Symposium d’Automne – Genève 2002

En cuisine, l’origine des produits alimentaires est aussi importante que celle d’un vin ou d’un fromage AOC. Un professionnel est un prescripteur, c’est-à-dire qu’il choisit et achète des produits pour les travailler et les revendre: c’est un conseil au client. Selon moi, c’est le premier engagement du restaurateur. Bien sûr, il y a d’autres points tels que l’accueil, le service, etc. mais on ne parle pas assez du choix, donc de la qualité des produits et de leurs origines. Ce choix des meilleurs produits, tout le monde pense que c’est la viande, le poisson, mais cela va jusqu’aux légumes, aux fruits et aux épices . Tous les produits entrant dans une recette ont une importance capitale! Le sel comme l’origine du poivre. Je pourrais vous parler longuement de certains arômes de poivre très différents qui vont sur certains produits et pas sur d’autres.

Je vais vous citer quelques exemples en commençant par la vanille car, au Lucas Carton, nous en employons beaucoup avec mon fameux homard. J’ai deux vanilles, une première pour le Homard de Bretagne qui est la vanille de « Bourbon de Madagascar (accompagné d’un Meursault 1999 – Domaine des Comtes Lafon) et une seconde vanille pour les desserts, la vanille de Tahiti. Cette dernière est plus épicée et correspond mieux à mon Mille-feuille à la vanille pour aller avec le Muscat de Rivesaltes 2000 – Domaine Cazes. Dans tous les cas, il me faut des vanilles qui ne soient pas trop sèches (c’est au début du séchage qu’elles m’intéressent) afin que l’intérieur soit très moelleux, qu’elles aient encore de la chair.

J’ai une histoire assez grave à vous raconter au sujet du foie gras. J’ai demandé à nos producteurs de foie gras de mettre sur leurs factures  » Canard engraissé au maïs non OGM « . J’ai eu un producteur qui n’a pas pu le faire en m’expliquant qu’il ne pouvait le faire que six mois par an. Evidemment, j’ai laissé tomber et j’ai trouvé d’autres fournisseurs. Pouvez-vous imaginer, messieurs les vignerons, comme la chose est grave aujourd’hui en France. Il se balade surement des foies gras qui ont mangé des maïs OGM. Et penser que des foies gras étrangers sont moins contrôlés. Voilà où nous en sommes! En votre qualité de vignerons, je sais que vous êtes vigilants sur le sujet. Je ne vous parlerai pas des poissons d’élevage, tout le monde est au courant. Notamment, cette histoire du saumon OGM du Canada. En effet, les saumons ont quadruplé de poids en trois mois par rapport à ceux qui n’étaient pas OGM. Mais mon rôle n’est pas de parler des choses qui ne vont pas, des produits qui ne sont pas bien. Il y en a tellement de merveilleux!

Je voudrais vous parler des huîtres de Zélande du nord de la Belgique. En France, nous disons que nous avons les meilleurs produits mais je pense que ces huîtres plates de Zélande sont prodigieuses. Bien sûr différentes, et c’est tant mieux. Elles sont plus sauvages que nos belons, moins iodées et si j’étais un restaurant devant vendre des produits crus ce serait certainement celles-ci que je mettrais en vedette. Par contre, nous avons fait avec l’Atelier de l’A.I.V., des dégustations autour du homard Breton, du homard du Canada et du homard de Lescot (belge). Au cours d’une dégustation, notre ami Champlain CHAREST nous avait amené des homards directement du Canada aux dates choisies au meilleur moment. Il n’y avait pas photo, le homard français était de loin le meilleur. La texture était fantastique. Quelle texture par rapport aux autres ! Voilà comment on en revient à la texture, le goût n ‘est que cela.

