L’adjectif noble peut être accepté de deux manières lorsqu’il est appliqué au vin. Dans l’une, de même qu’un homme noble appartient à une classe distinguée ou privilégiée dans l’Etat, par droit de naissance, noble d’extraction, un vin peut être noble par son origine. Dans l’autre, au figuré, est noble celui qui est éminent, plein de grandeur et d’élégance, relevé au-dessus des autres. Ces deux acceptions se retrouvent dans le substantif noblesse, qu’elle désigne la qualité de ceux qui sont élevés au-dessus des roturiers par des lettres du prince, qu’elle dépende de la personne et non des aïeux avec l’élévation, la dignité, les vertus et l’élégance. Appliqués aux vins, ces deux termes correspondent à la noblesse de l’origi/led’une part, et d’autre part, à la /loblesse i/ltri/lsèque qui émane de leur substance même. L’une et l’autre sont distinguées dans ce mémoire. Mais il convient de préciser que cette analyse, réalisée depuis la France, n’a de valeur exhaustive que sur le plan des principes.

I – DE LA NOBLESSE INTRINSEQUE DES VINS

Les notions de grandeur, de dignité et de vertu n’ont aucun sens à propos du vin, qui ne peut être jugé que d’après l’agrément de celui qui le boit. Certes, c’est là une donnée subjective, mais personne ne trouve agréable un vin qui n’est ni fin ni délicat, personne ne retire une satisfaction d’un vin qui ne procure que des sensations grossières et vulgaires. La finesse du vin est la première condition de son agrément, partant de sa noblesse. Elle peut être appréhendée scientifiquement à partir du fruit de la vigne; en effet, le phénomène naturel de la fermentation alcoolique et les interventions humaines qui l’accompagnent et qui la suivent pendant l’élevage et la conservation du vin, ont bien le moût de raisin pour point de départ.

Les milliers de variétés de vigne connues et conservées de nos jours, en culture ou en collection, portent des raisins différents et donnent des vins qui peuvent être très éloignés les uns des autres; la variété, le cépage, comme il est dit couramment en français, est au commencement de l’analyse des facteurs agronomiques de la production du vin. Or, chez toute variété, chez chaque cépage donc, les caractères directement apparents, ainsi que consécutivement ceux du vin, sont commandés par deux sortes de facteurs.

1 – Le patrimoine génétique détermine des caractères constants chez chaque cépage; c’est grâce aux facteurs génétiques que le Cabernet Sauvignon, par exemple, reste identique à lui-même et parfaitement identifiable, d’un continent à l’autre et quelle que soit la latitude.

2 – Les causes du fluctuation agissent sur les ceps, les souches, exemplaires innombrables des cépages les plus cultivés; elles comprennent, avec les effets du climat et ceux du sol, les conséquences des pratiques culturales (la taille notamment). On peut leur rattacher les pratiques œnologiques qui portent sur les vendanges, sur les moûts ou sur les vins.

Ces deux domaines sont indépendants: aucune cause de fluctuation ne peut modifier un cépage donné, et deux cépages ne peuvent donner le même produit, même lorsqu’ils supportent les mêmes influences. Le fil conducteur de l’analyse agronomique de la noblesse intrinsèque des vins se présente donc sans la moindre ambiguïté: il comprend à la fois le patrimoine génétique et les causes de fluctuation, qui sont à envisager dans cet ordre naturel.

LE PATRIMOINE GENETIQUE: LE CEPAGE

Les différences considérables qui séparent les vins des diverses variétés sont perceptibles par l’analyse et par la dégustation. Les caractères physico-chimiques des vins, principalement la proportion d’alcool et l’acidité, découlent des sucres et des acides contenus dans le moût. D’après ces données, les vins se classent en vins de garde (aptes au vieillissement) alcooliques et acides, en vins alcooliques et peu acides propres à l’élaboration de vins généreux – qui ensemble, réunissent la plupart des vins nobles – en vins de table (à boire jeunes) et en vins adaptés à la production des eaux-de-vie parce qu’ils sont peu alcooliques et très acides.

Un classement des cépages par leur patrimoine génétique est ainsi déterminé: cépages à vin de garde (Chardonnay), à vin de table (Aramon), à vin généreux (Grenache), à vin à distiller (Folle blanche).

La saveur et le parfum sont également des propriétés génétiques. Les cépages à saveur simple, les cépages aromatiques (Sauvignon p.e), les cépages musqués, correspondent à des différences évidentes, avec une infinité de nuances dans chaque groupe. L’analyse est encore éloignée de la maîtrise complète de ce problème. Par l’agrémentla finesse du vin, qui relèvent uniquement de la dégustation, un classement des cépages est toujours possible; entre les cépages fins, que certains disent nobles (Pinot, Chardonnay, Riesling Rhénan, p.e) et les plus grossiers (Aramon, Terrets, Durif et même Folle blanche), il existe une classe intermédiaire (Ugni blanc = Trébiano, Gamay, Carignan, p.e). Les propriétés des variétés sont aujourd’hui assez bien connues dans ces trois directions pour ne pas échapper aux experts. Elles permettent d’établir une grille dans laquelle les ampélographes généticiens situent les variétés nouvelles créées par croisement.

LES CAUSES DE FLUCTUATION

Lorsqu’elles agissent sur des exemplaires (souches, ceps) d’un cépage donné, elles ont pour effet principal d’influencer la teneur en sucres des moûts et la teneur en alcool des vins; les

autres constituants varient en même temps, soit dans le même sens (couleur, agrément du bouquet), soit en sens inverse (acidité). Comme la finesse des vins d’un cépage disparaît progressivement lorsque le degré alcoolique s’affaiblit, les facteurs de la noblesse des vins peuvent être évalués d’après leurs effets sur la teneur en sucres des moûts. Dès lors, le problème qui n’est certes pas très simple, peut être abordé d’une manière élémentaire.

La vigueur des souches

Les sucres sont synthétisés à la lumière à partir du C02 de l’air, d’autant plus abondants que la surface foliaire est plus grande. Ils empruntent plusieurs directions au cours de la maturation. Une partie utilisée par la respiration, est dispersée dans l’atmosphère comme C02. L’autre partie est déposée simultanément et parallèlement comme sucre dans les baies et comme amidon dans les parties vivaces (racines, tiges et bras, sarments). La partie déposée dans les baies est une masse d’autant plus importante que celle qui est perdue au cours de la respiration est plus petite. Il en est ainsi chez les souches faibles, qui ont cessé toute croissance des rameaux pendant la maturation et dont le feuillage plutôt vert clair, est bien ensoleillé; au contraire, chez les vignes vigoureuses, à feuillage très vert, abondant et touffu, le métabolisme des sucres (la respiration) reste assez actif pour diminuer significativement le dépôt des sucres dans les baies.

Le rendement

La teneur en sucres des baies est une proportion. Pour une masse totale de sucres déposée dans les baies, cette proportion – le degré alcoolique du vin – est d’autant plus élevé que le nombre de baies, ou leur volume, est plus petit, c’est à dire que le rendement par pied est le plus faible. Ce n’est presque qu’une question de dilution. Finalement, les rapports de la teneur alcoolique des vins, et par suite, de leur finesse et de leur noblesse avec l’état des vignes peuvent entrer dans un schéma relativement simple. A l’extrême, qui est le cas le plus favorable à la noblesse du vin, les souches sont faibles, avec un feuillage peu important, de nuance relativement claire, bien ensoleillées, chacune portant un petit nombre de grappes. A l’autre extrême, le cas le plus défavorable, les souches sont puissantes et vigoureuses, avec un feuillage vert foncé, développé et touffu, parfois encore en croissance pendant la maturation et avec une charge en grappes (rendement) importante.

Il est certes tentant d’imaginer des plantes à feuillage très développé et à faible métabolisme supposées être les mieux disposées pour une production élevée de sucres, compatible avec un rendement important; mais, c’est là une vue de l’esprit: un tel feuillage ne peut s’édifier sans une croissance active qui exige un métabolisme intense, toujours nuisible pendant la maturation.

CLIMAT ET FINESSE DES VINS

La température moyenne de l’air et la durée d’éclairement – intervalle lever – coucher du soleil – observées quotidiennement pendant la période de vie active (lorsque la vigne à des feuilles), d’une part, et d’autre part, la température de l’air pendant la maturation, sont les deux critères climatiques habituellement retenus.

La température de l’air et la durée d’éclairement

Prises conventionnellement comme mesures de l’énergie parvenant au sol, elles sont considérées relativement au cépage cultivé, à ses exigences climatiques propres, autrement dit à sa précocité. Lorsque les possibilités climatiques locales couvrent les exigences du cépage, la maturité est parfaite, mais lorsqu’elles sont insuffisantes, les baies ne mûrissent pas complètement. La qualité et la finesse du vin sont alors affectées: le vin est moins alcoolique et plus acide, ce qui est classique, mais il est en même temps plus grossier par deux mécanismes; d’un côté, les constituants solubles de la vendange ne peuvent pas atteindre le terme le plus favorable de leur évolution biologique, comme c’est le cas des tanins dont la polymérisation progressive est arrêtée, ce qui accentue l’astringence ; d’un autre côté, au lieu de devenir succulentes et de se présenter comme des enveloppes pleines de liquide, les baies incomplètement mûres restent fermes et croquantes en conservant, dans la pulpe, des cellules à parois intactes et à protoplasme abondant, tous matériaux qui communiquent au vin, même lorsque la vinification est faite en blanc, des goûts herbacés, toujours grossiers et une odeur sans agrément. L’obtention de vins fins ou nobles requiert donc une exacte adaptation des exigences climatiques des cépages aux possibilités locales. Il n’est pas possible de cultiver des cépages trop tardifs en vue de la production de vins nobles.

La température durant la maturation des vins

Elle détermine l’équilibre sucres/acides du moût (alcool/acides du vin) parce qu’elle influence la respiration de la plante et la perméabilité des membranes: les moûts sont plus sucrés et moins acides lorsqu’elle est élevée, alors que par temps froid, ils sont plus acides et moins sucrés. Ces données, ENSEMBLE, orientent le choix du cépage en un même lieu, la nature de la production (vin de garde, vin généreux, p.e.) et établissent des différences, parfois considérables, entre les millésimes; elles conduisent à distinguer avec évidence les vins obtenus à latitude élevée (peu alcooliques et acides) ; de ceux qui sont produits dans les pays chauds (alcooliques et peu acides). Une vocation des climats est donc manifeste.

