I . Avant-propos

L’idée principale que j’avais en tête était celle de réfléchir sur les marchés des vins et d’en tirer des conclusions pouvant contribuer aux valeurs les plus appréciées par l’Académie Internationale du Vin, telles “la qualité et l’authenticité” des vins ainsi que “la défense, le maintien et la promotion”, selon l’article V du Règlement Intérieur de l’Académie. Le titre “Vin de terroir, vin de cépage” vise à attirer l’attention sur les éléments principaux du débat classique entre représentants de la production viticole du Vieux Monde et du Nouveau Monde pour démontrer que la question principale n’est pas seulement de savoir si le vrai vin est le vin de terroir mais au contraire les problèmes seraient :

a) Le défi au Vin Noble mis en oeuvre par d’autres boissons

b) Les décisions erronées sur la santé vis-à-vis de l’habitude de boire du vin

c) Les changements dans la vie des gens qui nuisent à la consommation du

vin, etc.

Plus globalement, ces éléments impliquent que les marchés potentiels de consommation future du vin ont besoin d’une stratégie commune et consentie par l’ensemble mondial des producteurs, commerçants, experts, amateurs et journalistes ou “wine writers”, tant du Vieux Continent que du Nouveau Monde.

II . Le marché mondial du vin et des boissons alcoolisées et non

alcoolisées

Tout d’abord, je pense qu’il est essentiel de vérifier les données que nous avons du monde entier sur les boissons pour bien comprendre les enjeux. Si on observe les chiffres globaux de la consommation des boissons de par le monde, on verra de façon évidente qu’il y a un nombre de boissons alcoolisées et non alcoolisées modernes qui représentent un défi en constante augmentation.

Il y a un peu plus de cent ans, les boissons alcoolisées et non alcoolisées étaient les vins, les bières, les jus naturels, l’eau, quelques spiritueux et liqueurs. Aujourd’hui il y a, selon les informations des experts, au moins neuf groupes distincts de boissons vendues en bouteille, en boîte, en berlingot ou sous d’autres formes d’emballages et, en outre, on parle d’une consommation mondiale per capita de 190 litres (1). Cela représente une consommation globale autour de 1235 milliards de litres par an, dont seulement entre 5 et 7% pour la consommation de vins et d’alcools, soit 3,5 litres par habitant et par an. Les données ne sont pas tout à fait claires. Il y a beaucoup de contradictions, mais il est indiscutable que le vin et les spiritueux traditionnels perdent du terrain par rapport aux autres boissons, notamment si on regarde rétrospectivement l’évolution des marchés des trente dernières années.

III. Production, consommation et commerce du vin

La recherche des données sur la production mondiale des vins n’est pas une tâche facile. Il y a de diverses estimations et cadres statistiques. Pour simplifier cette présentation, j’ai choisi d’utiliser principalement les chiffres de l’Organisation mondiale de l’Agriculture et de l’Alimentation (FAO). Selon la FAO, la production mondiale des vins est tombée de 314 millions d’hectolitres en 1971-1975 à 265 millions en 2003, et est remontée à 298 millions en 2004. Ce dernier chiffre serait équivalent à celui des vendanges de cette année 2007.

Production Mondiale de Vins (En hl)

Le tableau suivant montre les principaux pays producteurs de vins et nous permet de vérifier la progression de chaque viticulture parmi les vingt plus importantes.

Les chiffres sont assez parlants: l’augmentation principale de la production mondiale de vin a ses origines dans les pays du Nouveau Monde. Par ailleurs, si on regarde les données sur le commerce mondial du vin, les résultats sont très semblables. En d’autres termes, la production des vins du Nouveau Monde augmente de façon notable depuis les vingt dernières années. De plus, selon une étude de janvier 2007 de la Banque hollandaise “Rabobank” , en 1986, les pays de l’Union européenne avaient quasiment le monopole du commerce mondial du vin avec 80% des exportations. A cette même époque, le Nouveau Monde progressait d’1% pour arriver à nos jours à 27%. La même étude souligne que “les pays du Nouveau Monde ont démontré qu’ils sont plus compétitifs et ont gagné une plus grande participation sur les marchés aux dépens des fournisseurs traditionnels”. Le tableau suivant, cité par Rabobank, explique graphiquement les changements qui se sont opérés ces vingt dernières années.

