques mois plus tard au Piedmont et en automne dans le Trentin avec le soutien économique des institutions locales et avec un grand succès parmi le public.

Nous avons organisé en 1994 des Caves ouvertes dans 14 régions avec 5O3 producteurs. L’évènement devient national en 1995, avec l’adhésion de toutes les régions italiennes. Des brochures sur les caves qui participent sont imprimées. Des panneaux pour indiquer, au moins le jour de l’évènement, le parcours routier vers  les localisations du vin, sont crées. Nous avons imprimé en 1996 le premier catalogue national et ouvert le site internet. L’œnotourisme est devenu un phénomène de tendance fortement soutenu par les médias. J’ai encore imaginé un autre évènement, la « Coupe des étoiles »,  concrétisé avec l’Association « Cités du vin », le 10 août, lors de la nuit des étoiles filantes et destiné aux jeunes consommateurs ,   sur les places publiques ,  avec musique et dégustation.

1997 fut un tournant : après la journée « Caves ouvertes », de nombreuses entreprises décidèrent  d’accueillir les touristes pendant toute l’année. Le flux vers  « les destinations du vin »  avait augmenté, surtout au printemps et en automne, d’où la nécessité de se structurer de façon permanente. L’action du  « Mouvement du tourisme du vin » s’est concentrée sur la formation, en enseignant l’importance des toilettes, des horaires d’ouverture au public et des points de vente organisés. Nous avons demandé la création des Routes du Vin, en mesure d’organiser l’offre intégrée des districts viticoles : nuitées, repas, achats, musées… et évidemment les caves. En 1999, la première loi sur les Routes du vin fut promulguée.

Ceci fut suivit par une période de structuration du tourisme du vin italien : les premiers guides nationaux furent publiés par les grands éditeurs (Touring Club, De Agostini e Mondadori). En même temps la Communauté Européenne finançait les cours expérimentaux pour le personnel du tourisme du vin, organisés en Toscane, Pouilles et Campanie.

L’accueil dans les caves allaient en s’améliorant, mais pas suffisamment par rapport à l’augmentation des flux  touristiques. Au début du nouveau millénaire l’œnotourisme était devenu un phénomène de masse capable de générer une économie et un marché parallèle dans les caves et les zones viticoles.

 

Le tourisme du vin en Italie : une promesse non entièrement tenue

La croissance rapide de l’œnotourisme en Italie a crée des opportunités, mais également des illusions: toutes les villes des régions viticoles espéraient obtenir une Route du Vin et tous les producteurs rêvaient d’accueillir des milliers de touristes sans faire d’investissements; des illusions qui avec le temps sont devenues des déceptions

Une déception justifiée en ce qui concerne le fiasco des 170 Routes du vin, crées quasi uniquement pour encaisser des subsides publics et presque toutes incapables d’organiser, promouvoir et commercialiser l’offre des terroirs.

Le tourisme du vin a continué à croître (3,6 % par an), augmentant les flux et le business de façon supérieure au secteur du tourisme italien durement frappé par la crise économique et le ralentissement notoire des arrivées de l’étranger.

 

Caves italiennes ouvertes au public

Les caves ouvertes au public en Italie sont au nombre d’environ 21.000. Toutefois, celles qui réellement bénéficient d’un point de vente, d’une salle de dégustation, d’une visite avec guide polyglotte, de toilettes…sont environ 1500. Dans les autres, l’offre se limite à la vente et aux dégustations.

La région viticole de Toscane est toujours présente dans les classements internationaux. Toutefois le tourisme du vin augmente partout et particulièrement au Piémont, au Veneto et en Sicile.

Alors qu’au début les caves préexistantes étaient seules adaptées à l’accueil touristique, désormais toutes les nouvelles caves ont été conçues pour offrir dégustations, achats et visites.

Dans leur ensemble, nous pouvons les regrouper en 3 types :

  • Les caves fonctionnelles, où tout a été conçu pour réduire les coûts de production et accroitre la qualité du vin. Tout en produisant d’excellentes bouteilles, elles attirent moins les touristes.
  • Les caves monumentales, avec éléments historiques de grande importance, tels que châteaux, villas palladiennes ou projets de grands architectes contemporains.
  • Les boutiques du vin où il est fréquent de rencontrer le producteur et où tout démontre sa passion pour produire un vin unique de grande qualité. Il s’agit de lieux authentiques et non pas construits pour les touristes, des lieux qui racontent l’histoire du terroir.

L’offre touristique s’est enrichie dans les 10 dernières années : beaucoup d’entreprises proposent nuitées et repas typiques. Plus récemment, le nombre des « wine wedding » a augmenté, ainsi que  des cours de cuisine, des parcours de randonnée, des centres de bien-être avec thérapie au vin.

