Le 5 décembre 2003

L’ensemble des vins offre en permanence un vaste choix d’images émotionnelles. Elles se comptent par plusieurs centaines de milliers. Ces images sont à l’attention de ceux qui, au cours d’instants simples ou recherchés, veulent profiter de cette noble boisson. Une boisson pas comme les autres, car, par l’eau végétale qu’elle contient, c’est-à-dire la plus pure puisqu’elle provient des vaisseaux de la plante, elle permet d’étancher la soif mais elle va également offrir une palette infinie d’expressions sensorielles qui font du vin l’élément le plus «verbal) de notre alimentation. Cette richesse évocatrice ne s’installe pas toute seule. Elle est puisée dans les éléments.

IOù le vin puise-t-il son contenu émotionnel?

Deux schémas sont présentés:

1. Le cycle du vin

C’est une question qui a toujours passionné l’homme et essayer d’y répondre permet à chacun de dégager les voies vers lesquelles il doit se diriger. . Dans le numéro spécial de «Médecins et Nutrition », publié en 1973 sur le bon usage du vin et dont la lecture, soit dit en passant, n’affaiblirait pas les connaissances de ceux qui s’intéressent à l’aspect «vin et santé», deux schémas sont présentés : Le premier schéma: « Le cycle du vin», offre une définition du vin qui cadre bien le sujet dans l’esprit de notre Académie. Dans le vin, deux éléments sont majeurs. Tout d’abord l’air: par la répartition de ses composants et l’effet de la photosynthèse chlorophyllienne, qui permettent d’assimiler le précieux carbone.

Le second élément est le sol dans lequel la vigne va prélever ce dont elle a besoin. C’est à partir de ces deux notions fondamentales que 1’homme va choisir un matériel végétal unique afin que, chaque année, il reproduise un vin qui sera porté par son talent et sa ténacité à la ressemblance de l’endroit où la vigne respire et se nourrit. On sait que le sol, qui est un élément fixe, va donner au vin son style plus ou moins coulant, charpenté, liquoreux, léger, souple, et que l’air, c’est-à-dire le climat qui lui est fluctuant, apportera une silhouette différente, exacerbant ou atténuant certains des traits de caractère de son style. C’est de cette situation qu’est né l’usage de la notion de millésime. Elle indique certes l’âge du vin mais surtout elle souligne la silhouette de chaque récolte. Ceci explique pourquoi, au moment du vin nouveau, on analyse les tendances climatiques de chaque millésime afin d’expliquer ces silhouettes qui ne seront jamais identiques d’une année à l’autre. Le consommateur, en buvant du vin, boit donc un contenu émotionnel composé de ces parts d’air et de terre réalisé sous la direction de l’homme, maître d’œuvre, qui permet aux choses d’exister; mais sans la terre et l’air il n’y aurait rien, même pas l’homme.

2. Le rôle du sol

On est orienté ici vers une meilleure compréhension de la relation entre la plante et le milieu. Tous les facteurs physiques du sol se retrouvent au fond du verre de vin comme il est indiqué sur ce schéma. On y retrouvera les grandes tendances connues de tous, à savoir que les sols fertiles ne sont pas à vocation viticole, que les capacités de drainage, d’absorption calorique sont déterminantes au même titre que les situations qui voient apparaître l’influence de la proximité des masses d’eau (rivière, fleuve, lac), comme celles des mouvements de terrain qui captent mieux les effets thermiques ou ceux de la ventilation, c’est-à-dire du vent qui a un rôle déterminant. C’est donc bien dans l’air et la terre que le vin puise ses caractères orignaux qui se traduisent par son contenu émotionnel. D’ailleurs, la notion d’appellation d’origine le souligne parfaitement. C’est le nom donné à une origine et celle-ci peut être parcellaire, communale ou générique c’est-à-dire à l’intérieur d’une vie biologique qui s’identifie au vin. Lorsque l’on possède une originalité attachée au terroir, une vérité apte à produire un vin noble, on la respecte, on la façonne, on l’affine indéfiniment. Sans cette volonté, on se contente seulement de faire un bon vin.

II. Une petite leçon pour démontrer les bases de l’originalité

Il y a les sceptiques, les ignorants, les grincheux, qui passent à côté du milieu. Depuis des années, ayant remarqué la relation entre le vin et la terre, je n’ai cessé de faire une démonstration dont le rôle pédagogique est pris dans l’esprit de la polysensorialité. Nous allons la vivre ensemble: j’ai pris comme exemple deux expressions de la vigne à Chinon où il existe deux expressions majeures, l’une provenant de terrasses anciennes constituées de sable graveleux et l’autre de coteaux argilo-silicieux plus ou moins calcaires. Tout d’abord, je demande à chacun de goûter un premier vin issu de zones viticoles sableuses graveleuses tout en tenant dans sa main la poignée de terre où a été récolté le raisin qui a produit ce vin. Il pourra alors ressentir que les éléments de la terre ont un toucher léger, coulant qui n’adhère pas à la main qui roule sous les doigts et qu’ils sont fins. Tout en continuant de tenir cette terre dans la main, on goûte le vin et on s’aperçoit alors que ses propriétés organoleptiques dominantes sont tactiles et qu’elles offrent un coulant et une finesse bien caractéristiques. On note alors l’analogie des effets plastiques entre le vin sur le palais et la terre dans la main.

Dans un second temps, on prend une poignée de la terre de coteaux argilo-calcaires et on peut se rendre  compte, qu’elle est différente au toucher, plus compacte, collante, modulable et qu’elle attache à la main. Tout en continuant de modeler cette terre dans sa main, on goûte le vin dont les raisins provenaient de cette même terre. Alors on remarque que la structure du vin est différente de la précédente et qu’elle offre une plasticité plus pleine, plus grasse, mais surtout une astringence donc une stimulation trigéminale associée à un effet d’adhérence au palais. Lorsque l’on a vécu cela, à moins d’être atteint d’agueusie ou borné, on ne peut nier l’évidence du terroir qui marque les choses, en l’occurrence le vin, plus que la génétique. Car on est bien là devant le même matériel végétal, seul le support terre change. Ainsi, les détracteurs de nos appellations, que celles-ci soient modestes ou prestigieuses, feraient bien d’apprendre à mettre la main à la terre tout en faisant rouler le vin sur le palais. C’est en connaissant ce style, base apportée par le milieu, qu’ensuite on va pouvoir choisir les pratiques oenologiques pré ou post fermentaires qui conduiront à parfaire cette image originale évitant ainsi de banaliser, voire de la trahir, comme par exemple celle de l’apport de copeaux de bois dans le vin qui est plus du fait du maquilleur que de l’oenologue et qui est une pratique honteuse vis-à-vis de l’oenologie.

On aurait également intérêt à prendre en considération les effets du milieu dans le cadre de certains travaux scientifiques afin d’éviter des conclusions parfois trop hâtives. C’est aussi cette intime relation entre le milieu et le vin qui va orienter les assemblages esthétiquement cohérents, comme on en a la maîtrise en Champagne, évitant d’inventer des vins qui se réfèrent plus à l’étiquette à la mode qu’au terroir.

CONCLUSION

Le vin nous démontre que le milieu est le décideur et qu’en conséquence, la fidélité au terroir conduit à reproduire un vin d’expression simple ou grande, ni bon ni mauvais, mais simplement juste parce qu’il a un sens. Tous ceux qui connaissent ma définition du vin, à savoir que celui-ci « doit avoir la gueule de l’endroit et les tripes de 1’homme» comprendront le rôle que j’attends de 1’homme, serviteur du vin noble.