SOL ET FINESSE DES VINS

Plusieurs mécanismes interviennent dans cette relation :

L’influence climatique du sol

C’est celle de la plate-forme sur laquelle repose la couche d’air qui environne le feuillage de la vigne; c’est la température de l’air qui est à considérer. L’altitude au-dessus du sol est une donnée essentielle; en été et pendant la maturation des raisins, il fait plus chaud au niveau du sol; la température moyenne de l’air diminue lorsqu’on s’élève et les différences sont importantes. Cette donnée impose un mode de conduite tel que le feuillage se trouve aussi près du sol que possible; elle condamne les systèmes à tige élevée en vue de la production des vins fins. Les propriétés de la surface du sol interviennent en même temps. La température moyenne de l’air est plus élevée lorsqu’elle est sèche, caillouteuse. Elle est aussi en rapport avec la couleur du sol. La disposition dans l’espace caractérisée par la pente et l’orientation, qui sont les deux éléments de l’exposition, peut aussi déterminer des différences importantes. Ces facteurs agissent ensemble sur la température moyenne de l’air qui environne le feuillage; leur action vient modifier les facteurs climatiques généraux pour, sous une même latitude, créer des situations locales plus favorables que d’autres à la production des vins fins.

L’eau et l’azote

Pris dans le sol, diminuent la teneur en alcool et la finesse des vins, au delà d’un certain niveau. Favorable à la croissance, leur absorption rend les vignes plus vigoureuses, augmente la fraction métabolisée des matériaux synthétisés et diminue la quantité de sucres déposée dans les baies. La finesse est, en plus, affectée défavorablement, comme cela a été dit plus haut, par la persistance des parois et du protoplasme des cellules dans la pulpe des baies mûres : les substances cédées au vin sont désagréables au goût et à l’odorat ; il n’est d’ailleurs pas exclu que des substances synthétisées indésirables deviennent perceptibles dans le vin des vignes vigoureuses à métabolisme intense. L’absorption d’azote dépend non seulement de la teneur en N du sol mais encore de la proportion de terre fine, excluant les cailloux et les graviers ; elles déterminent ensemble, les ressources en N de la couche colonisée par les racines. Des sols profonds, homogènes (sans cailloux, ni graviers), à teneur en N élevée, ne conviennent pas à l’obtention de vins nobles.

L’absorption de l’eau, dans ses rapports avec la vigueur des vignes, dépend de la structure physique de la terre, de sa capacité pour l’eau, du régime des pluies, de l’évaporation et de la transpiration; elle est directement soumise aux conditions climatiques. L’action de l’eau et de l’azote s’exerce presque directement sur le degré alcoolique et sur les autres caractéristiques du vin qui varient en même temps que le degré. L’obtention de degrés naturellement élevés, auxquels la noblesse est subordonnée, n’est pas possible dans les sols frais, profonds (avec de fortes ressources en azote), tels qu’ils se présentent dans les plaines et le fond des vallées; elle exige des sols pauvres, soumis au dessèchement – sans excès – pendant la période de maturation ; ce sont, en général, des sols hétérogènes, en pente parfois prononcée.

Les autres minéraux absorbés

Des cations majeurs (calcium, potassium, magnésium) et des éléments mineurs (ou oligo-éléments), agissent chacun d’une manière spécifique, sur une ou plusieurs fonctions physiologiques de la plante et, consécutivement, sur la synthèse des constituants du vin qui, en très grand nombre, sont les éléments de la saveur et du bouquet. Le spectre des cations absorbés dépend, notamment, de la nature et de la concentration des éléments minéraux présents dans la solution du sol dont la composition est directement en rapport avec les espèces minéralogiques qui constituent les particules solides. Les constituants du vin et donc sa finesse, se trouvent ainsi rattachés au cortège des minéraux lourds et des argiles qui caractérisent chaque formation géologique; celle-ci est un facteur important, sinon décisif, de l’originalité des vins.

Rapport du sol avec le cépage

Chaque variété présentant des particularités dans les fonctions physiologiques et dans les constituants du vin, l’agrément de celui-ci n’est perçu à son meilleur niveau que lorsque les constituants sont dans les proportions voulues. En conséquence, les caractéristiques d’un cépage ne s’épanouissent que lorsqu’il est établi dans les sols d’une composition minéralogique donnée, en rapport avec la (ou les) formation(s) géologique(s) d’une aire plus ou moins vaste. Ce même cépage peut donner de bons vins dans d’autres sols, mais ce sont des vins différents par la saveur et le bouquet et par la noblesse. On connaît plusieurs exemples de cépages fins dont le vin perd toute sa noblesse dans certains sols sans que ceux-ci modifient sensiblement la vigueur.

PRATIQUES CULTURALES ET FINESSE DES VINS

La finesse des vins, leur noblesse, est influencée par les pratiques culturales; celles qui jouent le plus grand rôle sont évoquées ici.

La densité de plantation

Le nombre de pieds par unité de surface est un facteur important de la vigueur des souches: la vigueur diminue lorsque la densité augmente parce que les ressources du sol en matière de matériaux utiles (eau et azote) sont partagées entre un plus grand nombre de systèmes de racines. C’est aux vignes à haute densité qu’appartient la possibilité de donner les moûts les plus sucrés et les vins les plus alcooliques, les moins acides et les plus fins; lorsque la densité de plantation diminue, la vigueur augmente, le degré s’abaisse, l’acidité s’élève et la finesse se perd.

La disposition : les plantations

La disposition des plantations (en carré, en lignes, etc … ) ne modifie que faiblement la vigueur des souches mais elle peut influencer l’ensoleillement du feuillage et agir ainsi plus ou moins favorablement sur la finesse des vins.

La taille

La taille intervient de plusieurs manières :

  1. Elle détermine le nombre des yeux, ou charge, portés par la souche après l’opération et, consécutivement, le nombre des rameaux feuillés, celui des grappes, et le rendement par pied. Les vins les plus fins sont obtenus avec un faible rendement, et donc avec un petit nombre d’yeux laissés à la taille.
  1. Elle influence la disposition du feuillage, d’une part par son arrangement dans l’espace qui correspond à un plus ou moins bon ensoleillement de toutes les feuilles, d’autre part par son altitude au-dessus du sol: les moûts les plus sucrés sont obtenus sur les vignes dont les feuilles, régulièrement disposées et bien ensoleillées, sont situées le plus près possible du sol où la température est la plus élevée en été et pendant la maturation.
  1. Elle agit sur la vigueur par la longueur donnée à la tige et aux bras: l’allongement diminue la vigueur et favorise l’obtention des moûts les plus sucrés. On concilie la proximité du sol avec l’allongement de la tige en inclinant celle-ci selon un angle de plus en plus aigu avec l’âge (la longueur) : c’est la conduite à traîne qui a été en usage dans de nombreux vignobles français producteurs de vins nobles.

La fertilisation

La fertilisation joue un rôle qui peut être vu à travers celui de l’azote car ce minéral est le seul qui exerce une action favorable à la vigueur et défavorable à la finesse des vins. Les autres minéraux n’ont pas d’effet équivalent ; en conséquence, l’obtention des vins nobles requiert l’abandon de fumures azotées, quelle qu’en soit la forme, ou au moins, une très sage modération de leur emploi.

L’irrigation

L’irrigation a des effets négatifs sur la teneur en alcool et sur la finesse des vins.  En résumé, les vignes propres à l’obtention de vins nobles se présentent avec une haute densité de plantation, des souches basses, à bras longs, peu chargées, avec les rameaux près du sol, bien détachés et bien éclairés, ne recevant que peu ou pas d’azote et non irriguées.

Les porte-greffes

Les porte-greffes interviennent dans les deux domaines auxquels appartiennent les constituants du vin qui sont en rapport avec le sol.

  1. Les porte-greffes sont plus ou moins puissants, ils communiquent plus ou moins de vigueur au greffon qu’ils portent : leur action sur la vigueur du greffon s’ajoute donc à celle du sol, en fait à celles de l’eau et de l’azote. Les porte-greffes puissants (rupestris du Lot, 110 R, S04, etc … ) agissent défavorablement sur la finesse et la noblesse du vin.
  2. Les rapports du sol avec les constituants du vin, autres que l’alcool et l’acidité, s’établissent à travers le porte-greffe dont les racines sont substituées à celles du greffon; le spectre des ions livrés par les porte-greffes n’est donc pas celui qui caractériserait l’absorption directe par les racines du greffon. En réalité, les modifications de l’alimentation minérale du greffon n’ont été observées que dans les cas extrêmes, avec Fe, Mg, par exemple, sans que cela signifie qu’il n’existe pas d’influence des porte-greffes sur la saveur et le bouquet des vins.

Mais jusqu’ici, elle n’a pas été perçue et c’est la puissance des porte-greffes qui est tenue pour le facteur le plus actif sur la finesse et la noblesse des vins.

Il – PRATIQUES ŒNOLOGIQUES

En bout de la chaîne de production, s’exerçant sur la vendange puis sur le vin, les pratiques œnologiques relèvent de deux domaines :

  1. Les manipulations comme la cueillette, le transport, l’égrappage, la macération des parties solides, le pressurage, la conduite de la fermentation et l’élevage du vin, peuvent n’avoir pour objet que l’exaltation des caractéristiques de la vendange. Bien choisies et bien conduites, elles devraient être favorables à la noblesse du vin.
  1. Les additions de substances exogènes ont une tout autre portée. La plus importante, assurément, est la chaptalisation qui a pour effet d’élever le degré alcoolique au-dessus de la teneur naturelle. Dans ce cas, la finesse du vin est peu différente de celle qui aurait correspondu à la teneur naturelle en sucres de la vendange, et non celle qui est suggérée par le degré du vin élaboré après chaptalisation. Dans un cas extrême, une vendange peu sucrée chaptalisée pour élaborer un vin à fort degré ne peut donner, finalement, qu’un produit grossier et vulgaire.

On peut rapprocher de ces effets, l’addition d’alcool en cours de fermentation ou après. La finesse du vin terminé dépend de celle que lui imprime la vendange de départ. Ces pratiques, et aussi la désacidification par des moyens chimiques, sont contraires à la production de vins nobles; elles sont restées inconnues de la viticulture pendant de longs siècles.

Conclusion intermédiaire

La teneur en alcool, et celle des constituants qui varient avec elle, sont associées à la finesse du vin. Elles dépendent de facteurs classiques : cépages, climat (lumière et chaleur), sol (azote et eau), pratiques culturales. Les autres constituants, responsables de la saveur et du bouquet, sont formés par le cépage et influencés par le sol (composition minéralogique et origine géologique) ; ils sont responsables de l’originalité des vins. Les vins nobles ont à la fois la finesse et l’originalité.

III – DE LA NOBLESSE D’ORIGINE DES VINS

Evoquer la noblesse d’origine des vins conduit à s’interroger sur la naissance des vignobles et sur leur évolution.

