C’est à l’hôtel STEIGENBERGER de KREMS que Madame BRÜNDLMAYER nous fait l’amitié de nous souhaiter la bienvenue. Décontractée, et heureuse de nous recevoir dans sa belle Autriche, elle nous invite à prendre le car pour VIENNE où d’autres membres venus en avion nous attendent. Arrivés à BAD-TAZMANNSDORF en fin de soirée, un copieux buffet nous permet de reprendre des forces après une route qui fût fort longue pour certains d’entre-nous.

Jeudi : la Styrie

Le départ en car en début de matinée nous permet d’arriver dans le vignoble de Styrie vers 10 heures. Notre confrère Georg SEYFFERTITZ, à peine sorti de l’hôpital suite à quelques problèmes de santé, nous présente cette région qui a vu naître son épouse. Il y a 2000 ans, les Celtes et les romains cultivaient la vigne en Styrie. Au milieu du XIXè siècle, ce vignoble comptait jusqu’à 35 000 Ha et figurait parmi les plus importants de la région germanophone. Actuellement de 3 600 Ha, la Styrie représente 5% de la surface vinicole autrichienne. Les vignobles localisés sur les versants sud des collines allant jusqu’à 560m d’altitude (les trois quarts des vignobles ont une inclinaison de plus de 26%), sont quelquefois à cheval sur deux pays (l’Autriche et la Slovénie) qui dans le passé furent réunies sous le même Empire.

Une route internationale, sorte de «no man’s land», serpente entre et sur ces sols de nationalités différentes, mais de même culture et avec des paysages travaillés de façons identiques. Contrairement à d’autres vignobles européens, il faut d’abord traverser la forêt pour atteindre la vigne. En Basse-Autriche, c’est l’inverse. Quelque 4000 exploitants se partagent le vignoble, et la surface moyenne y est de 0,81 Ha. La production styrienne ne représentant que le tiers de la consommation de vin, l’ensemble des vins produits est consommé localement. De nombreux cépages complantent ces vignobles qui se situent à la même latitude que la Vallée du Haut-Adige en Italie. La pluviométrie y est très importante car ce ne sont pas moins de 1000 à 1200 mm d’eau qui se déversent sur cette région. Aussi l’ensemble des vignes y est enherbé. Un ensoleillement de 2000 heures par an permet une excellente maturité du raisin. Abandonnant les vins doux et lourds d’après la deuxième guerre mondiale, les viticulteurs styriens se sont appliqués à vinifier des vins fruités, subtils et secs, permettant au cépage de s’exprimer le plus naturellement possible.

Les rendements y sont modestes (entre 40 et 50 hl/Ha), et depuis 1989 y sont promulgués par une loi. Situé sur des collines pentues et évitant les combes, le vignoble n’est pas gélif. Par contre, il affronte fréquemment la grêle, et quelquefois, comme ce fut le cas en 1975, l’ensemble de la récolte peut être réduit à néant. La superficie se divise en cépages blancs (75%), en cépages rouges (15%) et 10% pour le Schilcher (vin rosé local). Ces cépages sont les suivants :

– En blanc, nous trouvons le Welschriesling (appelé également Riesling italico), le Pinot Blanc, le Pinot Gris, le Muscat, le Sauvignon Blanc (nommé Muskat-Sylvaner), le Goldburger, le  Grüner Sylvaner, le Samling, le Müller Thurgau, le Morillon (Chardonnay), le Rheinriesling (ou Riesling Rhénan), le Traminer et le Gewurztraminer.

– En rouge, il s’agit du Wildbacher (Schilche1), du Blauer Zweigelt, du Blauburger, du St. Laurent, du Blau Burgunder (Pinot Noir) du Blaufrankisch, du Cabernet et d’un peu d’Olivin (ce vin est issu d’un assemblage de cépages).

La « Route des vins» locale nous mène au Château de SEGGAU. Ce Haut lieu historique, datant de l’époque de l’Empereur CHARLEMAGNE, Père Fondateur du Saint Empire Romain Germanique, aujourd’hui propriété de l’évêché de GRAZ, est mis à la disposition des acteurs économiques d’aujourd’hui et de demain comme lieu de formation, de rencontre et de séminaire. Le Château, construit au XIIè siècle par les princes évêques de SALZBURG, possède un immense balcon de style «renaissance». Il surplombe un paysage magnifique qui n’est pas sans rappeler celui de la Toscane. Les murs extérieurs rappellent le passé historique de cette région : des pierres tombales romaines de toute beauté et provenant des environs immédiats y sont scellées. Nous sommes attendus dans le Salon des Princes. Le silence s’installe, nous ne sommes plus en Autriche, nous voilà revenus dans l’Empire. Les portraits des princes évêques peints sur les murs, et qui vécurent en ces lieux du XIIIè au XVIlè siècle, confèrent une intimité et une solennité à ce lieu chargé d’histoire.

Georg SEYFFERTITZ nous souhaite officiellement la bienvenue. Wolfgang Amadeus MOZART nous convie à un petit concert et ouvre le Symposium d’une manière délicate, charmante et frivole. Grâce à un excellent Quartette, joué par l’Ecole de Musique de l’Université de GRAZ, les sons s’envolent et emplissent l’espace. Nous écoutons successivement le quatuor dit «des violettes» et celui qui s’intitule « Heuriger » (traduit par « Vin de l’Année»). Rappelons que ce nom est également donné à des «tavernes vigneronnes» situées dans les vignobles périphériques de VIENNE. Franz SCHUBERT, autre enfant du pays, n’est pas en reste, et nous avons droit au quatuor N° 87, que le célèbre compositeur écrivit à l’âge de 17 ans. Le concert se termine par « les danses styriennes » du compositeur viennois Joseph LANNER. Le Président William Von NIEDERHAUSERN remercie nos hôtes pour l’accueil qui nous est réservé dès les premières heures de notre voyage d’étude.

Après un excellent déjeuner-buffet servi dans une des salles du Château, agrémenté par des vins de ce Domaine épiscopal, nous passons aux travaux pratiques. Nos hôtes et organisateurs Georg SEYFFERTITZ et Willi BRUNDLMAYER font les choses de façon remarquable. Un véritable livret de dégustation, réservant une page à chacun des Domaines viticoles des 3 régions viticoles qui composent le vignoble de Styrie (Sud-Sud-Ouest et Sud-Est), dont nous allons déguster les vins, est remis à chacun des participants. 32 vins issus de 16 domaines de Styrie du Sud et du Sud-Ouest sont ainsi dégustés dans la cave historique et fraîche du Château. Chacun des vignerons concernés est présent avec ses vins, ce qui nous permet d’avoir une dégustation technique et un échange de points de vue professionnels.