Exportation mondiale de vins

Il est également intéressant de constater les tendances de la consommation mondiale de vin. D’un côté, il y a une diminution permanente de la consommation de vin dans les pays où les marchés sont les plus traditionnels et, de l’autre, l’augmentation de la consommation de vin dans des pays qui ne sont pas considérés comme des consommateurs historiques, notamment l’Amérique du Nord, l’Europe du Nord et l’Asie du Nord-Est et même quelques pays de l’Amérique latine comme le Brésil et le Mexique. Comme il s’agit d’un sujet bien connu chez nous, j’utiliserai seulement le graphique proposé par la compagnie Chamarré, citant A. C. Nielsen, qui nous permet de voir la tendance en France, en Italie et en Espagne d’une part, et en Allemagne, Belgique, Pays Bas, Chine, Canada, États-Unis, Japon, Angleterre et Danemark, d’autre part.

IV. Les marchés traditionnels et les nouveaux marchés: les vins de terroir et les vins de cépage.

Si on suit les données présentées et si on considère le fait que les pays producteurs, exportateurs et consommateurs les plus traditionnels du monde sont ceux où le Vin Noble est synonyme de “vin de terroir”, on observe qu’il s’agit de vins qui ont perdu une partie du marché international. A contrario, les vins du nouveau monde, dits les vins de cépage, ont eux gagné une part importante du marché. Et c’est ici que le commence, à mon avis, est une discussion stérile, voire inutile,  car il ne s’agit pas ici d’un perdant –le vin de terroir- et d’un gagnant –le vin de cépage. La vérité, comme je l’ai mentionnée précédemment, est que le vin doit relever un grand défi actuellement en tant que culture, en tant qu’expression supérieure d’une manière de jouir des plaisirs de la vie, en tant que boisson quotidienne et salutaire mais aussi, en tant que modèle de l’industrie artisanale, parfois même artistique. C’est le seul cas où nous assistons également au résultat d’un travail de l’agro-industrie avec des caractéristiques culturelles uniques, évolution quasi sans aucun équivalent aujourd’hui dans les autres domaines de la production.

J’ai lu avec grand intérêt les échanges de points de vue franco-français entre M. Bernard Pomel, préfet, coordinateur d’un plan sur l’avenir de la viticulture de France et M. Jean-Robert Pitte, Président de l’Université de la Sorbonne, qui a écrit sur « la mondialisation au service des vins de terroir ». La polémique est très intéressante parce que M. Pitte , de manière brillante, prend la défense très réussie des vins de terroir et refuse radicalement l’idée d’une coexistence « entre les vins qui répondent au ‘marketing de l’offre’, c’est-à-dire ceux qui relèvent du terroir et de la typicité, sous-entendu de luxe élitiste, et ceux qui relèvent du ‘marketing de la demande’, soit les vins de pays et les vins de table, ‘identifiés en particulier par leur marque et par un cépage’ ».

D’autre part, le préfet Pomel décrit d’une manière transparente la situation et la difficulté réelles vécues par des centaines de viticulteurs en France. Néanmoins, la discussion est très importante parce qu’elle reflète deux écoles de pensée sur le futur du vin du monde, même si le sujet ne concerne que la viticulture française. Je pense que M. Pitte a raison quand il écrit « qu’on observe que de nombreux producteurs du Nouveau Monde…s’orientent aujourd’hui vers la qualité et donc le vin de terroir.»

Personnellement, il me plaît beaucoup de lire ses propos parce que ceux-ci, je suis convaincu, énoncent avec vérité ce qui se passe dans l’hémisphère sud. Mais en même temps, si je jette un regard objectif sur le marché mondial, les chiffres nous disent de façon presque éclatante que le mouvement des marchés en faveur des vins de cépage, s’accélère. Alors, a quoi sert la discussion Pomel-Pitte ? A mon avis, elle sert beaucoup la cause générale mondiale du vin. Je ne souhaite pas éviter la discussion, mais sincèrement, je crois que le sujet est autre. La question centrale n’est pas vin de terroir contre vin de cépage. Tous les producteurs sérieux importeront où seront toujours partisans du vin de terroir comme expression d’un produit de haute qualité. Mais, il y a quelques différences à prendre en considération : la première concerne le marché en mouvement. Si dans les marchés traditionnels les vins de terroir comme les Bordeaux, Bourgogne, Rioja, Barolo, jouent un rôle central, dans les marchés nouveaux et plus dynamiques où la consommation augmente, les noms des appellations changent en faveur des cépages, c’est-à-dire, Cabernet, Merlot, Chardonnay, etc. Et ça se passe également en Europe, dans les pays non producteurs traditionnels. Une deuxième situation à prendre en considération est le développement de la globalisation mondiale.