ORIGINE DES VIGNES CULTIVEES

Les vignes ont existé au tertiaire, avant la présence de l’homme sur le globe. En Europe, en Asie et en Afrique, elles appartenaient à l’espèce Vitis Villifém L., comme c’est encore le cas aujourd’hui de tous les cépages nobles. Les peuplements naturels s’établissaient et s’entretenaient par le semis de graines transporté par les oiseaux dans leurs dortoirs et aussi ailleurs. Le patrimoine original s’est appauvri au cours des âges géologiques par l’effet des glaciations et, pendant la période historique à la suite des défrichements et, dans une certaine mesure, de la sélection pratiquée par l’homme. Toutefois, les vignes sauvages ont coexisté avec les vignes cultivées jusqu’au XIXème siècle, qui a vu l’introduction en Europe, depuis les Etats-Unis, de parasites très actifs, l’oïdium, le phylloxera et le mildiou.

Les derniers témoins de la flore primitive ont été observés dans la vallée du Rhin (Ch. OBERLIN, 1880), en Afrique du Nord (TRABUT 1889) et encore en France dans les vallées pyrénéennes (CLAVERIE 1949). Mais les études les plus développées ont été conduites dans la vallée de la Neretva en Yougoslavie (TURKOVIC, 1954), et surtout en U.R.S.S. avec A.M. NEGROUL (1956). Elles ont permis d’acquérir une bonne idée sur les conditions d’existence des peuplements naturels, sur leurs rapports avec les cépages cultivés, et parfois, sur leur exploitation par l’homme, dans les situations où l’absence ou la faible activité des parasites introduits d’Amérique permettaient leur survie.

Il est ainsi connu que la vigne colonise les rives des cours d’eau et le voisinage des rochers et des pierres où les plantules trouvent, avec la lumière, une humidité suffisante. Lorsqu’elles rencontrent un arbre ou un arbuste, elles s’élèvent avec lui en s’accrochant par leurs vrilles sans toutefois grimper sur les troncs. Le feuillage est mélangé à celui du support mais il se tient à la lumière au sommet des frondaisons. Faute de support, la vigne s’étale en buissons et elle peut former des rideaux sur les parois des falaises. Dans ces conditions, en l’absence de taille, les rameaux restent courts, les feuilles sont petites, les grappes lâches, à baies peu nombreuses. Dans les conditions presque contemporaines, ces vignes sauvages constituent une ressource alimentaire; elles font l’objet d’une cueillette, dans la vallée de Neretva, comme en Asie Soviétique (du Kopet/Dag occidental et jusqu’au Tian Chan), avec transport par des animaux en vue de la consommation, du séchage ou même de la vinification (lorsque le vin est une boisson admise).

En même temps, la mise en culture s’effectue avec des boutures, ou des marcottes séparées, à distance des peuplements naturels; mais les vignes ainsi constituées peuvent être abandonnées en retournant alors à l’état sauvage. La ressemblance entre les peuplements naturels qui ont été étudiés et les cépages actuellement cultivés a été depuis longtemps constatée: vignes de la vallée du Rhin avec le Pinot, vignes de la Neretva avec Kadarka, Klatina, vignes du Tian-Chan avec les variétés cultivées avant l’islam, etc … Il ne fait aucun doute que les cépages cultivés actuellement ont été prélevés dans la flore sauvage, déjà dans des temps très reculés.

MISE EN CULTURE

Les premiers occupants du territoire qui est aujourd’hui la France ont donc connu la vigne, cueilli ses grappes, et ont acquis aussi la connaissance du vin, selon les témoignages constitués, par l’accumulation de pépins dans certaines stations préhistoriques. Réalisée par la plantation et l’entretien de sarments prélevés dans le voisinage, la domestication ne pouvait être menée à bien que par des sédentaires; la vigne n’était pas parmi les premières plantes cultivées pendant le lent et difficile passage de la vie de chasse à la vie agricole. A l’aube des temps historiques, la mise en culture était effective depuis longtemps chez les Gaulois, les Ligures, les Ibères, d’autres peuples et, vraisemblablement chez les populations néolithiques qui les avaient précédés. Il en a été de même, à des époques plus ou moins lointaines, dans tous les territoires peuplés par des vignes sauvages.

La viticulture de la Gaule indépendante n’a pas laissé de témoignages historiques mais elle ne pouvait pas avoir beaucoup d’importance car la satisfaction des besoins alimentaires, par l’agriculture et par la chasse, ne laissait que bien peu de place à une culture non indispensable, et bien peu de temps pour lui donner les soins attentifs sans lesquels elle cesse de produire. Il n’est pas justifié pour autant d’attribuer aux peuples colonisateurs, aux Grecs principalement, le mérite d’avoir introduit en Gaule la culture de la vigne, des variétés ou des procédés; du reste, les Gaulois étaient tonneliers.

LE VIGNOBLE GALLO-ROMAIN

La paix nécessaire à la culture de la vigne a été apportée par la conquête romaine; son essor a été continu, à peine contrarié par l’arrachage ordonné par Domitien en 92 et rapporté seulement au IIIème siècle, dont les motifs auraient été la menace pour les vins Italiens que constituait la production des provinces et, aussi les craintes pour l’approvisionnement de Rome à la suite de la diminution des emblavures. Le vignoble Gallo-Romain n’a cessé de se perfectionner et de prospérer jusqu’au IIIème siècle, mais les données historiques qui le concernent sont incomplètes et souvent faussées par les chroniqueurs et les naturalistes de l’époque, qui n’étaient pas des spécialistes et qui ramenaient tout à l’Italie, à la Grèce et à l’Orient. C’était bien, cependant, un vignoble gaulois, celui des domaines et celui des bourgs libres; le premier orienté surtout vers la commercialisation et l’exportation, le second vers l’autoconsommation; renforcée par l’assiette de l’impôt de Rome et par le cadastre dressé au 1er siècle, cette structure agraire n’a pas changé au Bas-Empire ni au moyen âge.

Elle a pu être consolidée au IIIème siècle lorsque les puissants ont renoncé à habiter les villes pour se retirer dans leurs villas, et dont la tendance à l’autarcie pouvait être renforcée, la viticulture commerciale prédominant lorsque la situation géographique la favorisait. Mais ce qui caractérise le vignoble gallo-romain, c’est l’orientation commerciale qui lui a été donnée très tôt sur la façade méditerranéenne, le paysage viticole de la Narbonnaise, avec la multitude des implantations, en a été durablement modelé; cette particularité qui ne se retrouve pas dans les autres vignobles français, contribue, avec d’autres raisons apparues depuis, à faire un cas à part du vignoble actuel du Midi de la France. Les ruées dévastatrices des Barbares ont ruiné la viticulture gallo-romaine, déjà au IIIème siècle, et complètement au Vème ; mais faute de brûler comme moissons, et seulement privées de soins (taille), les vignes ont survécu; au pire, elles se sont ensauvagées. Sans doute la culture n’a-t-elle pas été abandonnée partout, ni tout le temps, mais elle a été délaissée par les Germains, Alains et Francs, après l’éviction des propriétaires gallo-romains au Vème siècle. Incapable de produire régulièrement, elle s’est cependant maintenue assez solidement pour nourrir le goût du vin chez les Germains et pour permettre le départ d’un nouveau vignoble.

LA FEODALITE – LES PREMIERS PAS DES VINS NOBLES

La ruine de la viticulture n’a pas été complète comme en témoignent des relations maritimes qui n’ont été interrompues qu’au IXème siècle; sa renaissance s’est produite au sein de la société féodale, en même temps chez les grands et chez les religieux. Les grands tiennent pour règle d’offrir le vin à leurs hôtes et tirent gloire de sa qualité, avec le sentiment, peut-être inspiré par la fascination exercée encore par le monde antique, que tout homme de condition se doit de posséder des vignes, de faire du vin et de l’offrir.

La hiérarchie catholique n’agit pas autrement, dans les sièges épiscopaux comme dans les communautés religieuses, en trouvant la justification d’un certain côté profane dans les règles qui imposent le vin dans les offices et qui le prescrivent dans l’alimentation avec le pain. L’Eglise a joué un très grand rôle dans le développement et le perfectionnement de la culture de la vigne: inaliénables, inattaquables, sans cesse grossis, ses biens fonciers ont été ouverts à toutes les expériences, sous l’autorité d’hommes cultivés; de plus, au cours des IXème et Xème siècles, parmi les plus sombres de l’histoire de France, l’Eglise était la seule force morale et la seule force organisée.

Les traits de cette viticulture du haut Moyen Age ont été modelés par les sévères contraintes de l’époque et, notamment, par les risques de disette qui portaient à privilégier les céréales indispensables en leur réservant les terres les plus productives et les plus faciles à travailler avec les instruments primitifs de l’époque. Les vignes étaient repoussées sur les terres les moins fertiles auxquelles il a été reconnu une aptitude à produire les meilleurs vins. A la fin du VIème siècle, Venance FORTUNAT, le Saint-Evêque de Poitiers, décrivant l’imposant domaine de l’évêque de Trèves, ANICET, qui était un Aquitain, rapporte que la vigne y avait été plantée sur des coteaux stériles, qui ne portaient auparavant que des broussailles et qu’elle y donnait un suc généreux. Le principe fondamental selon lesquels les vignes établies dans les sols les moins fertiles donnent les meilleurs vins, en fait les plus nobles, était donc connu en France il y a quinze siècles, bien avant l’an 1000. Et les autres données essentielles n’étaient pas ignorées: vouée à l’autoconsommation, la culture de la vigne était tournée vers l’agrément du maître de la vigne par la recherche permanente des emplacements, des variétés et des pratiques les plus favorables à la qualité du vin, à sa finesse.

Cette recherche incombait alors à un artisanat viticole né de la spécialisation et de la continuité des travaux de la vigne et du vin; les membres de cet artisanat sont capables d’apprécier la qualité du vin et de la rapporter à l’emplacement de la vigne qui le produit comme aux pratiques de la culture et de la vinification, parce qu’ils fréquentent en permanence les vignes, les pressoirs et les tonneaux. La capacité de juger simultanément les vignes et les vins découle de la facilité des comparaisons dans un champ d’observation relativement étroit : celui qui boit le vin peut voir la vigne qui le produit, les caractéristiques de celui-là s’expliquant par ce que montre celle-ci. De nombreuses raisons militent pour que cette époque de l’histoire de la France ait vu la première phase de la noblesse d’origine des vins. Certes, toutes les situations retenues pour l’établissement des premiers vignobles n’étaient pas toujours les plus favorables, et elles s’imposaient parfois faute de mieux, même pour le choix des variétés. Mais la recherche de la qualité était un souci permanent en dépit des sacrifices et des peines qu’elle exigeait: c’est ainsi que les moines de Pontivy (Yonne) tiraient leur vin des vignes de Chablis, à 20 km, à eux confiées par les religieux de Saint Martin-de-Tours, dès le IXème siècle (R. DION).