Les vins de cépages différents sont dans l’ensemble bien vinifiés, très fruités, d’une agréable vivacité et d’une richesse alcoolique mesurée (entre 11° et 12°). Quelquefois, des touches un peu trop boisées viennent perturber la sensibilité de nos papilles. Respectant l’horaire, nous prenons le départ pour nous rendre en Styrie du Sud-Est. En route, nous faisons un arrêt à KLÔCH afin de visiter la propriété familiale de Georg SEYFFERTITZ : le « Gräflich Stürgkh’sches Weingut ». Attendu sur le perron par son fils Cari, son épouse et ses enfants, nos salutations se font sous les accords musicaux d’une formation de joueurs de « cors et de cornets de chasse », alignés sous d’immenses marronniers, qui nous interprètent de nombreux airs liés à la vénerie. Cari est le premier membre de la famille qui a décidé de consacrer la totalité de ses forces et sa vie au Domaine, qui comprend 12 Ha de vignes plantées en Gewurztraminer, Sauvignon Blanc et Rheinriesling.

Après des stages à l’étranger, en particulier en Alsace chez HUGEL, ses débuts de vinificateur datent de 1981 et les vins que nous dégustons sont frais, bien équilibrés et harmonieux. On y retrouve d’ailleurs une belle subtilité, une réelle expression du fruit et une rigueur du cépage. Il s’agit d’un Pinot Blanc 1998, issu de rendements à 60 hl/Ha avec une belle acidité, d’un Rheinriesling 1998, titrant 11,4% d’alcool et d’un Gewurztraminer 1998 avec 12% d’alcool. Son vin favori, appelé Kellerbraut ou «épouse de la cave», est un Gewurztraminer issu de Vendanges Tardives. Quittant cette famille sympathique, qui nous reçut de façon si naturelle en costume traditionnel local (Tracht), nous quittons le Domaine sous les évocations musicales de la chasse. La journée touchait à sa fin, et après un bref trajet en car, nous arrivons au Château de KAPFENSTEIN, propriété de la famille Winkler Von Hermaden. Ce château, construit en 1065 sur le haut d’un rocher basaltique formé après une éruption volcanique il y a environ 5 millions d’années, servit à protéger les populations environnantes contre les différentes invasions hostiles. Un panorama styrien superbe permet d’avoir des vues splendides sur la Slovénie, la Hongrie, la Croatie et les Alpes.

Avant de nous mettre à table, il nous faut travailler et, en guise d’apéritif, ce sont 18 vins issus de 9 domaines différents qui sont soumis à la sagacité de nos palais. Les vignerons de la Styrie du Sud-Est nous présentent leurs vins, issus d’une région vallonnée et dont la superficie des exploitations est souvent limitée à 3 Ha de vignes. Les viticulteurs rencontrés sont persuadés de leur mission qualitative et les vins qu’ils nous soumettent reflètent bien le caractère entier de cette belle région aux paysages hauts en couleurs. Nous étions également ravis de voir des femmes vigneronnes défendre les couleurs de leur domaine. C’est dans le restaurant du Château, primé par le Guide GAULT & MILLAU, que le dîner nous est servi. La musique, omniprésente au cours de cette journée, est de la fête grâce à l’accordéon.

Après des mets de la cuisine styrienne traditionnelle et les vins provenant du Stürgkh’sches et du Winkler Hermaden Weingut, ce fut au tour de notre Chancelier de prendre la parole. Remerciant nos hôtes pour cette journée captivante, ponctuée de dégustations impressionnantes avec des vins issus d’une grande variété de terroirs, notre Chancelier se met même à parler la langue de « Goethe» pour chanter les louanges de l ‘OLIVIN 1996, servi sur un rôti de bœuf à la styrienne. Invitant la jeunesse vignero1rne locale à venir rendre visite aux membres de l’Académie, il leur confie ses impressions sur les terroirs locaux qu’il trouve très intéressants. Il termine ses propos en exprimant le sentiment que cette journée, placée sous le signe des vins de Styrie, de la gastronomie locale et de la musique, reflet de cette joie de vivre autrichienne, le faisait penser à la Symphonie Pastorale de Ludwig Von Beethoven. Après une bonne heure de somnolence en car nous étions tous pressés de regagner nos pénates.

Vendredi : le Burgenland

EISENSTADT, située à 50 km au sud de VIENNE est, depuis 1925, la Capitale du BURGENLAND. Avec ses 12500 habitants, elle est la plus petite des capitales provinciales d’Autriche. Mentionnée pour la première fois en 1118 sous le nom de castrum ferreum, elle fut fortifiée en 1373. C’est en 1622 que les Habsbourg transmettent la ville en gage à Nikolaus ESTERHAZY, et l’élèvent au rang de ville libre. C’est dans ce château baroque datant du XVIIè siècle que nous avons le privilège d’être reçus. Résidence principale des Princes ESTERHAZY jusqu’à la fin de l’Empire Austro-Hongrois, ce château contribue grandement à l’attrait touristique de la cité. Après les mots de bienvenue du Docteur Josef SCHULLER, Master of Wine et directeur de la Weinakademie Österreich, suivis d’un bref rappel historique du Château, de la ville et de la région (qui appartint dans le passé au Royaume de Hongrie), nous sommes conviés à nous rendre dans la Salle de concert du Château.

Il s’agit d’une salle de concert grandiose aux couleurs rouges, rehaussées d’or et aux plafonds décorés de fresques. Cette salle se classe en deuxième position parmi les salles de concert autrichiennes, car l’acoustique y est de qualité exceptionnelle. Comme en Styrie, notre journée vinique dans le Burgerland débute de façon musicale. Joseph HAYDN (l732-1809) qui, pendant 30 ans, fut le Maître de Chapelle des Princes ESTERHAZY, est à l’honneur. La petite histoire veut que ce grand compositeur, qui joua et vécut dans ce château, vit son travail et son talent être rétribués pour partie en vins issus du Domaine princier. Le « Haydn-Quartett », composé d’excellents musiciens, nous interprète plusieurs mélodies de leur compositeur vedette. Ce concert de bienvenue se termine par le « quatuor de l’Empereur». Cette œuvre, choisie comme Hymne national au temps de l’Empire Austro-Hongrois, est aujourd’hui devenue l’Hymne National Allemand. Les applaudissements retentissent après ce clin d’œil au passé et au présent. Nous revenons sur terre et prenons congé de ces artistes de grand talent.