On parle toujours des moules Bouchot, de Bouzigues. Mais qui connaît les moules d’Aber en Charente? Pour goûter ces trois moules, c’est comme si vous goûtiez un Bourgogne, un Beaucastel et un Graves. Il y a des crues de moules, d’huîtres, et depuis que nous avons entamé des recherches avec quelques amis de l’équipe de l’A.I.V. durant lesquelles nous avons goûté des huîtres de toutes origines sur deux années pour trouver des accords, nous nous sommes rendus compte que d’une année à l’autre, les huîtres étaient très différentes, correspondant un peu au climat des vins. Nous en avons tous tiré la conclusion suivante: une année très chaude, l’huître était plus saline, plus corsée; une année pluvieuse, l’huître était meilleure. Je suis très fier qu’avec Jacques PUISAIS, Gérard CHAVE, Francky BAERT, Franco MARTINETTI, Jean José ABO et Martin CANTEGRIT, nous ayons fait ces recherches et tiré cette conclusion.

Je souhaiterai également vous dire qu’en cuisine, la femelle est meilleure que le mâle, qu’à 98%, une vache est supérieure à un bœuf, une cannette au canard, que pour un « lièvre à la royale », il n ‘y a que la hase qui convienne parfaitement! Dans les longues cuissons, la chair du mâle devient filandreuse, sans aucun intérêt et même très mauvaise à la mastication. J’essaie de ne travailler que le homard femelle. Tous ces détails font la différence en cuisine comme chaque vigneron a ses petits secrets et ses petites manies. Sur tous les produits, carottes des sables, oignons des Cévennes, des petits poireaux qui nous viennent du côté de Cancale (comme des rattes) où le goût du poireau est ennobli à la puissance dix milles. Il serait bien qu’un travail soit développé par les scientifiques pour faire une nomenclature sur tous ces crus (légumes et fruits) afin qu’ils puissent nous dire, comme pour un vin, quel produit correspond le mieux à tel terroir et tel climat. Nous expliquer les différentes raisons pour lesquelles c’est meilleur. Par exemple, chaque année je propose le coing en automne et je remarque que, parfois, ceux d’Espagne sont meilleurs, et quelque fois ceux du Languedoc. En effet, une année, telle région est mieux et l’autre année, c’en est une autre et donc, je mets suivant l’origine de ces coings, des Tokaji différents (Tokaji 5 Puttonyos 95 – Oremus, et le Tokaji 5 Puttonyos 96 – Royal Tokaji Wine Company).

Je Vais vous citer d’autres exemples au fur et à mesure qu’ils me viennent en mémoire car ma vie bousculée ne m’a pas permis d’organiser ce petit exposé. Dernièrement, au Salon du Goût à Turin, Franco MARTINETTI nous a convié dans son restaurant préféré à un repas extraordinaire d’«italianité » et notamment peut-être la meilleure soupe de ma vie, des tripes très différentes des nôtres, mais quel régal! Mais ce n’est pas de cela dont je veux vous parler mais plutôt de la côte rôtie de bœuf de Toscane, très tendre, d’une couleur différente (le rouge n’est pas le même que le rouge français, pas aussi intense) et nous avons bu un Barolo (millésime, cépage, élevage). En France, avec une côte de bœuf normande, de Salers, plus ferme, nous aurions pris un Bordeaux par exemple, un peu tannique, nous aurions trouvé un accord. Mais si on avait mis ce Bordeaux concentré sur ce bœuf Toscan il n’y aurait eu aucun accord et vice-versa si nous avions mis le Barolo sur une côte française, nous aurions eu moins de plaisir. Comme pour le vin, il existe des noyaux historiques, des terroirs crustacés mais je voudrais que l’on pense aussi aux légumes. Car c’est la garniture qui fait un plat, c’est-à-dire l’agencement des légumes.