Il ne s’agissait pas de grands vignobles mais l’étendue ne faisait rien à l’affaire; ce qui était important c’était le vin, les comparaisons inévitables auxquelles il donnait lieu, et, finalement la renommée qu’il pouvait acquérir, parfois fort loin du lieu de sa production, partout où ceux qui avaient eu l’occasion de le boire pouvaient faire connaître leur sentiment. Aussi devine-t-on les circonstances qui ont entouré la naissance des vins nobles en France: d’un côté la création de vignobles dans les conditions agronomiques voulues par la noblesse intrinsèque du vin, d’un autre côté la renommée qu’ils pouvaient acquérir, condition de la noblesse d’origine.

LA VITICULTURE COMMERCIALE

Avec l’essor des villes et grâce au morcellement des domaines féodaux suivi de regroupements fonciers au bénéfice des bourgeois opulents et des paysans riches, la viticulture change de mains et aussi d’esprit, par l’apport des vertus d’économie et d’organisation ignorées de la société féodale. Elle se tourne vers le commerce en amorçant, dès le Xlème siècle, un mouvement qui ne s’arrêtera plus: l’expédition du vin se développe pour répondre à l’intérêt qui se manifeste dans les cités et à l’étranger comme en Flandre, en Angleterre et plus loin encore. La viticulture reçoit alors une forte impulsion ; elle s’étend aux dépens des autres cultures par des plantations nouvelles suscitées par la demande commerciale en vue de laquelle elles sont établies près des villes, des voies fluviales ou des ports, et par le goût du vin qui fait naître un besoin dans les moindres agglomérations : il se crée ainsi une viticulture commerciale et une viticulture villageoise.

Cette viticulture villageoise trouve les sites favorables déjà occupés et s’installe où elle peut, près des habitations en général; et la force qui l’anime la fera surgir partout, même là où la vigne ne mûrit que misérablement, mais elle arrive trop tard, avec trop peu de moyens et son sort est scellé: à elle les médiocres situations, à elle l’imitation épuisante de la viticulture féodale, à elle de se montrer peu difficile sur le vin qu’elle produit. Ces caractères ne s’effaceront plus; en témoignage aujourd’hui le classement établi en 1855 entre les crus du Médoc (Bordeaux) : au sommet, les crus « classés » (cinq classes), puis les crus « bourgeois » (deux classes) et au niveau inférieur, les crus « artisans et paysans ». On ne peut mieux illustrer la rigidité millénaire de la viticulture française que certains ne manquent pas de critiquer, mais dont il faut avoir en mémoire, avec les bases agronomiques originelles, combien cette rigidité est empreinte de rigueur.

La viticulture commerciale a laissé de nombreuses traces ; c’est elle qui a retenu l’attention des commentateurs et des historiens portés à négliger tout ce qui l’avait précédée, un peu parce qu’elle semblait plus distinguée et moins servile, et, surtout, parce qu’elle est plus facile à pénétrer que l’art du vigneron. L’idée selon laquelle la viticulture est essentiellement matière commerciale s’est ainsi fortifiée au point de prévaloir, bien qu’elle déforme la réalité sociale, le but du commerce étant différent, et même parfois très éloigné, de l’objectif fondamental de la culture de la vigne qui est la satisfaction du goût de l’homme pour le vin. L’orientation commerciale s’est encore accusée, en France, sous l’Ancien Régime avec le morcellement des domaines seigneuriaux et le renforcement de la propriété bourgeoise; la viticulture des grands domaines et la viticulture villageoise ont continué d’être les deux aspects agraires de la viticulture française après la suppression des droits féodaux et la vente des biens nationaux par la Révolution et l’Empire.

LA NOBLESSE D’ORIGINE ET LA VITICULTURE COMMERCIALE

La viticulture primitive ou d’autoconsommation avait pour but la satisfaction des besoins et des goûts de celui qui fait venir les raisins et qui fait le vin pour le boire. Orientée vers l’obtention d’un vin de qualité, elle était animée par la recherche de méthodes qui améliorent l’agrément du vin. La viticulture commerciale, pratiquée par ceux qui produisent le vin pour le vendre, avait – et garde – pour objet le profit dont elle recherche l’augmentation par les méthodes appropriées. La première rapporte directement les caractères et l’agrément du vin aux variétés, à l’emplacement des vignes, aux soins qu’elles reçoivent et aux pratiques œnologiques. Toutes les modifications de ces conditions de production ont des effets sur le vin; les producteurs – consommateurs – les évaluent et mettent en œuvre, pour leur satisfaction, les pratiques les plus favorables à la finesse du vin, à sa qualité en général.

Ce n’est plus le cas dans la viticulture commerciale car celui qui reçoit le vin pour le boire ne connaît pas les conditions dans lesquelles il a été produit. Il ne peut ni vérifier ce qui lui en est dit, ni le rattacher aux caractéristiques des vins. Les méthodes sont donc différentes. Alors que la première fait appel à l’art du vigneron pour obtenir le meilleur vin en se livrant à des comparaisons multiples dans le temps et dans l’espace, en affrontant les vicissitudes ordinaires et les événements exceptionnels, la viticulture commerciale se borne à infléchir ces pratiques pour augmenter la productivité sans considération pour la satisfaction du consommateur et sans autre limite que la désaffection de l’acheteur.

D’une manière générale, la première entretient des vignes faibles, établies dans des sols peu fertiles, avec un grand nombre de pieds à l’hectare, taillées court, peu fumées et non irriguées ; elle peut ainsi obtenir des vins fins d’une teneur alcoolique naturelle suffisante. La viticulture commerciale, elle, taille long des vignes vigoureuses, établies avec un petit nombre de pieds à l’hectare, dans les sols fertiles des plaines ou des vallées, fumées et irriguées, avec des vins naturellement pauvres en alcool qui restent grossiers. La noblesse d’origine est attachée à la viticulture transparente, elle exige avec l’ancienneté historique, la permanence des lieux de production, des variétés utilisées, des méthodes de cultures et des procédés œnologiques. Elle doit pouvoir en fournir des témoignages irréfutables; et il n’est pas inutile de souligner que les producteurs des vins nobles placent l’honneur du vin au-dessus du profit.

PERTE DE LA NOBLESSE INTRINSEQUE DU VIN

Bien des causes et des événements sont intervenus pour pervertir plus ou moins la production des vins nobles.

La fin de l’empirisme et la trahison des clercs

La fin de l’empirisme et la trahison des clercs ont été des plus efficaces. Il est évident que les méthodes avec lesquelles les vignobles ont été établis dès le moyen âge et pendant de longs siècles ne reposaient que sur la tradition orale. Les mises au point étant les résultats des comparaisons effectuées dans les vignes et les celliers, les changements ne pouvaient être que très lents. Les livres consacrés à l’agriculture et à la viticulture se sont bornés, pendant longtemps, à la seule description des pratiques empiriques, ce qui n’affectait en rien les conditions de production des vins nobles. La situation s’est modifiée sensiblement au cours du XIXème siècle, avec par exemple, les trois volumes avec lesquels le docteur Jules GUYOT rend compte de la mission qui lui avait été confiée sous le Second Empire. A une remarquable description des vignobles français – encore non greffés – l’auteur a cru devoir ajouter des commentaires et propositions dont la taille dite Guyot, une taille longue, qui en ont fait, semble-t-il, le premier chantre de la productivité.

Les particularités parfois singulières, des modes de conduite de la vigne en usage dans les nombreux vignobles français, n’étaient évaluées que par leurs caractéristiques économiques, ce qui faisait condamner des pratiques tout à fait justifiées par l’obtention de vins fins. Le premier des hommes de science à rechercher cette justification par des données rationnelles a été le professeur Louis RAVAZ au début du XXème siècle. Après lui, les clercs ont formé deux groupes : l’un, très minoritaire, que l’on peut comprendre comme celui des « vignerons », a poursuivi dans la voie qu’il avait tracée, en contribuant au maintien des vins nobles. L’autre, qui serait celui des « économistes » a adopté les idées du docteur GUYOT et oublié, parfois complètement, que la vigne est cultivée pour le vin avant de l’être pour le profit; et, fort nombreux, les auteurs d’ouvrages de vulgarisation ont épousé cette même cause, qui, fort heureusement, n’a pas rallié tous les producteurs.

Cet abandon intellectuel de la production des vins fins ne peut qu’inspirer regrets, tristesse et amertume; il a malheureusement servi de justification à ce qu’il y avait de plus contestable dans les démarches des producteurs et dans les décisions du pouvoir ou sa passivité.

Le progrès de l’équipement matériel

Le progrès de l’équipement matériel est une des plus importantes causes d’évolution depuis près de deux siècles. D’abord rudimentaires, puis perfectionnés et adaptés à chaque vignoble, les outils à main sont restés en usage pendant des millénaires. L’adoption des instruments attelés (charrues, etc. ) au début du XIXème siècle, puis celle des engins motorisés au début du XXème, ont entraîné des modifications, parfois profondes, du mode de conduite qui avait

été lentement mis au point en vue de la production des vins fins. La circulation des attelages et des tracteurs a exigé l’alignement des souches, la diminution de la densité de plantation et une modification du système de taille qui ont diminué la capacité de produire des vins fins. Si cette évolution est dans le sens de l’histoire, il est évident aujourd’hui qu’elle a été conduite sans discernement, guidée seulement par la diminution des coûts et des frais de main-d’œuvre.

La mécanisation des opérations culturales aurait pu être accomplie en donnant la priorité à la noblesse du vin. Parfois, cependant, (Médoc, p.e.), le mode de conduite traditionnel n’a été que peu modifié: il existait donc des solutions. Mais les maîtres d’œuvre n’en avaient pas conscience, en général. Il faut aussi retenir qu’elle a commencé dans les vignobles producteurs de vins communs destinés au coupage où on ne posait aucune question de qualité. C’est avec une naïveté coupable que les producteurs de vins fins ont suivi le mouvement avec, cependant, des particularités et, parfois, une certaine retenue. Au nombre des effets les plus pernicieux, il faut placer la disparition progressive de l’artisanat viticole qui avait fait la force de la viticulture historique ; les exécutants manuels capables d’exercer intelligemment, à tout instant, les choix nécessaires n’ont pas été remplacés par les machines.