Après avoir franchi deux portes, les ors font place à des couleurs gris-bleuté. Les fauteuils d’orchestre se métamorphosent en table de dégustation. C’est une musique différente qui va s’offrir à nous, et après l’oreille, ce sont les yeux, le nez et le palais qui vont être mis à contribution. Force est de constater que nos hôtes souhaitent charmer l’ensemble de nos sens. La présentation du vignoble nous apprend qu’il s’étend sur 16 030 Ha et représente un tiers de la superficie viticole autrichienne. Les conditions climatiques locales avec des températures moyennes à 14°C, de mai à septembre de 23°C, y sont particulièrement favorables à la culture de la vigne. Le lac de Neusiedl jouant un rôle de régulation de la température. Cette région viticole se divise en 4 grandes zones : le Neusiedlersee (8 332 Ha) et son climat pannonique, le Neusiedlersee-Hügelland avec ses sols de loess, sable, glaise et terre noire, le Mittelburgerland (l 912 Ha) avec ses collines et un terroir de prédilection (glaiseux) pour le cépage rouge Blaufrankisch, le Südburgerland (437 Ha) avec des vins au caractère individuel.

Sous la houlette du Docteur SCHULLER et de 12 vignerons de la région du Neusiedlersee, nous faisons connaissance avec les cépages locaux. Ces derniers sont principalement : le Welsch Riesling, le Grüner Veltliner, le Pinot Blanc, le Chardonnay pour les blancs et le Blaufrankisch et le Blauer Zweigelt pour les rouges. La première partie de cette dégustation permet à chacun des viticulteurs présents de commenter le vin qu’il a sélectionné pour nous. Grâce à cette dégustation de « mise en bouche», nous faisons connaissance avec un ensemble impressionnant de cépages, 12 vignerons, 12 vins, 12 cépages ou ensemble de cépages que je nomme ci-après: Grüner Veltliner, Welschriesling, Weissburgunder, Muskat Ottonel, Pannobile weiss (cuvée à partir de Pinot Blanc, Pinot Gris, Neuburger et Chardonnay),Traminer, Blaufrankisch, Zweigelt, St. Laurent, Steinzeiler (20% de Zweigelt, 20% de Cabernet Sauvignon, 60% de Blaufrankisch), Schilfmandl (vin liquoreux vinifié avec le Grüner Veltliner) et Sâmling (vin liquoreux vinifié avec du Welschriesling, du Chardonnay et du Pinot Blanc).

Remerciant le Docteur SCHULLER et les vignerons présents pour la dégustation commentée qu’ils venaient de nous offrir dans ce Château chargé d’histoire, notre Chancelier Jean-Pierre PERRIN met l’accent sur le respect du patrimoine et des traditions vitivinicoles de cette région. Il les met en garde envers un aspect trop commercial et trop scientifique du vin et les incite à préserver leurs vraies valeurs ainsi que cette organisation familiale du vignoble. Rappelant que la langue officielle de l’Académie est le français, il remercie plus spécialement les quelques vignerons locaux qui ont pu s’exprimer dans cette langue, sans pour autant méconnaître les efforts des autres qui se sont exprimés soit en anglais soit en allemand. Certes, le vin rapproche les hommes, mais la langue s’avère toujours nécessaire pour communiquer.

La deuxième partie permet à ces mêmes vignerons de nous présenter des vins différents. Des tables de présentation dressées sur la terrasse du Château sont pour nous l’occasion de persévérer dans la découverte des vins de la région et d’échanger nos points de vue œnologiques et gustatifs. 24 vins supplémentaires sont ainsi soumis à la sagacité de nos papilles. Cette dégustation se prolonge tout au long de l’excellent repas offert par les viticulteurs présents. Nous avions ainsi l’occasion de mettre les vins en situation réelle et de les apprécier avec les mets qui nous furent proposés. Le repas terminé, nous embarquons pour RUST, ville située au bord du lac de Neusiedl. Cette ville libre de 2000 habitants, rachetée en 1681 à l’Empereur Léopold pour une somme de 30 000 florins et une quantité de 500 seaux de vin qualifié de Ausbruch, a non seulement la particularité de produire ce grand vin moelleux, mais a également la chance d’être une ville d’accueil pour les cigognes. Elles y résident en très grand nombre et aiment y jouer les stars.

Grâce à des fouilles, le passé de cette ville remonte jusqu’aux Romains. En 1524, l’impératrice d’Autriche y autorisa la culture de la vigne. La cour Impériale, grande consommatrice des vins de RUST et spécialement de ce fameux AUSBRUCH, assura à cette ville et à ce vin une immense réputation. Ce nectar renommé se traitait aux mêmes conditions que les plus grands vins de Tokaij hongrois. RUST restera hongroise jusqu’en 1921. A l’ouest, la ville est bordée de collines sur lesquelles on retrouve une collection de cépages tels le Furmint, le Grüner Veltliner, le Chardonnay et le Pinot Blanc. A RUST, nous nous divisons en quatre groupes afin de visiter des exploitations familiales. Je vous relate donc ma visite au Weingut WENZEL. Vignerons de père en fils depuis le XVIè siècle, ils vendaient le vin en fût à une famille de riches négociants de Eisenstadt. Ce négoce a aujourd’hui disparu ; appauvri durant la première Guerre mondiale, il fut ruiné immédiatement après.

Aujourd’hui la famille WENZEL possède 9 Ha de vignes et produit 60% de vin blanc sec, 30% de vin rouge et 10% de vin liquoreux (RUSTER AUSBRUCH). Après cette visite suivie de la dégustation d’un Sauvignon 1998, nous nous retrouvons dans la cour intérieure de l’immeuble abritant l’Académie des Vins d’Autriche, « Österreiche Weinakademie ». Un groupe folklorique nous y accueille avec des chants et des airs entraînants. La Hongrie est proche, et nous le ressentons en écoutant cette musique d’Europe Centrale. Mais nous sommes venus pour travailler et pour mieux faire connaissance avec cette région viticole. Les organisateurs nous entraînent donc dans une grande salle de dégustation où nous nous attablons et goûtons un grand nombre de ce vin doux local : le RUSTER AUSBRUCH. Ce terme, apparu au XVIè siècle, fut réservé aux vins issus de tris qualitatifs sur des raisins botrytisés.