Il s’agit d’un phénomène réel qui a envahi toutes les sphères de la vie, notamment la vie économique, et particulièrement la consommation. Aujourd’hui, chaque être humain se trouve impliqué dans la globalisation et ses messages. A propos de notre sujet, le vin, il faut reconnaître le pouvoir de la publicité, du marketing, etc. dans les diverses décisions quotidiennes des familles et les individus. Ces moyens de communication véhiculent un message qui fait la part belle à l’ensemble des boissons qui ne sont pas nécessairement du vin. Il faudrait aussi considérer la situation viticole du nouveau monde, où il y a une tradition viticole, mais non comparable à la tradition européenne. En plus, petit à petit, des éléments imprévus jouent un rôle nouveau. Au Sud du monde, on cherche le terroir partout. Il y a déjà plusieurs cas qui peuvent être définis comme terroir implanté. Le Malbec à Mendoza, en Argentine, le Cabernet Sauvignon à Maipo, au Chili, le Shiraz implanté dans différentes zones de l’Australie, le Sauvignon Blanc à Martinsborough et Malborough en Nouvelle Zélande, etc.

Mais aussi, de façon importante, apparaît « le changement climatique », « le réchauffement global » qui affectent diverses activités parmi lesquelles l’agriculture et plus particulièrement, la viticulture. Il y a un exemple que l’on peut trouver au Chili. En effet, ces dernières années, le Jury national des Vins du Chili a déclaré meilleur vin blanc du Chili, au moyen d’une dégustation à l’aveugle, un vin de cépage Chardonnay, produit par la société de nos confrères Bruno Prats, Paul Pontallier et Felipe de Soliminihac, notre confrère récemment nommé. Ce vin a été produit à 700 kilomètres au sud de Santiago, où on n’avait jamais cultivé les raisins à cause de la rigueur du climat. Celui-ci est un exemple de qualité dûe aux changements climatiques. Dès lors, on est à la recherche de terroirs partout. Nous pourrions dire sans exagération que les terroirs sont en mouvement, du moins dans le sud du monde.

V. La croissance future

A mon avis il est nécessaire d’avoir une discussion approfondie sur notre sujet, le vin et sur les marchés futurs. L’idée centrale est de maintenir et, si possible, d’augmenter la participation des vins sur les marchés mondiaux. Plusieurs voies existent pour atteindre cet objectif. Continuer la stratégie actuelle des producteurs et des exportateurs viticoles, c’est-à-dire, centrer la concurrence du marché entre les vins en provenance des pays du Vieux Continent et ceux du Nouveau Monde, je pense qu’il s’agit ici d’un chemin stérile et fort dangereux pour le futur de l’ensemble de la production, du commerce et de la consommation de vin dans le monde. Une autre alternative serait, comme je l’ai proposé il y a deux ans, à l’occasion d’une séance de l’Académie, d’essayer d’introduire la

consommation du vin, de façon systématique, dans les principaux repas des grandes tables et cuisines du monde qui n’ont pas de boissons alcoolisées déterminées pour accompagner la nourriture. Il s’agirait en premier lieu des cuisines de Chine, de l’Inde, de la Thaïlande, du Brésil, du Mexique et de la Russie. On pourrait en ajouter d’autres, mais les pays cités sont les plus importants. D’un autre côté, il y a des marchés stratégiques pour le vin, où il est important de continuer à travailler pour empêcher la chute de la consommation et, si possible, l’augmenter en étant vigilants sur la qualité moyenne des vins prêts à être bus par les consommateurs. Par ailleurs, il est évident que jamais on a eu un vin aussi bon, en quantité moyenne, que celui que nous avons aujourd’hui dans le monde.

Cependant, je suis persuadé qu’il faut aller au-delà de ce constat et entreprendre une campagne mondiale des vins destinée à introduire partout le vin comme une boisson agréable et salutaire pour la consommation quotidienne. Pour cela, il faudrait non seulement faire de la publicité et du marketing tels que nous les voyons actuellement, mais on devrait également consacrer beaucoup plus de temps à l’éducation sur le vin et sa culture. Rechercher des nouveautés qui conduisent à améliorer l’image du vin parmi les gens qui ne connaissent pas grand-chose au vin afin de sensibiliser les classes moyennes des pays ayant une certaine tradition dans la consommation des vins, parce qu’ils sont nombreux et importants en termes de volumes de consommation. Et surtout, il serait important d’ouvrir les portes de la culture du vin a tous ceux qui ont un intérêt certain pour celle-ci. Finalement, je pense que pour prendre conscience des données que nous avons sur les conditions des marchés mondiaux, le vin de cépage sera presque toujours le premier pas pour entrer dans le monde du vin. Il est à espérer qu’une fois à l’intérieur, il ouvrira les portes à la connaissance du vin de terroir et ainsi, fera de nouveaux connaisseurs «éduqués » dans l’esprit de la beauté et de la grandeur du Vin Noble.

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1)« Canadean, 2004, Commercial Products »

2)Les sources principales sont AC Nielsen, Canadean, Rexam Beverage

Radar, etc.

3)« Changing competitiveness in the wine industry », Rabobank, 2007