Enfin, systématiquement recherchée, encouragée par ses propres spécialistes et par les industriels, la mécanisation des opérations culturales – et œnologiques – a suscité une débauche d’engins plus ou moins coûteux qui a eu pour corollaire l’endettement des producteurs: la recherche du profit s’est imposée davantage. Que devient alors la production des vins nobles?

L’augmentation du rendement

L’augmentation du rendement a emprunté toutes les voies accessibles ; l’extension des cépages les plus productifs, qui ne sont pas les plus nobles, et l’adoption de la taille longue ont été mises en œuvre dans la majorité des cas, associées à la fertilisation et parfois l’irrigation. L’apport des fertilisants a été considérablement accru, même dans les vignobles donnés pour produire les meilleurs vins. L’apport d’azote, parfois très important, a augmenté la vigueur des vignes et a permis d’élever les rendements, avec des effets négatifs sur la qualité des vins; les sols sont aujourd’hui enrichis durablement en raison de la rémanence des effets de l’azote : en cessant les apports, on ne peut restaurer immédiatement les conditions d’une production de qualité. L’irrigation a une action peu différente; elle peut avoir des effets explosifs lorsqu’elle est associée à la fumure azotée.

La chaptalisation

La chaptalisation est devenue le correctif indispensable pour que devienne suffisant le degré alcoolique des vins de cépages productifs, conduits à la taille longue, fumés, irrigués parfois, et établis à une faible densité de plantation. Sans la chaptalisation et sans les autres procédés d’enrichissement (moûts concentrés, alcool), l’augmentation des rendements aurait été moins importante et la qualité des vins aurait été moins affectée.

L’invasion phylloxérique

L’invasion phylloxérique, qui a détruit le vignoble historique dans le dernier quart du XIXème siècle, a exigé la reconstitution de nouvelles vignes par le greffage sur des vignes américaines résistantes au phylloxéra ; mais alors que bien peu des anciens usages devaient être abandonnés – le provignage – et que rien ne s’opposait, dans la plupart des cas, à la reconstitution d’un vignoble à l’ancienne, tout entier tourné vers la production des meilleurs vins, ce renouvellement a été l’occasion de changements dans l’emplacement des vignes, les cépages, la densité de plantation et le système de taille, motivés fâcheusement par l’augmentation des rendements avec le recours à la chaptalisation.

La culture des hybrides producteurs directs

La culture des hybrides producteurs directs a gravement menacé l’existence du vignoble historique. Justifié par la résistance partielle de ces cépages au mildiou, alors mal maîtrisé, il répondait, en réalité, à des motifs de rentabilité ; les vins d’hybrides s’éloignaient beaucoup des vins nobles par leurs caractéristiques grossières et leur goût souvent étrange. En dépit de ces graves inconvénients, une école de pensée – soutenue par le commerce des plants – s’est consacré à l’étude et à l’extension de ces nouveaux cépages; elle a été favorisée par la situation économique critique des producteurs de vins fins et des vignobles se sont trouvés gravement pollués par les hybrides. Ce problème est un des plus importants parmi ceux que la viticulture française a dû affronter pendant la première moitié du XXème siècle.

La distillation

La distillation a joué un rôle considérable dans les régions où elle a été développée comme en Languedoc. Le perfectionnement des alambics, au début du XIXème siècle, a permis d’atteindre l’échelle industrielle en Languedoc où la presque totalité des 800 000 hl d’alcool consommés en France était obtenue vers 1850. La distillation était l’unique débouché de la majorité des producteurs qui obtenaient les meilleurs résultats économiques avec les plus forts rendements en alcool et, par conséquent, les rendements en vin les plus élevés; la qualité du vin n’était pas recherchée parce qu’elle n’influençait en rien le prix de l’eau-de-vie dont les caractéristiques ne reproduisent pas celle du vin. Les producteurs de vins à distiller (dits « de chaudière ») ne sont pas tenus d’obtenir des vins fins et originaux ; ce sont des traits communs à tous les vignobles producteurs d’eau-de-vie, en France et dans le reste du monde. Le développement de la production et du commerce de l’alcool, avec pour base de transaction le prix du degré-hectolitre du vin, à fortement contribué à l’élimination de ce qui pouvait subsister de la production des vins fins en Languedoc.

Les coupages

Les coupages ont joué le même rôle que la distillation dans la disparition des vins nobles de cette région. Vers 1854, l’oïdium ayant fortement réduit les récoltes Françaises, la production d’alcool de vin, a cédé la place à celle de l’alcool de betteraves; elle n’a pas retrouvé, depuis, sa place jusqu’alors prépondérante sur le marché de l’alcool. Mais la construction des chemins de fer à ouvert un nouveau débouché en permettant le transport rapide du vin produit dans le midi de la France vers les villes où la consommation n’était alimentée jusqu’alors que par les productions du voisinage. Celles-ci ont perdu rapidement du terrain dès que s’est créé un système commercial à deux pôles: un commerce Languedocien achetant et expédiant les récoltes et un commerce symétrique sur les places de consommation, Paris étant la plus importante.

Souvent mélangés avant leur expédition, les vins étaient l’objet d’autres coupages à leur réception; le prix du degré-hectolitre étant la base des transactions, l’objectif des opérateurs étant d’obtenir les prix les plus bas, à l’achat comme avant la vente aux consommateurs. Les vins inférieurs, les vins d’hybrides trouvaient des débouchés parce qu’ils coûtaient moins cher. Rien n’était venu séparer la production des vins de coupage de celle des vins à distiller; la finesse et la noblesse n’est pas prise en compte alors qu’importe, seule, la quantité d’alcool – ou de degrés-hectolitres – obtenue par unité de surface. Et, pour les producteurs, rien n’avait changé; produire en vue de la vente en vrac et du coupage, ou produite pour la distillation, portait à obtenir des rendements aussi élevés que possible, grâce à des cépages productifs et à la plantation de la vigne dans les plaines, les vallées et même dans les situations où la culture des céréales était traditionnelle. Les habitudes acquises pendant un siècle et demi, qui avaient souvent une antique origine, pèsent aujourd’hui lourdement sur la production viticole du Midi de la France, alors que la consommation des vins de coupage diminue d’année en année et qu’une conversion vers les vins fins s’avère nécessaire.

LA SURVIE DES VINS INTRINSEQUEMENT NOBLES

La noblesse intrinsèque des vins était si menacée à la fin de XIXème siècle que la disparition des vins fins pouvait être redoutée. Plusieurs raisons sont intervenues pour leur sauvegarde, plus ou moins efficacement selon les circonstances et les situations.

Rigidité de l’appareil de production

La première est l’extrême rigidité de l’appareil de production par suite de la longue durée des vignes qui agit comme un obstacle à tout changement rapide. Or, si les vignes greffées actuelles peuvent produire pendant près d’un demi-siècle, lorsqu’elles sont bien conduites, les vignes d’autrefois non greffées, avaient une vie plus longue que la durée d’une génération humaine. De plus, la coexistence, sur le terrain même, de vignes d’âge différent a toujours ralenti les modifications dans les pratiques culturales et, en particulier dans le mode de conduite (espacement, alignement, taille).

Fidélité de certains hommeà la production de vins nobles

La deuxième, non la moindre, est la fidélité de certains hommes à la production de vins nobles. Cet attachement pouvait avoir, parfois, des motifs seulement économiques mais il s’est maintenu, le plus souvent, et non sans risques chez les propriétaires de vignobles comme chez ceux qui participent aux travaux dans les vignes et dans les celliers comme descendants de cet artisanat viticole surgi dans les vignobles féodaux. Les uns et les autres sont sensibles à « l’honneur du vin » – selon l’expression d’Olivier de SERRES – dont la production représente, pour l’humanité, beaucoup plus qu’un objectif seulement économique. A vrai dire, si cette attitude a permis la survie des vins nobles, elle a perdu son efficacité lorsque ces producteurs héroïques se sont raréfiés, ou lorsqu’ils ont perdu courage, souvent à l’occasion des changements de génération, alors que s’établissait autour d’eux un climat de connivence sur les pratiques voulues pour la rentabilité et la production effrénée.

L’intervention de l’autorité

La dernière est l’intervention de l’autorité soucieuse de protéger les producteurs et les commerçants honnêtes et d’éviter que les consommateurs soient abusés. Elle s’est manifestée très tôt car, dès le XIVème siècle, en France, elle a cherché à sauvegarder la qualité du vin (prohibition de certaines variétés, interdiction des fumures) et à établir un lien formel entre le vin et sa région de production par la marque à feu des fûts sur le lieu de l’expédition. Mais toutes les règles qui avaient prévalu sous l’Ancien Régime ont été abolies par la Révolution. La viticulture de profit a pu s’épanouir au cours du XIXème siècle dans des conditions libérales et jusqu’à des abus qui ont exigé, de nouveau, l’intervention de l’autorité dont la première peut-être la définition du vin comme le produit de la fermentation de raisins frais, en 1889.

Depuis, elle n’a guère cessé par des règlements de plus en plus détaillés portant sur le vin, sur la vigne et sur la dénomination du vin, de telle sorte qu’il n’est pas de production ni de produits agricoles qui se trouve soumis à des règles aussi nombreuses qui se veulent si rigoureuses qu’on se demande pourquoi la survie des vins nobles peut encore être un problème.

LA GARANTIE DE L’ORIGINE EN FRANCE

Un vin ne peut acquérir de renommée s’il ne présente ni finesse, ni originalité, bref sans noblesse. La renommée du vin – et son prix – est attachée à l’appellation du vin. Les appellations d’origine des vins ont une signification plus complète que les simples désignations de provenance ; elles sous-entendent les caractéristiques du vin (couleur, degré, aptitude à la conservation, saveur, bouquet) et, en même temps, l’emplacement du vignoble  producteur, la variété et les procédés culturaux et œnologiques. La série « nom – vin – vigne » est indissociable. Or, si les consommateurs connaissent le nom et le vin, ils ne savent de la vigne que ce que laissent supposer l’un et l’autre. La dénomination étant fréquemment la cause principale de la vente du vin et l’élément prépondérant de son prix, les autorités françaises ont été conduites à combattre les usurpations en instaurant progressivement des règles de plus en plus précises.

LA LOI DU 1ER AOUT 1905 sur la répression des fraudes dans la vente des marchandises et des falsifications des données alimentaires prévoit expressément la répression des fraudes portant sur l’origine. Sont considérées comme telles les tromperies sur la désignation (des vins) portant sur leur espèce, leur origine lorsque, d’après les usages, l’origine est la cause principale de la vente. La loi du 1er août 1905 est restée comme un point de départ.