Le seuil de maturité est souvent l’équivalent de 30% d’alcool, et la fermentation alcoolique est très longue. Leur vente en bouteille de 50 cl ou de 37,5 cl se fait après 2 ou 3 ans. On parle de « douceur baroque» pour ces vins de dessert. Ce sont 7 vins provenant de 7 vignerons différents qui nous sont présentés. Les arômes miellés se bousculent, la fleur d’acacia, l’abricot, le coing, la figue, le pamplemousse, l’orange, la pomme-cannelle, la vanille sont souvent soutenus par une belle acidité fruitée. Un vin, vieilli en barrique, se détachait du lot par son caractère très spécial. Il s’agissait de celui du Domaine FElLER-ARTINGER, qui développait des arômes de café, de tabac, de cigare, de chocolat noir. Le Ruster Ausbruch 1979 du Domaine Ernst TRIEBAUMER titrait 180° oechslé et sa fermentation dura un an. Ce vigneron nous a confié qu’il a élaboré ce vin, aujourd’hui équilibré et harmonieux, pour faire plaisir à son épouse.

Notre chancelier exprime un « immense merci » aux vignerons locaux pour la présentation de leurs vins qui sont d’une haute tenue qualitative. « Le violon finit de vibrer, on n’a pas envie de parler ». Ce fut une dégustation d’anthologie avec une présentation de cépages historiques. « Le terroir du Neusiedlsee est réellement un terroir historique et produit des vins nobles». Gorgé de sucre, le palais se fait plaisir, mais ce plaisir, à la longue, fatigue. Aussi, afin de nous éviter un engourdissement en cette fin d’après-midi, nos hôtes avaient prévu de servir un café ou un thé revigorant, agrémenté, il est vrai, de quelques pâtisseries locales. Elles eurent leur petit succès car il n’est, n ‘est -ce pas Mesdames, jamais bon de se couper trop radicalement du sucre. Nous quittons RUST en bateau pour traverser le lac de NEUSIEDL. Ce lac de 320 km2, propriété de la famille ESTERHAZY, est le plus grand lac de toute l’Europe centrale et constitue le noyau central du Parc National.

Il a plusieurs particularités : Son eau est salée, sa profondeur ne dépasse jamais 1m20, la température de l’eau atteint 27°C en été et la glace 50 cm d’épaisseur en hiver. Des centaines d’hectares sont envahis par des roseaux. Paradis des oiseaux, ce site est strictement protégé et fait partie du Parc National. Il donne naissance à un véritable microclimat, car sa rive Est voit s’échouer l’immense steppe hongroise et d’Europe centrale, et sa rive Ouest permet aux collines qui mettent un point final au massif alpestre austro-allemand, de venir y mourir. Pour les oiseaux migrateurs, ce lac est le point de passage privilégié sur la route qui les mène du grand Nord jusqu’en Afrique du Sud pour certains d’entre eux. Après 45 minutes de traversée paisible, nous accostons une rive très sablonneuse, cultivée de vignes. L’ensemble appelé «Botrytisweingarten», soit Jardins de vignes botrytisées, bénéficie d’un microclimat favorable au développement de la pourriture noble.

Le temps presse et nous nous voyons dans l’obligation de raccourcir la visite du Parc National. Ce parc a la particularité d’appartenir à plus de 1000 propriétaires terriens situés dans deux pays : l’Autriche et la Hongrie. Issu de l’océan qui recouvrait ce bassin il y a 16 millions d’années, et suite à la baisse du niveau de la mer il y a 13 millions d’années, il se forma ici un lac intérieur qui se déplaça vers l’Est. Finalement, ce fut vers 10 000 ans avant Jésus Christ que se forma le lac de Neusiedl. Dès l’époque mésolithique (7000 ans avant J.-C.) et néolithique (5000 ans avant J.-C.), l’homme habita cette région comme le prouvèrent des fouilles archéologiques. Bien plus tard, ce furent les Celtes, puis les Romains, les Goths, les Teutons, les Huns, les Mongols qui peuplèrent les abords du lac. Les cars nous déposent devant une très coquette auberge villageoise à PODERSDORF, dans laquelle les «Renomierten Weingüter Burgerland» (Les Domaines Viticoles du Burgerland) nous invitent à dîner. Son nom de « Gasthaus zur Dankbarkeit » passa presque inaperçu, et ce n’est qu’en rédigeant ce rapport que je remarquais qu’il était prémonitoire.

Nos pieds foulent un parterre de pétales de roses et de pivoines qui forment un tapis d’honneur. Cette marque de respect est un privilège rare. En général, il est réservé à certaines fêtes civiles ou religieuses, comme le cortège du Saint Sacrement lors de la Fête Dieu. C’est dans le jardin de l’Auberge, à côté d’un immense cerisier chargé de cerises croquantes, que nos amis vignerons nous attendent. Un orchestre de tziganes interprète les airs folkloriques locaux. L’ambiance est unique, décontractée, chargée d’amitié et de sincérité. Notre chancelier le qualifiera plus tard de « vigneronesque ». Emportés dans ce tourbillon de chaleur humaine, charmés par les vins que les vignerons ont apportés pour enchanter nos palais, sustentés par un buffet champêtre de qualité composé de produits locaux préparés de façon artisanale (ah, cette salade d’asperges blanches et vertes en vinaigrette d’herbes, ce boudin fait maison avec ses pommes de terre rissolées et parfumées à l’estragon), nous sommes comblés et la soirée s’annonce inoubliable.

Jacques PUISAIS se régale de plats locaux et justes ; Jacques SEYSSES ravive ses souvenirs avec un verre de Welschriesling Trokenbeerenauslese 1981 du Weingut KRACHER. La soirée se termine sur des discours d’adieux touchants et émouvants. Notre Chancelier remercie nos hôtes et leur promet que cette Soirée restera marquée à jamais dans les Annales de notre Académie. Marquée par la grâce et la simplicité, elle a stimulé notre âme vigneronne. Rappelant les moments forts de cette journée que nous venions de vivre, il laisse entendre à nos amis vignerons locaux qu’elle fût une des plus belles de notre vie. Comparant cette région située autour du lac de Neusiedl à un endroit béni et à un terroir historique et d’exception, il chante les louanges de ce pays d’Autriche, véritable mosaïque de terroirs entraînant une mosaïque de cépages. Aussi il invite nos hôtes à rester fidèles à ces cépages afin de faire perdurer cette association terroir-climat qui est unique. Rappelant notre présence dans ce Parc National soutenu par l’UNESCO qui souhaite y faire respecter les règles d’équilibre de cette biosphère unique en Europe, il invite l’ensemble des académiciens et des vignerons présents à faire de même dans leur exploitation et à y respecter le sol et le sous-sol. Cette journée débuta par un adagio de Haydn, elle se termine dans la grâce d’une belle nuit d’été, par une rhapsodie hongroise de Liszt. Heureux mais fatigués, c’est vers minuit que nous arrivons à KREMS et prenons possession de nos chambres avec une rapidité exceptionnelle.

