Le 2 décembre 2004.

L’esprit du vin est l’essence sacrée d’un mystère profond réunissant aussi bien des facteurs physiques et métaphysiques du terroir d’origine que des valeurs historico-culturelles héritées des traditions ancestrales. Dans l’esprit du vin de chaque région viticole, on retrouve l’âme vivante de son terroir, dont le contenu symbolique est rempli d’émotions et d’images de souvenirs vécus et d’imaginaires qui ont laissé leurs empreintes dans les textes des légendes, des histoires folkloriques, des chants et de la littérature. En soumettant ces textes à une analyse de contenu approfondie, on peut délimiter les notions les plus significatives, dont le contenu sémantique reflète les valeurs essentielles constituant l’esprit du vin de la région. La plupart de ces notions caractérise toutes les grandes régions viticoles, comme convivialité, hospitalité, amour, joie de vivre, gaîté, orgie, passion, raffinement, sacrifice, religion, fête, détente, romantisme, harmonie, accords, amitié, rituel, feu, modération, célébration, euphorie, tristesse, réussite, conquête, mode, traditions, homme, femme, vie, mort, résurrection, etc…

Toutefois, la distribution et la hiérarchie de ces notions peuvent être très différentes d’une région viticole à l’autre. Par exemple, les notions qui définissent le mieux l’esprit des vins français sont les suivantes : triomphe, victoire, conquête, mode, raffinement, sophistication, prestige, accords, convivialité. Les vins français sont des leaders de la vini-viticulture (les cépages d’origine française dominent la viticulture mondiale, l’influence de l’oenologie française est omniprésente) et lors des grands galas de prestige organisés partout dans le monde, les champagnes et les vins français sont pratiquement obligatoires. En fait, les vins français sont les vins de la conquête : l’esprit du vin français est l’esprit de la conquête. Si l’on cherche à définir de la même façon l’esprit du vin des plus importants pays européens produisant du vin, on peut faire les associations suivantes :

– vins espagnols : l’esprit de la passion

– vins italiens : l’esprit de la joie de vivre

– vins portugais : l’esprit de l’hospitalité

– vins allemands : l’esprit du romantisme

– vins suisses : l’esprit de la détente

– vins autrichiens : l’esprit de la gaieté

– vins grecs : l’esprit de la fête

– et vins hongrois : l’esprit de la résurrection.

Dans le présent exposé, nous allons présenter les caractéristiques essentielles de l’esprit du vin hongrois, en mettant l’accent sur la valeur de la résurrection.

Vins hongrois : esprit de la résurrection, Bor Tengri : dieu de la Résurrection

D’après des chroniques chinoises écrites il y a plus de 2000 ans, les ancêtres des Hongrois, les Huns, ont présenté des offrandes en Asie Centrale à Bor Tengri, Dieu de la Terre et de la Renaissance. Bor Tengri a donc été le Dieu de la renaissance : Le mot «Bor» signifiait renaissance et résurrection et le mot «Tengri» signifiait Dieu. Toutefois, à cette même époque, le mot Bor avait une deuxième signification ; il signifiait aussi «vin». Les Huns et les Hongrois d’antan étaient donc désignés par le même mot, qui définit aussi bien l’idée de la résurrection et de la renaissance que celle du vin. En Asie Centrale, les Huns et les Hongrois, peuples de cavaliers et d’éleveurs de grand bétail, ont pratiqué aussi bien l’agriculture que la viticulture.

A cause des guerres fréquentes, les vignobles furent souvent détruits mais furent chaque fois  replantés, assurant leur résurrection. Après plusieurs siècles de vicissitudes, à la fin du IXème siècle, les Hongrois ont réoccupé le Bassin des Carpates, la Hongrie actuelle, considéré comme leur juste héritage, laissé pour eux par Attila, le grand chef des Huns. Ils y ont trouvé d’excellentes conditions écologiques pour réaliser une viticulture de qualité. Malheureusement, ils n’ont pas pu éviter les invasions et les guerres durant lesquelles les vignobles hongrois ont été annihilés plusieurs fois. L’histoire de la Hongrie est une histoire de combat permanent pour la survie de la nation, pour la survie de son agriculture, pour la survie de sa viticulture. Dans le feu des guerres, la Hongrie a été détruite de nombreuses fois et comme le phoenix des légendes, elle a dû renaître de ses cendres.

La viticulture hongroise a suivi le même cycle : la vie – la mort et la résurrection. Toutefois, la destruction la plus tragique de l’histoire de la Hongrie fut celle perpétrée par l’occupation russe et les 45 ans de terreur du régime communiste entre 1945 et 1990. Cette destruction insensée avait non seulement des conséquences matérielles mais aussi des conséquences spirituelles et morales terribles, qui ont traumatisé l’âme du pays et la psyché collective du peuple. Cette fois, le rétablissement est beaucoup plus difficile : il est plus facile de reconstruire des immeubles, des routes, des institutions que de rétablir et de guérir la santé psychique et morale du peuple. Les vignobles et les vins hongrois ont énormément souffert à cause de l’idéologie collectiviste qui, en favorisant l’état d’esprit de la production industrielle et du nivellement vers le bas, a énormément nui à leur qualité. Ils sont devenus des breuvages tristes, manipulés et falsifiés par la dictature du prolétariat. Par un miracle extraordinaire, après la chute du régime communiste, c’est la viticulture hongroise qui a été la première à montrer l’exemple, non seulement pour l’économie du pays mais aussi pour la psyché malade du peuple hongrois. Comme l’oiseau miracle qu’est le phoenix, les vins hongrois se sont ressuscités et ils ont pris résolument le chemin montant des vins nobles de qualité.

Aujourd’hui, il y a déjà un grand nombre de producteurs aussi bien à Tokaj (Arvay, Royal Tokaj, Mercatus Disznokö, Oremus, Laszlo, Szepsy, Dusoczky), à Villany (Tiffan, Gere, Bock), à Szekszard (Vesztergombi Takler) ; dans la région du Lac Balton (Szeremley, Jasdy, Légli) qu’à Eger(Gal Thummerer, Vince), à Hajos Baja (Sümegi), à Somlo (Fehérvary,Györgykovacs, Tornai, Fekete) qui produisent des vins de qualité remarquable. Les vins hongrois sont non seulement des vins de la

résurrection, mais aussi des ferments et des indicateurs symboliques de la résurrection spirituelle de tout un peuple. Dans l’esprit du vin hongrois, on retrouve donc la synthèse métaphysique de la vie, de la mort et de la renaissance. L’étymologie du mot hongrois «bor», signifiant aussi bien vin que résurrection, constitue donc la structure spirituelle de l’esprit du vin hongrois, qui exprime aussi bien le feu et la passion du caractère hongrois, le feu du terroir volcanique, la vitalité, la force, la gentillesse et l’hospitalité d’un peuple qui a dû survivre une série de cataclysmes que l’individualisme, la vaillance, la combativité des ancêtres cavaliers, l’amour et le respect de Dieu et de l’environnement transcendantal et naturel d’anciennes religions hongroises, la foi dans la justice divine réglant le cycle de la vie, de la mort et de la résurrection et la fidélité aux traditions et à l’héritage spirituel des ancêtres. Les meilleurs producteurs des vignobles les plus prestigieux de la Hongrie, des producteurs de Tokaj, ont constitué en 1994 une association appelée Tokaj-Renaissance, soulignant l’idée de la résurrection et le nouveau départ des vins de Tokaj, exprimant l’esprit de résurrection de l’ensemble des vins hongrois.