LA LOI DU AOUT 1908 a précisé que la délimitation des régions pouvant prétendre exclusivement aux appellations de provenance serait faite en prenant pour base les usages locaux et constants. Cette délimitation était confiée à l’autorité administrative mais, bien que celle-ci ait pu faire aboutir certains de ses travaux (Bordeaux, Banyuls, Cognac), les lacunes de la loi étaient telles que les difficultés devinrent insurmontables, comme en Champagne.

LA LOI DU MAI 1919 introduit alors une réforme profonde en donnant à l’autorité judiciaire la compétence pour défendre les producteurs – qui le demandent – contre les usurpations du nom lorsque le vin ne correspond ni à son origine, ni aux usages de sa production qui doivent être locaux, loyaux et constants. Pendant cette première phase, le législateur ne s’était inspiré, depuis 1905, que la réticence à l’usage, supposé être le bon usage; mais il existait, à l’époque, alors que la France sortait à peine d’une guerre sanglante, ni doctrine claire de justification des usages, ni spécialistes de ces questions. Les tribunaux ont été submergés par l’ampleur de la mission et par ses difficultés.

Le régime des appellations d’origine allait être mis en cause, une nouvelle fois, à l’occasion de l’assainissement du marché du vin qui était devenu fortement excédentaire en une dizaine d’années. La distillation d’une partie de la récolte était imposée mais les producteurs de vins déclarés avec une appellation d’origine, échappaient à ces charges en alourdissant d’autant celles qui pesaient sur les producteurs des vins sans appellation; la production des vins d’origine triplait en quelques années; 2 100000 hl en 1923,5700000 hl en 1934. Une remise en ordre s’imposait.

LE DECRET-LOI DU 30 JUILLET 1935, « organisant le marché du vin » limite l’exemption des charges à une nouvelle catégorie d’appellation d’origine, dites contrôlées, soumises à des conditions de production relatives à l’aire de production, aux cépages, au rendement maximum, au degré alcoolique naturel minimum et aux procédés de culture et de vinification. Ces conditions étaient fixées par un comité formé de membres, nommés par l’autorité publique, appartenant aux professions intéressées, au parlement et à certains services publics. La définition de ces conditions a donné lieu à des opérations sur le terrain consécutives, en fait, à une décision du comité qui ne laissait pas toute latitude aux experts qui en étaient chargés.

Néanmoins, la fixation de conditions assez rigoureuses a été facilitée par la récession du marché des vins d’origine favorable à la limitation des rendements, comme par l’indifférence des producteurs laissés en dehors des aires délimitées; elle doit beaucoup à la volonté des premiers Présidents du comité (CAPUS, baron LEROY) et des membres avec lesquels il a été constitué. Enfin, un contrôle sur le terrain était confié à des agents recrutés à cet effet, au niveau des ingénieurs agronomes, alors que, dans les celliers, il incombait au service de la répression des fraudes et aux services fiscaux .

Des efforts ont été faits pour établir les bases scientifiques nécessaires aux travaux des experts; mais en dépit de leur volonté et bien qu’une synthèse ait été tentée à l’occasion du Congrès International du Vin (Paris) en 1947, la simple comparaison des conditions d’attribution de l’appellation d’origine contrôlée avec les conditions agronomiques qu’exige la production de vins nobles, met en lumière les lacunes de la réglementation. Celle-ci laissait, notamment, toute liberté dans l’emploi des fumures et dans le choix du porte-greffe, qui sont des facteurs importants de la vigueur des vignes et, par suite, de la finesse des vins; elle se montrait peu rigoureuse sur la chaptalisation; enfin, elle ne prenait en compte que d’une manière très vague l’importance du sol sans mentionner le rôle des espèces minérales avec lesquelles il est constitué.

Or, avec le cépage, le sol est bien un facteur essentiel de l’originalité des vins ; il n’était évidemment pas possible d’en tenir compte au cours de la délimitation des aires les plus étendues (régionales : Bordeaux, Bourgogne, p.e.) qui sont agrologiquement hétérogènes ; d’ailleurs, ce n’était pas dans l’intention du législateur, lequel, depuis la loi de 1905, avait constamment fait référence aux usages qui n’étaient plus, cependant, à la fin du XIXème siècle, une base suffisante du point de vue agronomique. Et, même, en ne respectant pas même l’usage, dans plusieurs cas, on paraissait manquer de convictions. Ces dispositions, à l’actif desquelles il faut cependant mettre le redressement spectaculaire de la production Française des vins d’origine, ont donc souffert de l’absence de bases agronomiques suffisantes, sans lesquelles elles ne pouvaient s’opposer avec succès ni à la recherche systématique du profit par les professionnels, ni à la démagogie des élus et, encore moins, à la tentation du pouvoir de les utiliser comme moyens d’une politique économique très attachée au développement des exportations. Dans ce vide allait s’engouffrer la production des vins d’origine après la seconde guerre mondiale et parfois s’y perdre.

UNE METHODE s’offrait cependant aux experts pour la détermination de la formation géologique sur laquelle était établie la zone du bon usage de l’appellation d’origine. Un des premiers mémoires scientifiques à retenir était celui de E. ROUSSEAUX et G. CHAPPAZ (1904) relatif aux sols de Chablis. Les auteurs ont constaté que le vignoble de l’époque, encore assez proche du vignoble traditionnel, était établi sur les sols de marne kimméridgienne recouverte de colluvions portlandiennes. C’était là le véritable Chablis exactement délimité par le tracé géologique. La méthode est applicable en général. Elle consiste à recourir d’abord aux cartes anciennes qui donnent la situation de l’ancien vignoble qui est au départ de la renommée des noms d’origine; la première, la carte du CASSINI (environ 1 : 86400) dressée à la fin du XVIIIème siècle et au commencement du XIXème, donne la topographie et la situation des vignes; mais elle est peu précise et parfois incomplète, les vignes n’étant pas représentées dans une région au moins.

Beaucoup plus exacte est la carte au 1 :80.000 dressée au XIXème siècle par les officiers de l’Etat major; les premières feuilles correspondant aux premiers levers, avant les chemins de fer, donnent la situation des vignes avant le milieu du XIXème siècle, à une époque où le vignoble traditionnel n’avait été encore que peu modifié. Avec ces matériaux, il est possible, pour chaque vin d’origine, de situer la zone de plus grande fréquence des vignes qui a les plus grandes chances de correspondre à la plus grande fidélité aux usages avec lesquels le vin a acquis sa renommée. On peut identifier alors la formation géologique caractéristique dont le tracé, sur les cartes géologiques modernes, donne avec exactitude l’aire délimitée de laquelle sont à exclure les terrains impropres (humidité, profondeur du sol, exposition, etc.) ce qui n’offre pas de difficulté.

On peut regretter aujourd’hui, que cette méthode, ou une autre aussi rigoureuse, n’ait pas été retenue au cours des opérations de délimitation. En s’appuyant seulement sur les caractéristiques des sols en rapport avec le degré alcoolique des vins (hétérogénéité, pente, faible profondeur, etc.) et par conséquent en négligeant une donnée scientifique essentielle, les travaux de délimitation ont laissé la porte ouverte aux extensions abusives, à la création de vignobles étrangers concurrents et à celles des vins de cépage.

GARANTIE DE L’ORIGINE ET GARANTIE DE NOBLESSE

Les limites de la garantie de l’origine apparaissent clairement. En établissant un dispositif hiérarchisé, de la base large et hétéroclite des appellations régionales (telles que Bordeaux, Bourgogne, etc.), aux appellations à aire restreinte (communale, p.e.), le législateur n’a pas manifesté l’intention de dégager une élite parmi les vins. L’appellation d’origine est, en effet, une propriété collective, attachée à une aire délimitée, dans laquelle elle bénéficie à tous les exploitants; il est vain d’espérer que ceux-ci se trouvent tous en mesure d’accepter les sacrifices qu’impose la production d’un vin noble, soit en raison des caractéristiques naturelles de leur exploitation, soit parce qu’ils ont à affronter des circonstances défavorables, soit encore parce qu’ils n’en ont ni la volonté, ni les moyens. Il n’y a donc pas lieu de confondre garantie d’origine et garantie de noblesse. Que parmi les appellations d’origine « haut de gamme » on rencontre le plus de vins nobles n’est pas pour surprendre mais, comme cela est établi, la réglementation en vigueur depuis 1935 présente trop de lacunes pour que l’amalgame soit possible.

IV -SITUATION ACTUELLE

Après la seconde guerre mondiale, la consommation française des vins d’origine a connu, en France, une très forte expansion qui a fait ressentir comme un corset insupportable les limites fixées par le décret-loi de 1935, instituant les appellations d’origine contrôlées. Elle a conduit à développer la production de ces vins tout en provoquant ou encourageant d’autres formes d’individualisation que sont les vins de marque et les vins de cépage; ce mouvement s’est manifesté, en même temps, dans les pays venus récemment à la viticulture. Les effets de ces tendances sur l’obtention des vins nobles méritent un examen.

EXPANSION DE LA PRODUCTION FRANCAISE DES VINS D’ORIGINE

Plus que quadruplée en un demi-siècle, elle relève de plusieurs mécanismes :

L’augmentation des rendements

L’augmentation des rendements a été générale ; la comparaison de rendements imposés par les premiers décrets (1936) avec ceux d’aujourd’hui, tout aussi licites, est parfaitement éclairante: la taille longue, les fumures azotées (non réglementées), l’adoption de porte-greffes vigoureux (non réglementée) qui a vu certains vignobles passer du riparia au S04, parfois l’irrigation, sont, avec la chaptalisation, les principales pratiques responsables de la perte de la noblesse du vin. Cela n’est pas vrai partout, ni tout le temps, mais il faut aux hommes beaucoup de sagesse pour ne pas succomber aux tentations qui s’offrent à eux.

L’extension des surfaces

L’extension des surfaces , qui a été générale, s’est produite par deux mécanismes :

  1. Rien ne s’y opposait, en général, dans les zones délimitées des appellations régionales, bien loin d’être entièrement plantées en vignes en 1939, et pas davantage dans les plus prestigieuses. Tout à fait licites, ces plantations nouvelles ont été établies dans des situations que la production traditionnelle soucieuse de la qualité du vin, avait délaissées (zones boisées, prés à vaches). La qualité du vin en a souffert.
  1. La création d’appellations nouvelles a correspondu, dans les exemples les plus fréquents, aux appellations définies par le pouvoir judiciaire, en application de la loi de 1919, qui n’avait pas été prises en compte par le décret-loi de 1935 ; la promotion de ces « vins délimités de qualité supérieure » a été précédée d’une visite des experts sur le terrain et de travaux de délimitation. Elevés à un niveau analogue à celui des appellations régionales, mais avec un encépagement qui exigeait souvent une remise en ordre, ces nouvelles appellations d’origine ne sont que bien rarement un gisement de vins nobles.