Samedi: Kamptal et Wachau

La journée débute par notre Assemblée Générale. Le Président William Von NIEDERHAUSERN ouvre la séance et remercie Willi BRÜNDLMAYER et Georg SEYFFERTITZ pour la remarquable organisation de ce voyage. Il remercie également Pierre de MURALT pour l’excellent compte-rendu du dernier Symposium d’hiver à Genève. Avant de donner la parole à notre Chancelier Jean-Pierre PERRIN, il le remercie pour les mots justes qu’il a su trouver lors de ses différents discours. Le Chancelier débute ses propos par une pensée pour André PARCE. Il remercie Jacqueline NOGAREDE d’être parmi nous. Ses salutations s’adressent également à Madame DELBECK qui représente son époux, à Mademoiselle Laurence FALLER, qui accompagne sa mère, à nos confrères Jacques SEYSSES et Dominique PIRON, qui participent à leur premier symposium. Il salue également la forte présence anglaise à ce Symposium.

Il précise que Pierre de MURALT est à nouveau en charge des procès verbaux et des rapports communiqués lors de notre Symposium de décembre. Ce dernier souhaite que les membres consacrent un peu de leur temps pour lire les rapports qui sont extrêmement intéressants et qui ne méritent pas d’être classés ipso facto. Reprenant la parole, le Chancelier présente succinctement notre voyage de l’an 2000 en Grèce, et précise que ce dernier, suite à des progrès qualitatifs notables, serait plus spécialement consacré aux régions de Macédoine et d’Epire. Une discussion suit quant à la suggestion de Pierre TARI de faire publier un fascicule mettant en valeur un nombre limité de rapports (10 à 15). Ce livret, remis en cadeau à nos hôtes lors d’un Symposium, d’une visite ou d’une manifestation, permettrait à ces derniers de mieux situer l’Académie et les valeurs qu’elle défend. L’idée est intéressante et Pierre TARI est chargé par l’Assemblée de trouver quelques membres qui puissent l’aider à mettre cet ouvrage en place. La séance est close, et c’est au tour de Willi BRÜNDLMAYER de nous présenter la région que nous allons parcourir aujourd’hui. Deux vignerons vont l’assister durant cette journée. Il s’agit de Messieurs Emmerich KNOLL et Willi KLINGER.

Le Kamptal

Les collines d’une hauteur de 600 mètres sont les derniers vestiges des gigantesques massifs équivalents à ceux de l’Himalaya. La pluviométrie se caractérise par des averses fréquentes au printemps et au début de l’été. L’été et l’automne sont secs, et la pourriture noble a beaucoup de mal à se développer dans cette région. Le Riesling est le cépage qui supporte le plus facilement l’attaque du botrytis cinerea. Le loess, sol dominant dans cette région, convient bien au cépage Grüner Veltliner, qui y règne en maître. La sécheresse handicape la qualité du vin et oblige le vigneron a irriguer par un système de goutte-à-goutte. Cette irrigation, faite dans un contexte qualitatif, est arrêtée à l’automne. Afin de mieux retenir 1’eau, de nombreux vignobles sont cultivés en terrasses et produisent des raisins de grande qualité qui n’ont besoin d’aucune modification ultérieure (enrichissement ou acidification).

Dans l’ensemble les Domaines y sont de petite taille, et les vignerons participent à un programme d’équilibre écologique soutenu par l’Etat et l’Europe. Chacun d’entre eux perçoit une somme de 4 000 Frs par hectare s’il souscrit à ce programme écologique. La vallée de LANGENLOIS (bourg entouré de vignes) est largement ouverte vers le Sud-Est et protégée au Nord par des collines. Les meilleurs terroirs sont les coteaux exposés au Sud et les meilleures caves sont exposées au Nord. Aux XIIè et XIIIè siècles, une grande partie du vignoble était la propriété de l’Eglise et de Cloîtres du royaume de Bavière. Nous sommes attendus au Domaine par la charmante et dévouée Madame BRÜNDLMAYER qui, je le rappelle, est parisienne d’origine. Le caveau de réception est chaleureux et sympathique. Aux murs, de vieilles photos rappellent le passé de cette exploitation familiale qui compte aujourd’hui 70 hectares, dont 55 Ha en exploitation.

A ce domaine s’ajoute une participation de 50% du Château Gobelsburg (ancien domaine Cistercien géré par Michael MOOSBURGER et Willi BRÜNDLMAYER et qui comprend 35 Ha de vignoble). Monsieur KNORR, chef de cave, est très prévenant et répond à nos nombreuses questions. Une visite nous permet de parcourir une magnifique cave voûtée, profonde, fraîche et humide, tapissée de moisissures épaisses et moelleuses. Au centre, sous la protection d’une vieille statue de Saint François, se trouve l’œnothèque. Considérée comme la mémoire gustative du Domaine, elle permet, grâce aux dégustations, d’étudier la faculté et le potentiel de vieillissement des vins. Les vendanges sont effectuées à la main par une vingtaine de personnes issues de la région et s’étalent de la mi-septembre à la mi-novembre. Les raisins arrivent aux chais en paniers, et sont versés directement (sans éraflement) dans les 2 pressoirs pneumatiques (Wilmes). Le pressoir chargé en fin de journée ne sera mis en route que le lendemain matin et subira ainsi une macération pelliculaire.

Aucune adjonction de soufre n’est faite sur la vendange ou sur le moût. Le premier apport de souffre se fera après le premier soutirage, une fois la fermentation terminée. Malgré une bonne qualité du moût, un débourbage léger est pratiqué. Afin de permettre un départ en fermentation rapide (dans les 24 heures), un levurage est pratiqué avec des levures propres à l’exploitation. Pour permettre ce dernier, une quantité de moût (ou de lies) chargé en levures est stockée en frigo afin d’assurer l’ensemencement de 300 litres de pied de cuve l’année suivante. Avec une richesse potentielle de plus de 12,5° d’alcool, la fermentation du Grüner Veltliner (et du Riesling) se fera plutôt dans des foudres en bois de 2500 litres ou dans des barriques de 2-3 ans (Grüner Veltliner). Les cuves de vinification sont en acier inoxydable, sont réservées aux moûts qui titrent moins de 12,5° d’alcool potentiel et permettent une régulation des températures qui se situent entre 15°C et 20°C.