Une évolution vers les aspects récréatifs et didactiques répond au nouveau besoin des touristes  de vivre  leur voyage comme une  expérience unique et participative où l’ingrédient de divertissement a un effet relaxant et régénérant sur les participants. Le nombre des voyages «impromptus» où les voyageurs eux-mêmes établissent leur parcours, heure par heure, utilisant le téléphone ou le système de navigation de la voiture, augmentent. D’où l’importance du web par rapport aux visites des caves.

 

 

Les touristes du vin en Italie

Les touristes du vin en Italie représentent environ 5 millions, chiffre difficilement contrôlable par manque d’études sérieuses à ce sujet. Beaucoup d’entre eux visitent plusieurs caves chaque année et en fait Nomisma (Wine Monitor 2014) estime les entrées globales à 10 millions.

Il s’agit en général d’hommes entre 30 et 50 ans à scolarité et revenus importants ou très importants. 38% d’entre eux sont étrangers (MTV Cst 2012) Ils voyagent en couple ou en petits groupes, rarement en solitaires.

Le touriste est attiré par les lieux de production pour un ensemble de motifs concernant la qualité du terroir avec une attention particulière pour son authenticité (23 % enquête Censis Services pour les Villes du vin 2013), pour la culture (19%), pour l’œnotourisme (17) et pour le vin (13 %).

L’importance du paysage dans le choix des destinations du vin («wine destination») se manifeste dans toutes les enquêtes fournies au cours des ans (Nomisma 2014) et démontre la croissance d’un nouveau besoin de naturel et de salut. Il est donc évident que le  vin à lui seul ne suffit pas à créer les flux vers les districts viticoles.

Dans leur très grande majorité les voyages du vin sont journaliers, soit des excursions qui se terminent en quelques heures (86 %). Toutefois 14% des voyageurs combinent leur expérience parmi les fûts avec une nuitée. Seul un petit nombre prolonge le voyage pendant plusieurs jours (WineNews 2012).

Bien que l’œnogastronomie, après la culture,  est  pour ceux qui ont décidé de venir en Italie, le deuxième motif de voyage, la part des visiteurs mus par un intérêt prédominant pour œnogastronomie reste minoritaire, estimée par Nomisma-WineMonitor à 9% pour les étrangers et à 4,5 % pour les compatriotes. Cette donnée  diminue encore si l’on considère l’œnogastronomie comme la raison exclusive du voyage. En ce cas, selon Bankitalia, les étrangers seraient 730.000 par an.

Les personnes qui visitent les caves italiennes peuvent être regroupées en 3 grandes catégories:

  • Les touristes sans intérêt spécifique pour l’œnologie (1,5/2 millions). Petits acheteurs, ils voyagent souvent en groupe, ils expérimentent la visite comme un divertissement, qui doit être rapide avec explications animées et anecdotes.
  • Les touristes du vin (2/3 millions), le groupe le plus nombreux, qui choisissent les caves en fonction de leur réputation. Durant l’année ils lisent des ouvrages sur le vin et fréquentent des dégustations ou des évènements dédiés au vin. Ils sont à la recherche d’informations et d’expérience nouvelles et ont un grand penchant à acquérir des bouteilles chères.
  • Les amants du luxe et les grands experts (5-800.000). Ils sont moins nombreux mais doivent être soignés avec attention. Ils désirent rencontrer l’œnologue ou le propriétaire et être les premiers à goûter des choses exclusives. Les amants du luxe achètent uniquement des vins de rares excellences, tandis que les grands experts les voudraient gratuites en échange d’un article.

En Italie les groupes en car dirigés vers les caves sont en augmentation. Ils sont de deux sortes: ceux qui s’arrêtent à la campagne lors d’un parcours culturel ou ceux qui font une visite de vignoble dédiée exclusivement au vin. La première catégorie est typique des grands opérateurs touristiques qui offrent une visite d’une semaine en Italie. La seconde est proposée surtout via internet par de petites entreprises de incoming qui cherchent les touristes à leur hôtel en mini-car, les emmènent dans deux caves, leurs font consommer un repas typique et les ramènent à l’hôtel.

Désormais Internet a dépassé le bouche à oreille comme moyen d’attirer les touriste du vin : 89 % web, 76 % le bouche à oreille, 44% les Routes du vin, les agences de voyage, 18% les offices du tourisme (Censis pour les Villes du vin 2013). Le touriste du vin est fort actif en ligne. Une enquête effectuée  par le Centre des études sur le Tourisme pour le Mouvement tourisme du vin en 2012, révèle que le visiteur des caves utilise internet 6 fois plus que la moyenne italienne.