Mais, dans d’autres situations, des appellations nouvelles ont été créées de toutes pièces alors qu’il était bien difficile d’en appeler à des usages anciens, locaux, loyaux et constants. Dans ces faits, critiquables à plus d’un titre, dans lesquels les producteurs n’ont pas toujours trouvé un avantage, la structure décentralisée de l’organisme de tutelle en comités régionaux qui ne peuvent être insensibles aux intérêts locaux, a joué un grand rôle ; mais la responsabilité de l’autorité est nettement engagée. Il est clair que le pouvoir politique a vu dans l’extension de la production des vins d’origine une donnée favorable au commerce extérieur de la France et, en même temps, un moyen de diminuer la production pléthorique des vins de coupage. Il en est résulté une banalisation des vins d’origine, avec une prolifération des appellations qui ne peut que troubler les consommateurs mal informés. En résumé, il n’est pas contestable que les résultats de cette extension des surfaces occupées par la production des vins d’origine n’a pas été favorable à l’obtention de vins nobles, notamment par le choix des cépages et par celui des sols.

L’altération des caractères traditionnels du vin

L’altération des caractères traditionnel du vin ne s’est pas bornée à des modifications de l’aire de culture, des sols et des pratiques culturales ; dans certains cas, elle a également porté sur l’encépagement. Les variétés traditionnelles, avec lesquelles s’était forgée la renommée du vin d’origine, ont été parfois délaissées en faveur des cépages cultivés dans d’autres régions productrices de vins de plus grande renommée. C’est un mécanisme inspiré par les causes qui ont déclenché un certain engouement pour les vins de cépage.

AUTRES FORMES DE PERSONNALISATION DES VINS

La personnalisation des vins, indispensable à leur noblesse, a été recherchée par d’autres voies que celle qui est ouverte par les appellations d’origine: les vins de marque et les vins de cépage.

Les vins de marque entrent dans deux catégories

1. Dans la première, le commerce expose que confiance doit lui être faite pour fournir  sous une appellation donnée un vin connu des consommateurs sous ce nom, lorsqu’il engage sa responsabilité, avec sa marque, pour que cette correspondance existe réellement ; la protection des noms d’origine se confond alors avec celle des marques de commerce, qui est organisée, depuis 1824, par des dispositions très précises et très contraignantes, dont l’application sur le plan national et sur le plan international, relève de services spécialisés. L’origine et la noblesse du vin n’est pas garantie par ces dispositions parce que le nom ne désigne plus qu’un genre, un type de vin; il est, au sens propre du terme, un nom générique qui fait dire Sauternes, Chianti, Chablis, etc., comme l’on dit en français moutarde de Dijon. Les intérêts des producteurs ne sont pas respectés parce qu’il n’y a pas de rapport entre l’origine et le prix, mais entre la marque et le prix; de plus, il peut se produire une perversion, inattaquable, du type. Cette doctrine a été retenue dans de nombreux pays, d’autres continents le plus souvent, qui paraissent cependant depuis quelques années s’engager timidement dans la voie « française » de garantie de l’origine.

2. Dans la seconde, un nom de marque est ajouté à un nom d’origine; cela peut être le fait d’un producteur: l’appellation d’origine « Margaux » est accompagnée d’un nom de « château ». La noblesse du vin relève alors d’une double garantie, celle de l’autorité pour l’appellation d’origine et celle du producteur pour le nom du château; d’une manière presque générale c’est le cas des vins les plus nobles, mais la garantie n’est complète que si la mise en bouteilles est effectuée par le producteur (mise du château). Ces données sont aussi valables avec les termes domaine, clos, climat, etc. sous les mêmes conditions. La noblesse du vin est plus difficile à accepter lorsque le nom de la marque (château, etc … ) s’applique à un coupage de vins de la même appellation d’origine par un commerçant ou au sein d’une coopérative, comme cela se retrouve assez souvent dans les appellations régionales.

Les vins de cépage

Les vins de cépage mettent en lumière une autre manière de personnaliser les vins. Si l’usage du nom du cépage pour désigner le vin est traditionnel dans certains vignobles français, comme en Alsace, il est bien plus récent dans d’autres régions. Cette pratique s’est développée, en France, depuis quelques dizaines d’années, lorsque des producteurs de vins ordinaires ont introduit dans leur domaine un ou plusieurs des cépages utilisés dans les régions productrices de vins de grande renommée: Chardonnay, Sauvignon, Cabernet Sauvignon, Cabernet Franc, Merlot, Syrah, par exemple. L’introduction s’est faite, avec l’accord de l’autorité, d’abord pour améliorer la qualité des vins ordinaires, puis, assez rapidement, en vue d’isoler le vin et de le vendre sous le nom d’un cépage, accompagné du nom du producteur, en fait de sa marque.

Très inégaux, les résultats ne peuvent pas être très bons, d’une part parce que les conditions de production d’un vin d’origine (sol, rendement, etc.), à plus forte raison d’un vin noble, n’ont pas à être respectées, et d’autre part, parce qu’il s’agit, le plus souvent de cépages inadaptés climatiquement et il est avéré qu’une variété capable de produire un vin fin, tout à fait noble dans les situations voulues, ne donne plus que des vins communs, voire même grossiers, dans les sols fertiles et lorsqu’elle est soumise à une taille généreuse. Et il arrive même dans des situations qui paraissent être favorables, que des variétés cessent de donner des vins fins lorsqu’elles sont établies dans des sols qui ne leur conviennent pas; on ne passe pas impunément d’un sol acide à un sol calcaire.

Cette tendance qui rencontre des encouragements, peut avoir trouvé un exemple dans certains pays, venus récemment à la viticulture, où les vins sont désignés par les noms des cépages européens producteurs de vins réputés. Elle a été renforcée par la création de domaines entiers, parfois importants, à laquelle des spécialistes ont participé en assimilant hardiment, aux sols des régions réputées, des terres cependant bien différentes. L’abandon délibéré de la doctrine française relative aux appellations d’origine en faveur de ce qui n’est, finalement, qu’une marque échappant à tout contrôle, illustre le désordre intellectuel engendré par la prospérité de la production des vins d’origine. Il a fallu du courage aux producteurs de ces vins pour endurer la condition précaire qui était la leur avant 1935 ; il leur en faut au moins autant pour organiser la prospérité. Mais que dire des clercs?

AUTRES PAYS VITICOLES EUROPEENS

La réglementation y est, en général, plus récente et moins avancée qu’en France où les contrôles, relevant de plusieurs services, restent relativement rigoureux; Il en est dans lesquels il n’existe aucun contrôle et d’autres qui admettent des pratiques œnologiques correctives très libérales. Les différences entre les nations apparaissent avec évidence dans les règlements « Européens » où les bases agronomiques de la production et de l’élaboration des vins d’origine sont bien difficiles à saisir. Dans ces conditions, la noblesse des vins ne peut, en général, reposer que sur une marque de producteur, et les réglementations particulières à chaque pays restent assez différentes pour rendre aléatoire toute comparaison.

PAYS DE VITICULTURE RECENTE

Dans les pays – les continents – où la vigne européenne n’appartenait pas à la flore indigène, la vigne et la viticulture ainsi que le vin, ont accompagné les pionniers; les données historiques conduisent à distinguer plusieurs cas.

1. Sur le continent américain, de l’Argentine à la Californie, la culture de la vigne a suivi la conquête espagnole et la religion catholique. En témoignent encore, en Californie, les noms espagnols des missions catholiques qui y étaient établies ainsi que, dans tous les territoires latino-américains, les noms des cépages qui ont été obtenus de semis, probablement par les religieux, et qui sont encore cultivés. Après cette première phase certainement pleine de difficultés et d’une longue durée, la viticulture s’est développée grâce aux apports des émigrants Européens venus des pays viticoles.

En Amérique du Sud, la viticulture a dû résoudre les problèmes élémentaires avec des moyens qui sont restés longtemps limités; l’importance de ceux qui étaient nécessaires à la création des caves et à la vinification, a privilégié les grands domaines et les acheteurs de vendange. Ce sont des structures peu favorables à l’élaboration de vins nobles. En dépit de l’introduction de cépages fins (Cabernet Sauvignon, Malbec, etc.), la production de vins nobles n’a pu prendre corps: les structures, la plantation dans les terres fertiles, l’irrigation, et en même temps, l’orientation des rares hommes de science vers la rentabilité, n’ont guère été favorables. De plus, l’obtention d’eau-de-vie de vin résolvant un problème économique (avec la production des raisins de table pour l’exportation) a joué un rôle négatif: Pisco au Chili, Brandy au Mexique par exemple. Néanmoins, les situations peuvent être très différentes; c’est probablement au Chili que l’obtention de vins fins rencontre les conditions agronomiques les plus favorables, sans que tous les éléments soient pour l’instant rassemblés.

2. L’évolution a été différente aux Etats-Unis. Dans les Etats de l’Est, et au Canada (Ontario), où les parasites et le climat sont des obstacles à la culture de la vigne européenne, la plupart des vignobles ont été constitués avec des hybrides producteurs directs, obtenus en Amérique même ou en France, et avec quelques variétés de Vitis Labrusca, l’espèce de vigne indigène; les vins sont difficilement acceptés par les palais Européens. En Californieoù le milieu naturel est favorable à une culture à l’européenne, la culture de la sultanine et d’autres cépages apyrènes, domine dans les situations les plus chaudes, pour les raisins secs, les raisins frais et d’autres utilisations. La production du vin s’est installée dans le nord de l’Etat avec l’exemple, maintenant connu en Europe, de Napa Valley. Dans ce cas particulier, vers 1980, il existait près de 9 000 hectares avec une production de 72 000 tonnes (environ 80 quintaux, 60 hl/ha environ) ; l’encépagement était pour 213 en cépages rouges (dont, p. 100, Cabernet Sauvignon 37, Pinot noir 18, Zinfandel 14, Valdiguié 8, etc.) et le reste en blanc (dont p. 100, Chardonnay 27, Chenin 19, Riesling 17, Sauvignon 8, Colombard 6, etc.) Il est donc possible d’obtenir des vins fins avec cet encépagement, encore que le Zinfandel, le Durif et quelques autres jouent un rôle défavorable.