Afin d’être en présence d’échange en oxygène, un élevage sur lies fines ne se pratique que sur les vins logés dans les foudres en bois. Une cave de foudres en bois de contenants moyens de 2500 litres permet une maturation des vins. Les vins blancs secs sont la spécialité du Domaine, et la production de 1iquoreux reste confidentielle (300 litres par an). La fermentation malolactique n’est recherchée que pour les vins rouges et les vins de base destinés à produire un «mousseux». Ces derniers se composent de Pinot Noir, de Chardonnay et de Pinot Blanc. Dans le vignoble, la politique suivie a pour objectif de produire des raisins sains, mûrs, riches, capables de fermenter avec la seule levure indigène. Willi part également du principe que les meilleurs terroirs ne doivent pas obligatoirement être les plus riches et les plus chauds (ensoleillés?). Les sols qui composent le domaine sont issus de la «masse bohémienne» et se composent de loess, de mica, de calcaire, de conglomérat volcanique datant de 270 millions d’années

Le sol est travaillé ou enherbé, et l’utilisation d’herbicide est évitée. L’enherbement est pratiqué avant l’hiver et un rang sur deux est labouré au mois de juin. Selon la vigueur et l’état général de la vigne, un apport de compost est effectué. Pour les traitements, ce sont les bouillies cupriques et le soufre qui sont utilisés. Les insecticides sont évités dans la mesure du possible afin de préserver la vie des typhlodromes. Les traitements contre les vers de la grappe sont effectués avec le bacillus thuringincis. La vigne ne subit aucun traitement anti-botrytis. Nous clôturons notre visite par une dégustation de 6 vins. Deux Grüner Veltliner 1998 d’une grande richesse (14° et 14,5°) ouvrent le ban: le premier, dénommé Alte Reben, est issu de vieilles vignes (45 à 50 ans); composé à partir de raisins issus de différents terroirs avec un rendement de 25 à 30 hl/Ha, il se présente à nous de façon dense, expressive, à la fois concentré et tendre. Sa finale est un peu chaude.

Le deuxième, dénommé Ried Lamm (terroir du Lamm à dominante argileuse) se donne à travers des arômes fins et élégants, d’une richesse intense. Le vin est sec mais s’exprime de façon chaleureuse. Il est à noter que le Grüner Veltliner possède une pellicule épaisse qui rétrocède au vin certains tannins végétaux. Suit une dégustation comparative dans les millésimes 1997 et 1998 de 2 Riesling. L’un issu de vieilles vignes (50 ans) dénommé Zobinger Heiligenstein Riesling Alte Rebe, et l’autre dénommé Zobinger Heiligenstein Riesling Lyra, issu de la même parcelle mais dont la taille a été faite en « lyre». Le vin du millésime 1998, issu de vieilles vignes, titre 14° et se présente avec une belle expression aromatique de raisin mûr. En bouche il est dense, ferme et tendre. Caractérisé par une bonne expression du cépage issu d’une grande maturité, le vin paraît moins chaud que le Grüner Veltliner. Vin d’une qualité étonnante.

Le vin issu de la culture en lyre se présente avec un beau support acide. Il est riche (15°) et plus végétal que le précédent. Cependant, pour Jacques PUISAIS, l’astringence plus mordante n’est pas reprise par le corps du vin. Le Riesling 1997, issu de vieilles vignes titre 13,5°. Les arômes sont frais et fondus et la structure de bouche est très équilibrée, subtile. Il s’agit d’un très grand vin. Le Riesling 1997, issu de la vigne en lyre, dégage des arômes chaleureux mais néanmoins frais. Le vin est moins élégant que le précédent, mais a beaucoup de caractère. Il est tendre et gras, et malgré ses 15° d’alcool et ses 4g de sucre résiduel, ne présente pas la chaleur des Grüner Veltliner. Dans leur ensemble, les vins présentés sont riches, denses, calmes, sereins et de grande qualité. La conclusion qui peut être faite après cette première dégustation est le fait que les vins issus de la taille en lyre sont moins complexes que ceux issus de la taille classique. Par contre, ils se caractérisent par une fraîcheur plus végétale. Après cette mise en bouche le car parcourt quelques centaines de mètres et nous dépose au Château GOBELSBURG.

Ce château est la propriété du monastère Cistercien. La qualité de leurs vins devenant de plus en plus problématique, un bail locatif établi sur 60 ans (2 générations) permet à Michael MOOSBURGER (30 ans) et Willi BRÜNDLMAYER de reprendre ce Domaine en main et de le gérer à part égale. Il comprend un Château et une surface viticole de 35 Ha. Surpris par ce type de bail, nous constatons que l’Eglise à toujours l’Eternité pour elle. Cependant, très pragmatique, les moines ont pensé à leur soif en se réservant, entre autres, une quantité de 1200 litres de vin par an. Michael nous attend devant une immense table en fer à cheval. La deuxième dégustation débute et va se dérouler en deux parties. Une première partie consiste à déguster une «verticale» de Grüner Veltliner du Domaine de SCHLOSS GOBELSBURG. En exergue, sur notre feuille de dégustation, nous trouvons une pensée cistercienne : « Qui bon vin boit, Dieu voit ». C’est avec un réel entrain que nous attaquons cette série de Ried Lamm issue des millésimes 1997, 1996, 1995. Deux Spätlese issues des années 1973 et 1969 terminent cette série.

Le 1997, aux arômes fins, complets et complexes, se présente au palais avec du gras et une belle richesse. Il me semble un peu lourd avec son léger sucre résiduel. Le 1996 est frais, et se donne avec des arômes végétaux (asperge verte). Citronné en bouche, il est très équilibré. C’est un beau vin. Le 1995 se présente à nous sous un aspect fumé, un peu minéral. En bouche, il est ferme avec un gras qui n’est pas trop marqué. Il finit en beauté sur une pointe de nervosité. Le 1973 Spätlese (issu de l’œnothèque des moines) se donne avec une belle richesse aromatique. En bouche, il est frais, riche et équilibré. Il s’agit d’un vin constitué d’une belle matière, lié à une bonne complexité. Ce vin ne fait pas son âge. Le 1969 Spätlese (également issu de l’œnothèque des moines) présente une légère attaque de botrytis au moment des vendanges. Le vin nous parle avec beaucoup d’unité, et ce malgré une légère oxydation qui n’est pas très gênante. Le vin est plein, riche et gracieux.