Ainsi, il y a des années à truffes, à cèpes et parfois des bonnes, moyennes, etc. Il faut que cela se sache car il y a des cuisiniers et des gastronomes qui ne font pas attention à tous ces détails. Nous sommes tous d’accords que l’origine est essentielle. Il y a de grandes origines dans les produits. Même si je dois faire de la peine à Jacques PUISAIS, le meilleur endroit pour le saumon sauvage est l’Adour, les Gaves de Pau. Dans la Loire, fleuve tranquille, la chair du saumon est moins intéressante. On fait du foie gras de partout et le meilleur se trouve dans les Landes et je défie qui que ce soit à m’en trouver un meilleur, ce qui ne veut pas dire que tous soient bons. Les meilleurs anchois sont ceux de Sète, en ce moment je fais des anchois pour la Manzanille et je remarque qu’il y a une réelle différence avec les anchois de provenance différente. Nous faisons venir nos herbes de St-Rémy de Provence, ce qui est un peu onéreux mais, avec ces herbes, il se passe quelque chose et parfois, j’en fais venir de chez Michel GUERARD. Les belons de Riec, le cabillaud du Nord, même si, hélas, la mer du Nord devient aussi polluée qu’ailleurs et qu’on en trouvera plus. Vous savez que la langoustine de Guilvinec est la meilleure, que le meilleur homard breton est de Carantec. Nous faisons également venir notre mesclun de Nice, et selon les saisons l’asperge verte de la Durance, de Perthuis, de Lauris de chez Monsieur BLANC à côté de Cavaillon. J’ai la chance de faire des essais et quand on compare a l’aveugle on remarque des différences extraordinaires.

Je vais vous donner ma dernière expérience sur les asperges. Jo GRYN, qui est peut-être ici présent, m’a parlé un jour des asperges blanches de Maline, je crois, et j’ai donc fait quelques essais. Bien sûr, elles étaient bien mais on peut également trouver en France des asperges blanches aussi bonnes. Ce qui est étonnant est qu’une asperge verte appelle certains vins et notamment des vins de Nicolas JOLY, parfois ce peut-être un Vouvray très sec car il y a là des rapports de terroir. Et sur les asperges blanches, nous avons servi un Puligny 1er Cru 1998 – domaine Boillot. Bien sûr, nous pouvons trouver des canards partout mais les canards croisés de Vendée, de Challans, ont une supériorité sur tous les autres.

Donc un produit culinaire est comme un vin. C’est un terroir, un produit adéquat sur ce terroir et un climat, comme pour ce qui se passe avec les vins, nous, en notre qualité de cuisiniers, nous le vivons avec la nourriture mais peut-être est-ce plus difficile. Vous faites un vin une fois par an, mais nous recevons tous les jours des produits et parfois nous devons en refuser près de 30%. Je préfère être en manque que d’avoir un produit de mauvaise qualité parce qu’aussi géniale que puisse être la cuisine, nous ne ferions que quelque chose de très moyen. C’est comme avec les vins technologiques qui n’ont que du fruit, qui ne donnent pas envie de manger. Cette réflexion m’a été faite il y a quelques temps à Lyon par notre Chancelier au sujet d’un vin local. Nous recevons des produits que nous n’avons pas envie de travailler et donc, de manger.

A une époque où l’on parle de grande production, il serait bien que l’on nous aide à faire quelque chose à ce sujet. Je ne peux terminer ce petit exposé sans finir par le cigare. Il a trop de parallèle avec tout ce que j’ai dit et surtout avec vous, messieurs les vignerons. Cuba, généralement et en particulier la terre Abajo, est un terroir exceptionnel pour le cigare et lorsqu’il y a des erreurs, elles proviennent du travail de l’homme. Et parfois sur les feuilles de cigare, le temps de fermentation a été réduit ou elles ont été mal roulées. Alors, cela vous donne des cigares acides qu’il est très difficile de tirer. Un conseil, messieurs, si vous en avez dont la fermentation n’est pas parfaite, gardez-les dans un endroit adéquat pendant six mois et vous constaterez que l’acidité diminuera. Par contre, à Saint-Domingue, en Honduras, où l’on fait aussi des cigares, je suis choqué par ce que disent certains critiques qui prétendent qu’ils sont aussi bons que ceux de la Havane.

Ces cigares sont toujours secs, manquent de gras, ont des arômes primaires qui ne sont que du poivre sans corps et cependant, sont mieux réalisés que ceux de la Havane. Le cigare démontre que le terroir est essentiel. C’est comme le Merlot ou le Chardonnay planté n’importe où!!! Tout cela démontre l’importance de l’origine. Souvent cela est négligé. En réalité, peu de gens et même parmi les soi-disant spécialistes, critiques, gastronomes ou cuisiniers, beaucoup ne se rendent compte de l’importance de l’origine par manque de connaissances. La connaissance mène au goût. Merci de m’avoir écouté et permettez-moi d’aller fumer mon bon Havane.