 

Business du tourisme du vin italien

 Le chiffre d’affaire du tourisme du vin en Italie est estimé à 5 milliards d’Euro et a généré des dynamiques de développement dans tous les principaux districts viticoles, donnant lieu à une économie parallèle, constituée d’hôtels, agrotourismes, restaurants, négoces, guides, sociétés de incoming…

46,6 millions d’étrangers sont arrivés en Italie en 2014. Ils ont dépensé 34.240 milliards d’Euro. A ceci s’ajoutent les dépenses des touristes italiens pour un total d’environ 74 milliards. L’on estime que plus de 16% de ce chiffre énorme est constitué de produits agroalimentaires, dont le vin en position dominante.

A côté du shopping touristique proprement dit, les caves accueillent aussi des italiens désireux de s’approvisionner. Un tiers des italiens (28 % Doxa 38% People HQ24  enquête en 2013) achète le vin au lieu d’origine et s’adresse surtout aux caves de leurs régions. Les motivations de ce choix résident surtout dans le désir d’acheter une meilleure qualité et d’obtenir de meilleures garanties de salubrité grâce à la visite des procédés de production

Apparemment, durant la crise, la tendance à faire ses achats en cave a augmenté, en connexion avec le désir de maintenir un haut niveau de qualité tout en dépensant moins.

Les grandes  sociétés elles-aussi tirent bénéfice de la vente directe et l’analyse des 25 caves italiennes majeures effectuée par Mediobanca en 2014 indique que 8,4 % de leur chiffre d’affaire proviennent du point de vente et que ce pourcentage monte à 16,6% pour les vins de haute gamme.

En fait, ce sont justement les grande caves, ou tout au moins les caves moyennes, celles avec un chiffre d’affaires annuel d’au moins 100.000 euro, qui bénéficient le plus de la vente directe, comme le démontre l’enquête de Wine2Wine de 2015, alors que l’œnotourisme avantage moins les petites caves qui en Italie sont l’immense majorité.

En principe le touriste du vin est parmi les catégories avec les plus grandes dépenses journalières. Pour chaque Euro dépensé en vin, il en dépense 4 pour des achats d’autres types. L’achat de bouteilles dans les caves représente seulement la moitié de ce qu’il paye (Enquête Cst pour MTV 2012). Même pendant les terribles années de la crise économique, la dépense journalière des touristes du vin a continué à augmenter, concentrée sur les achats (41 %), les nuitées (29 %) et les repas (20 %)

 

Le future du tourisme du vin en Italie

Les touristes ne peuvent pas augmenter en nombre illimité ans les petites localités rurales. Les flux doivent être limités et gérés de façon à créer un développement économique, des jobs et une diversification du tissu productif, sans endommager l’identité locale.

Le tourisme et le tourisme du vin ont contribué à sauver les centres habités et les maison de campagne de l’abandon et de la destruction. Il existe toutefois un revers à la médaille dû à la détérioration touristique avec les processus d’approbation de falsification qui le caractérisent. Ceci aboutit à faire perdre aux destinations leur charme et les faire peu à peu déserter par les touristes les meilleurs. Il convient donc de le contenir en tenant compte des conditions qui le favorise

  • plus l’écart entre la capacité financière des résidants et celle des touristes est importante plus grande sera la modification du tissu commercial.
  • les stéréotypes conditionnent l’attente des clients et poussent l’offre à  correspondre à ceux-ci, falsifiant les caractères propres.
  • plus la population est réduite, plus le rapport touristes/résidants sera défavorable; plus la saison touristique sera longue, plus rapide sera l’augmentation de la dégradation touristique.

Il est évident que le tourisme italien du vin a besoin d’une mise en scène nationale qui assure la sauvegarde des terroirs où les flux touristiques sont plus consistants et par ailleurs les fasse croître dans tous les autres. Une stratégie qui tend à rendre les districts viticoles plus accessibles  aussi bien virtuellement que réellement, avec de meilleures liaisons aux aéroports. Il est nécessaire de restructurer les Routes du vin et tout le système de l’offre territoriale. Il est en même temps nécessaire de planifier la communication et la commercialisation nationale de l’œnotourisme en usant de façon moderne la technologie digitale.

Le moteur économique et de développement représenté par l’œnotourisme italien ne semble utilisé qu’à 20% de sa capacité et est donc pour le pays une importante ressource  qu’il convient d’utiliser au mieux.

Donatella Cinelli Colombini Berlino 3 dicembre versione fr-ok
Donatella Cinelli Colombini Traduzione fr conferenzaBerlino