Il est certainement issu d’une très belle matière. Odile le classe comme étant « merveilleux ». Cette première partie de la dégustation fait apparaître une certaine contradiction entre la loi du marché, dictée par les consommateurs pressés de boire les vins jeunes, et le vin, qui possède un potentiel de vieillissement insoupçonné. La deuxième partie nous permet une « verticale » de Riesling issus du terroir Zobinger Heiligenstein et vinifiés par Willi BRÜNDLMAYER. Les millésimes 1997, 1992, 1988, 1985, 1971 en Spätlese vont être passés en revue. 1997, aux arômes fins et élégants, a séjourné sur lies fines pendant 8 semaines dans un foudre en bois. Mis en bouteille en mars 1998, il se donne dans une plénitude de bouche. Ferme, tendre, élégant, il est puissant et distingué. C’est de la grande classe. 1992 se donne avec une grande richesse aromatique, mais une légère dominante de l’alcool. La matière est ferme, dense, avec une certaine fraîcheur, liée à une belle vivacité. On y trouve le coté croquant du raisin mûr. Vin superbe.

1988, aux arômes élégants et fondus, évoque pour moi une relation de richesse et de tempérance. Nous avons droit à un vin « sage» dont l’esprit est en harmonie avec le corps. Bien soutenu, le vin reste frais et subtil. Etonnant! 1985, se livre à nous avec des arômes aux touches minérales. Il me paraît un peu introverti et on y retrouve des touches de zeste de citron. Il possède toujours une belle acidité mûre et croquante. 1971 Spätlese, de couleur «or vert », distille des arômes superbes rappelant le citron confit parsemés de larmes de sucre cristallisé. Avec ses 10g de sucre résiduel, dus à une fermentation incomplète, il est exceptionnel. Long en bouche, relevé par une fraîcheur de citron mûr, le vin juteux ne finit pas de vous parler. C’est un vin immense qui se donne avec tendresse et avec élégance. C’est presque à regret que nous quittons notre salle de dégustation car, malheureusement pour nous, après avoir connu une sorte de paradis, il nous faut redescendre sur terre.

Le déjeuner-buffet, qui met en valeur des préparations locales telles le boudin noir pané ou la saucisse de porc cuite au court-bouillon, est pris sur le perron du Château. Par son unité de goût, sa simplicité et son équilibre complet, ce repas est grandiose. Jacques PUISAIS remercie nos hôtes pour les émotions qu’il a connues tout au long de ce repas: l’accueil exceptionnel, les beignets à la fois croustillants et douillets (il s’est même laissé allé à en redemander une seconde fois) qui savaient reprendre le Zöbinger Heiligenstein Riesling 1995 avec douceur. Le bœuf bouilli, moelleux et fondant, et le Langenloiser Steinhaus Grüner Veltliner l975 (10,5°), qui s’appelaient mutuellement afin de faire la ronde. Le vin vous toise et vous regarde. Il y a une forme de bonté et de vérité dans cet accord qui demeure élégant. Le fromage de chèvre est servi sur un fond de sirop d’érable. Son expression caprine est difficile à reconnaître, et la chèvre semble être moins sauvage que dans la Loire. Il s’agit d’un «chèvre de boudoir».

L’accord fringant avec le Grüner Veltliner Spätlese 1983, qui se joint au croquant des grains de pavot permet à la vie d’être douce. Les saveurs sont libérées grâce à une petite note de Muscat qui, ne l’oublions pas, est l’ancêtre de nos cépages. Ce repas était un moment de Vérité. Comblés par une matinée extraordinaire, nous quittons cette vallée de LANGENLOIS pour nous rendre dans une autre vallée historique, celle formée par le Danube. Nous passons à côté du Château DÜRSTEIN, devenu célèbre grâce au roi Richard Cœur de Lion, qui y fut retenu prisonnier lors de son retour de Terre Sainte. Non loin de ce château, se trouve celui de Kellerschlössel, siège de l’Association Vinea Wachau et de la coopérative locale Freie Weingärten Wachau.

La Wachau

Le vignoble de la Wachau couvre une surface de 1 400 Ha, et est situé dans cette magnifique vallée du Danube qui incite au romantisme et à la rêverie. Le fleuve coule à nos pieds et se situe à un niveau anormalement élevé. Ses riverains doivent faire face à une des crues du siècle. De nombreux vignobles sont en terrasses, et rappellent ceux de la vallée du Rhin ou du Douro. Beaucoup de terrasses sont encore laissées à l’état de friches et permettent une extension qualitative du vignoble. Une première dégustation de 7 Grüner Veltliner et 5 Riesling du millésime 1998, issus de terroirs, de villages et de vignerons membres de Vinea Wachau, nous sont soumis. Ces vignerons, regroupés en association avec une Charte Qualitative librement consentie, représentent 40% du vignoble de la Wachau et sont considérés comme étant les leaders de ce vignoble.

Certains vins sont présentés dans leur expression originelle, Steinfeder, que l’on pourrait traduire par «plumet» ; d’autres, mieux dotés par la nature, se dénomment Federspiel (traduit par «jeu de plumes») et Smaragd. Bien vinifiés dans l’ensemble, ils expriment bien les différences climatiques, résultant du courant d’air chaud venu des steppes de l’Est qui remonte la vallée du Danube en été et au début de l’automne. Les vins sont secs, vifs, frais, marqués par une acidité végétale qui évolue quelquefois vers une forme rustique. Certaines acidités semblent « méchantes », alors que Jacques PUISAIS les qualifie de justes. Il rappelle à bon escient que le caractère sec n’est pas lié à la teneur en sucre, mais à celui de l’extrait et à la matière du vin. Une deuxième partie, comprenant 7 vins de la Coopérative Freie Weingärten Wachau, nous est proposée. Composée de 4 Riesling Smamgd issus des millésimes 1997, 1995, 1993 et 1990, elle est d’une bonne tenue qualitative. Personnellement, j’ai bien apprécié le 1997 et le 1990, marqué par une touche de gingembre et d’un bel équilibre. Suivit un Grüner Veltliner Spätlese 1976, avec des arômes fumés au nez. La bouche complexe est très intéressante.

La dégustation se termine par un vin rouge : une cuvée composée à partir de 90% de St. Laurent et l0% de Spätburgunder 1983 qui, à travers des arômes de café, n’est plus dans le meilleur de sa forme, et un vin liquoreux, le Riesling Trockenbeerenauslese 1994, qui n’avait pas encore assimilé son acidité pinçante et persistante. Jacques PUISAIS clôture cette dégustation en remerciant les viticulteurs présents, et en leur précisant que c’est grâce à eux que nous avons pu entrer dans le mystère de leurs vins qui ont « la gueule de l’endroit». A 20 heures, nous nous retrouvons à l’Eglise (déconsacrée) des Minorites, (Minoritenkirche) pour y tenir notre dîner de gala et d’adieu. L’église, de style gothique, est d’une rare sobriété.