Mais les vignes occupent des sols fertiles dans le fond de la vallée ; les plus anciennes sont taillées court, à coursons, les plus récentes et les plus nombreuses sont palissées. Très faible, la densité de plantation a diminué de 1 735/ha (2,4 x 2,4 m) à 1 160/ha (2,4 x 3,6) et il fait appel à des porte-greffes vigoureux, rupestris du Lot, principalement, et Aramon Rupestris Ganzin N° 1. Les conditions pourraient être meilleures sur les versants et dans les sites accidentés septentrionaux mais la vigne y cède rapidement devant les zones boisées. Au nombre de 600 dans le comté il y a dix ans, les exploitations varient de 4 à plus de 100 hectares; mais les structures s’éloignent de celles que connaissent la France et d’autres pays européens, parce que l’achat de vendange est une pratique assez courante. Et la mécanisation de la vendange n’arrange pas les vins.

Considérée comme un investissement, la création du vignoble exige des ressources financières importantes, d’autant plus que la valeur de la terre est elle-même élevée. Elle peut demander 50 000 dollars par hectare, néanmoins le site a appelé des investissements européens. Les vins sont le plus souvent vendus sous un nom de cépage ou celui d’un vignoble européen, accompagnés d’un nom de marque. L’imitation des vignobles européens renommés est incontestable, d’autant qu’il est fait appel à des spécialistes qui en sont originaires pour créer, et mener des entreprises; elle ne devrait cependant pas conduire, avant longtemps à la conquête de marchés en Europe, faute de pouvoir soutenir la comparaison avec les vins nobles des vieux pays viticoles. Mais elle peut jouer un certain rôle aux Etats-Unis et par là, contrarier l’exportation Européenne sur ce marché et sur d’autres.

La viticulture Australienne, d’origine encore plus récente, a connu une expansion considérable depuis une vingtaine d’années. La culture de la sultanine, qui y est importante, n’est pas uniquement faite en vue du séchage et de la consommation à l’état frais mais aussi pour la vinification; elle contribue à la production d’un vin blanc sec. La consommation du vin, en forte hausse, dépasse 4 000 000 hl pour une population de 15 000 000 d’habitants ; elle porte sur des vins blancs pour 80 %. Les plantations anciennes comprenaient le Riesling et le Traminer, mais les plus récentes font surtout appel au Sémillon, à l’Ugni Blanc, au Colombard, au Crouchen (cépage français pyrénéen) au Chemin et au Chardonnay.

Les vins sont commercialisés sous des noms de vins européens (Chablis, Sauternes, Mosel, Burgundy) ; la production est le fait de grandes exploitations, elle est industrialisée et vendue par des commerçants sous leur marque. Des vignobles créés plus récemment, sur des surfaces réduites à quelques dizaines d’hectares, sont orientés vers la production de vins de cépage (Pinot noir, Cabernet Sauvignon, Chardonnay, etc.) C’est le cas autour de Melbourne où le vin est mis en bouteille au vignoble pour être vendu directement aux détaillants ou aux consommateurs qui sont invités à des visites de caves et à des dégustations. Cela peut être le commencement d’une phase de sélection des vignobles producteurs dont on sait, par expérience en France, qu’elle exige beaucoup de temps. Le vignoble d’Afrique du Sud (plus de 110000 ha dont 100000 pour la cuve) est différent des précédents.

En effet, s’il est possible de distinguer les vignobles Latino-Américains (Chili, Argentine, Brésil, Mexique, etc.) des vignobles Anglo-Saxons (Californie, Australie), la viticulture sud-africaine ne s’inscrit dans aucun de ces deux schémas historiques. Créée par le Hollandais Jan Van RIEBECK, dès la fondation de la colonie, au milieu du XVIIIème siècle, la première vigne fut le germe des plantations de Constantia réalisées par le gouverneur Simon Van Der STEL. Le « vin du gouverneur » acquît une certaine renommée. Les Huguenots français arrivés dès la fin de ce même siècle plantèrent des vignes et créèrent des exploitations dont certaines portent encore des noms d’origine française. Le vin de Constantia a été connu dans toute l’Europe mais les conditions historiques de sa production ont été perdues; les récoltes des vins ordinaires se sont écoulées au Royaume-Uni, à la place des vins européens, retenus par le blocus napoléonien, avec des conditions favorables maintenues jusque vers 1860, qui voit s’ouvrir une longue crise.

Ce n’est, qu’après la première guerre mondiale qu’elle se termine grâce au rétablissement de la préférence tarifaire dans l’Empire Britannique. Le Royaume-Uni reçoit encore les deux tiers des vins sud-africains exportés. L’encépagement est très composite; il n’est pas sans intérêt technique de remarquer que la présence de cépages autrefois cultivés dans les serres à vignes hollandaises et anglaises y a été signalée (Lady Downe’s seedling, Madresfield Court, etc.) ; mais les cépages actuellement cultivés ont été introduits de France, d’Espagne, d’Allemagne, d’Italie, du Portugal, des Etats-Unis. A son tour, l’Afrique du Sud a été la plate-forme de départ de certaines variétés vers l’Australie.

Les cépages blancs occupent actuellement les deux tiers du vignoble environ, principalement Chenin (Steen), Listan (Franschurt), Muscat d’Alexandrie (Hannepoot), Colombard, un Riesling, Clairette, Sémillon (Green Grape). Les rouges moins cultivés, avec quelques variétés originales comme le Pontac (teinturier), le Pinotage, ont pour base avec ce dernier, le Cinsaut (dit Hermitage), le Cabernet Sauvignon. Le matériel végétal est plus riche que dans les autres pays de viticulture récente. Mais les remarques déjà faites peuvent être répétées : industrialisation et concentration de la production dans des entreprises importantes, ou dans une puissante coopérative. La mise en bouteilles à la production est exceptionnelle. Il y a une production de vin de dessert (Xerès) et d’eau-de-vie. Ces conditions sont peu propices à l’obtention de vins fins mais la question n’a pas été sérieusement abordée sous ses aspects agronomiques; la diversité des situations naturelles (climat et sol), et les ressources de l’encépagement, ainsi que la présence de spécialistes qualifiés, offrent cependant des possibilités.

EN CONCLUSION, les pays qui n’ont pas la tradition viticole millénaire qui reste le privilège de ceux qui formaient le monde romain, ont eu à affronter de nombreux problèmes parmi lesquels le plus urgent n’était pas la production de vins assez fins pour acquérir le noblesse intrinsèque, faute d’une lointaine noblesse d’origine. C’était, et cela reste, un problème difficile, pour des raisons que l’on peut s’efforcer de mettre en lumière.

1. Créer, faire surgir de toutes pièces, un vin fin, se heurte d’emblée, à l’absence de toute référence concrète car les créateurs ne peuvent s’appuyer que sur les données transmises oralement ou par écrit, depuis des sources lointaines invérifiables, et non sans une certaine (et inévitable) déformation. Le producteur Bourguignon qui plante une vigne sur la côte de Beaune ne connaît pas cette incertitude.

2. C’est à propos des cépages que les choix paraissent être le moins difficiles parce que l’encépagement des vignobles Européens renommés est connu depuis longtemps; mais, ce qui était connu, c’était les noms, pas les cépages; de là, les confusions dont la Californie (entre autres) fournit quelques exemples comme Sauvignon vert pour désigner la Muscadelle, Grey Riesling pour Trousseau Gris, Green Hungarian pour Putzscheere, Napa Gamay pour Valdiguié, Early Burgundy pour Abouriou, etc. Cette synonymie est aujourd’hui éclaircie mais elle a été à l’origine de bien des erreurs dans les premiers choix.

3. Tout autre a été le problème de la découverte du milieu favorable, climatiquement et agrologiquement ; l’absence de références a été cruellement ressentie. Cette question n’a pas encore reçu une réponse favorable (et claire) pour des motifs qui valent aussi pour la mise au point des pratiques culturales et œnologiques, et dont on peut évoquer, succinctement, les plus importants. Les structures ont été défavorables, dès le départ, à la sélection des milieux naturels et des procédés en raison de la centralisation des produits d’origine diverse, tant par l’étendue des exploitations que par la pratique funeste de l’achat des vendanges, opposées l’une et l’autre, parfois simultanément, à la mise en évidence de vins d’élite et à la découverte de leurs lieux et méthodes d’obtention.

La rareté des cadres et des exécutants qualifiés est à opposer à l’artisanat viticole dont la tradition et le savoir-faire sont plus que millénaires, en France du moins. Cette lacune n’a pu être convenablement comblée par les spécialistes immigrés dont la plupart ont éprouvé des difficultés à s’insérer au milieu des repères locaux; et les séjours, inévitablement trop brefs, de mercenaires réputés venus d’autres pays, n’a pas eu de meilleurs résultats dans ce domaine si difficile que la création de vins d’une noblesse intrinsèque incontestable. On peut enfin évoquer le manque visible de conviction milieux scientifiques ; des progrès, parfois exemplaires ont été certes réalisés en œnologie mais ils n’ont pas été accompagnés de progrès équivalents dans la mise au point des pratiques culturales et de l’encépagement. La pression des producteurs, attirés inévitablement par le profit, a été plus forte que la volonté des spécialistes lorsque celle-ci avait assez de vigueur pour prétendre à s’y opposer.

Il y a peut-être une explication; les exemples ont été empruntés à la viticulture européenne telle qu’elle apparaissait à la fin du XIXème siècle, alors qu’elle avait pris un caractère commercial contre lequel elle ne devait réagir – trop faiblement – que vers le milieu du XXème siècle. C’est donc la viticulture commerciale européenne – non, et pour cause, la viticulture féodale – qui a inspiré la production viticole dans des autres continents. Que les mauvais exemples aient été choisis plus souvent que les bons ne doit donc pas surprendre. Mais il reste paradoxal que, victime d’une certaine naïveté ou de quelque snobisme, la viticulture européenne aille aujourd’hui chercher des exemples dans l’imitation de ce qui n’est pas, chez elle, le meilleur. Et c’est peut-être là une autre trahison des clercs.

IIV – CONCLUSION GENERALE

L’obtention d’un vin noble obéit à des conditions agronomiques de production et d’élaboration du vin, qui sont connues et qui se justifient scientifiquement. La garantie de la noblesse du vin est une nécessité. Sans elle, la renommée acquise par un vin noble grâce à la mise en œuvre de conditions agronomiques très précises, est exploitée indument si une (ou plusieurs) de ces conditions, reconnues indispensables, vient à être abandonnée. Cette garantie doit être double. Elle exige d’abord le respect des conditions analogues à celles qui réglementent l’usage des appellations d’origine en France; toutefois, ces dispositions doivent être renforcées et complétées. Elle demande, ensuite, simultanément, la mise en œuvre des dispositions qui s’appliquent aux marques. Avec cette double garantie, le vin noble est présenté aux consommateurs sous une appellation d’origine, qui est une caractéristique collective, et sous un nom de marque, celui du producteur, en excluant toutes possibilité de coupage par la mise en bouteille chez le producteur. La rentabilité de la production repose alors sur le prix de vente.