L’espace, l’atmosphère, le décor invitent à la réflexion et à une élévation spirituelle. Un ensemble architectural aérien nous entoure, la voûte est constellée d’étoiles aux teintes pastel, de longues tables disposées « en fer à cheval » sont garnies de nappes blanches parsemées de pétales de roses et de vases aux bouquets composés de roses, de fleurs blanches, de raisins et de lierre. De grandes bougies tiennent dans d’immenses bougeoirs en fer forgé, des accords musicaux emplissent la nef. Toute la beauté qui imprègne ce lieu est mise au service des convives en habits de fête. Un autre monde se dessine à nous, ni virtuel, ni conceptuel, il émane du cœur de nos hôtes qui, ce soir, nous font ressentir l’estime et l’amitié qu’ils nous portent. Pour un soir, à travers des fastes qui nous suggèrent ceux de l’Empire, nous redécouvrons le sens des mots « PURETE» et «EXCELLENCE».

Faisant taire ses ennuis de santé, Georg SEYFFERTITZ et son épouse nous ont rejoints. Heureux, Willi BRÜNDLMAYER et son épouse, toute resplendissante, restent attentifs au bon déroulement de la soirée. Puis il y eut, comme l’a dit Jacques PUISAIS : « ce repas d’amitié autour de la table, ce festin à l’ombre de Mozart ». L’apéritif; un Bründlmayer Brut 1995 emplit les flûtes. Willi nous précise qu’il s’agit d’une cuvée élaborée à partir de Pinot Blanc, de Pinot Noir et de Chardonnay. Un Grüner Veltliner 1998 de Schloss Gobelsburg, agréable et fruité, et un Grüner Veltliner 1996, frais, concentré et épicé, vinifié par Sepp MOSER (le petit-fils de LENZ MOSER), ont le plaisir d’accompagner « une fricassée de poumon de veau au Veltliner et un Knödel de brioche » qui ne manquait pas d’air. «Les pointes d’asperges en gelée sur lit d’écrevisses » apportent une belle réplique sur les deux vins des Freie Weingärten Wachau: Un Neuburger 1997 (cépage issu du Chasselas et du Sylvaner, vin net, précis, tranchant, et un Riesling Smaragd 1997.

« Le filet de féra dans sa feuille de strudel au persil » se partage de façon classique entre deux Riesling. Sepp MOSER vinifia celui de 1998, et le 1997, long et structuré, fut celui de Emmerich KNOLL. «Le magret de canard sur polenta au jaune d’œuf et au confit d’oignons» met en présence deux Grüner Veltliner. Un 1979 de Willi BRÜNDLMAYER et un 1998 de Schloss GOBELSBURG. Pour Jacques PUISAIS, deux expressions de la vigne se trouvent face à face et on pouvait remercier le choix des vins et du cuisinier. Avec le 1979, c’était un mariage d’amour, le canard s’envolait avec le vin. Cet accord sera à inscrire parmi les classiques de l’A.I.V. «Les médaillons de fromage sur pomme de terre au four à la crème de potiron» firent place à une forme de compétition amicale entre un Roter Veltliner 1969 de Josef MANTLER (cépage ancien à peau rouge et à jus blanc, vinifié en macération pelliculaire) et un Grüner Veltliner Auslese 1995 (13° et 25g de sucre résiduel) de Emmerich KNOLL. Ce dernier vin, qualifié par Willi BRÜNDLMAYER de « féroce», alors qu’il voulait dire « sauvage», m’a fait penser à une forme d’agression masochiste tout à fait intéressante.

Jacques trouva un accord rigoureux avec le 1960 et un accord miséricordieux avec le 1995. Il m’est impossible de vous décrire le buffet de desserts. Nous étions en Autriche, le pays des pâtisseries, et cette farandole des desserts s’amuse avec un Müller Thurgau Beerenauslese 1979 des Freie Weingärten Wachau et un Grüner Veltliner 1995 Beerenauslese de Willi BRÜNDLMAYER. Il fut difficile de s’arrêter. Et pour clore ce dîner, il y a un « foie gras poêlé sur pommes au miel et au Riesling». Un Neuburger Trockenbeerenauslese 1995 de Josef MANTLER se doit de l’accompagner. Le vin se découvre au travers d’arômes de tilleul, de sureau, d’aristoloche (bouillon blanc). Jacques PUISAIS eût le plaisir de remercier l’ensemble des organisateurs pour l’exemplarité d’un repas qui fut juste.

Félicitant, et comparant les vignerons présents à «d’excellents bergers», il les incita à continuer de produire des vins en accord avec la justesse du milieu. Il commenta le repas avec le vocabulaire pertinent et séduisant qu’il sait si bien manier. Rappelant l’audace de servir un autre dessert, ce foie gras poêlé, après les desserts, il chante la symbolique qui réunit le foie et le figuier. Le figuier (symbole de force) ne fleurit pas. Sa fleur, située à l’intérieur de la plante, se fait énergie. Et c’est cette force de l’Energie qui nous a rassemblé ce soir autour de l’expression du vin juste. Sous une pluie d’applaudissements, il remercie les ouvriers de ces grandes journées et nos amis Georg SEYFFERTITZ et Willi BRÜNDLMAYER ont droit à une standing ovation. C’est à Georg SEYFFERTITZ que revint l’honneur de clore cette Soirée de Gala. Espérant avoir pu faire apprécier la qualité des vins autrichiens à tous les participants, il souligne que sa pensée rejoint celle d’Alexandre DUMAS lorsqu’il disait que : « le vin est la partie intellectuelle du repas, la viande n’en étant que la partie matérielle ».

Remerciant les vignerons autrichiens présents et ceux qui ont contribué, de loin ou de près, au succès de ce voyage, il témoigna toute sa reconnaissance à Willi BRÜNDLMAYER et à son épouse qui furent, tous les deux, le cœur de ce voyage. Souhaitant à l’assemblée de faire un bon voyage de retour, il espère que l’Académie pourra continuer à œuvrer afin de soutenir le renom des Grands Vins d’Autriche. C’est dans un silence quasi religieux que «Die kleine Nacht Musik » de Wolfgang Amadeus MOZART emplit la nef de l’église, après quoi nous prîmes congé de nos hôtes.