5 décembre 2013

Mesdames et Messieurs les Académiciens,

Il va sans dire que je suis très honoré de m’adresser à vous aujourd’hui, et je remercie Jacques Seysses d’avoir suggéré ma candidature à rejoindre l’Académie Internationale du Vin, et vous tous de m’accueillir en votre sein. En me recevant aujourd’hui, je pense que beaucoup d’entre vous, qui l’ont bien connu, se souviennent de mon père, Jacques d’Angerville, qui a été lui-même académicien pendant de nombreuses années. Je me dis qu’en m’acceptant parmi vous aujourd’hui, vous l’honorez lui au moins autant que vous m’honorez moi, et c’est très bien comme cela. Homme discret, d’une grande rigueur morale, totalement dévoué à ses terroirs, il incarnait à bien des égards, je pense, les valeurs fondamentales de l’homme bourguignon. Il est mort il y a dix ans déjà, mais il continue de m’inspirer, millésime après millésime.

J’ai choisi de vous parler des Climats du Vignoble de Bourgogne. Comme vous le savez sûrement, nos climats sont candidats à l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité. Si cette candidature va à son terme, ce que nous espérons tous évidemment, la Bourgogne rejoindra ainsi d’autres prestigieux vignobles déjà inscrits, comme Saint-Emilion, la région du Tokaj, le Haut-Douro, ou, plus près d’ici, Lavaux, pour n’en citer que quelques-uns. Je voudrais dire au passage que cette candidature à laquelle tout le monde s’est rallié, doit tout à Aubert de Villaine, qui, il y a presque 7 ans déjà, a initié la procédure d’inscription, et qui la tient encore aujourd’hui à bout de bras, comme Président de l’Association des Climats. Par un concours de circonstances, j’ai pu aider Aubert dans cette tâche en lui ouvrant quelques portes à Paris. Nous avons ainsi appris à travailler ensemble, et il a été suffisamment satisfait de cette collaboration pour me demander, en mars 2013, de le seconder plus officiellement. A sa demande, je suis donc devenu son Président Délégué au sein de l’Association des Climats qui coordonne l’effort de toute la région pour mener à bien cette entreprise, et j’y consacre aujourd’hui beaucoup d’énergie.

Je vous rappelle cela parce que c’est grâce à ce travail au sein de l’Association que j’ai redécouvert, et souvent découvert, l’exceptionnelle richesse de l’histoire et de la géographie de nos climats de Bourgogne, et c’est pourquoi j’ai intitulé mon propos:

Géographie et histoire résumées des Climats de Bourgogne

Je conçois que beaucoup d’entre vous puissent trouver que c’est une gageure que de s’exprimer sur ce sujet en 20 minutes, surtout devant des éminences telles que Jacky Rigaud, qui est l’un de nos plus intimes connaisseurs de nos terroirs, si ce n’est le plus grand. Mais quand j’ai reçu le programme de la journée, qui prévoit que Jacky s’exprime juste après moi, j’ai compris que mon rôle était d’être la première partie du spectacle, un peu le rôle du chauffeur de salle, qui fait patienter en attendant l’arrivée de l’artiste, le vrai, pour son intervention intitulée « Dégustation géo-sensorielle et valorisation du lieu ».  Ainsi, sans que nous en ayons parlé, Jacky et moi avons décidé d’aborder aujourd’hui deux sujets complémentaires. J’espère, mon cher Jacky, que mon exposé sera une introduction satisfaisante au tien.

Mon objectif ici est de montrer que la Bourgogne telle qu’on la connait aujourd’hui est le résultat d’une œuvre conjuguée de l’homme et de la nature, le résultat d’une rencontre exceptionnelle entre un lieu, des hommes et une plante, rencontre improbable, douloureuse parfois, mais, du fait de la résilience, de la persévérance, de l’entêtement même, de ses acteurs principaux, les moines, les ducs et les vignerons, une rencontre fructueuse puisqu’elle a fait de notre région le berceau mondial et l’archétype de la viticulture de terroir. Ainsi, à partir d’une géographie (entendue ici au sens large, incluant la géologie) a priori défavorable, l’homme a réussi, par 2000 ans d’histoire, à produire des vins merveilleux et à les hiérarchiser très subtilement.

Parlons donc un peu de cette géographie.

La Géographie, d’abord

Pour commencer, il faut rappeler que le mot « climat » vient du grec « klima » avec un « k », qui veut dire inclinaison. On pourrait presque penser que cette étymologie a été fabriquée a posteriori pour que nous, bourguignons du XXIème siècle, puissions expliquer plus facilement notre histoire et celle de nos vins. Car bien sûr, nous utilisons le terme « climat » dans un sens plus proche de l’étymologie grecque que de la définition qu’on trouve de ce mot dans un dictionnaire moderne. Comme le dit Bernard Pivot (cette phrase a été dite et redite depuis qu’il l’a écrite pour la première fois, mais personnellement, je ne m’en lasse pas):

« En Bourgogne, quand on parle du climat, on ne lève pas les yeux au ciel, on les baisse sur la terre. La Bourgogne est la seule région viticole à pouvoir se vanter d’avoir un climat dans le ciel et 1247 climats sur la terre. »

Le « climat », dans la terminologie bourguignonne, est une parcelle de terrain qui possède un nom, le même depuis presque mille ans dans bien des cas, un sous-sol particulier, une exposition particulière, des caractéristiques hydrométriques particulières, et donc au total un micro-climat différent du micro-climat de chacune des parcelles adjacentes et a fortiori des parcelles plus éloignées. Ce climat produit un vin qui ne peut être produit ni imité nulle part ailleurs. Ainsi, dans nos climats de Bourgogne, nous avons fait le choix de relier le vin au lieu de la manière la plus détaillée, la plus fine, par itérations successives sur nos 2000 ans d’histoire. Dans l’esprit de ceux qui l’ont accompli, l’objectif de ce travail de découpage de la côte de Beaune et de la côte de Nuits en une mosaïque extraordinaire de 1247 climats différents était de faire parler la terre de la manière la plus subtile et nuancée possible; de lui permettre, à cette terre qui semble ingrate, d’exprimer toute une palette de sensations différentes selon la parcelle choisie; et bien sûr, on le verra, de hiérarchiser ce périmètre en définissant bientôt les appellations « village », « premier cru » et « grand cru ».

Le périmètre des climats de Bourgogne est une bande de terrain d’environ 50 kilomètres de long, de Dijon au nord aux vignobles des Maranges au sud, et de seulement un kilomètre de large en moyenne. C’est une côte, un talus, dont l’altitude maximale ne dépasse pas 350-400m, qui est le résultat du soulèvement et de la fracture, il y a trente millions d’années, du socle granitique et de sa couverture sédimentaire d’origine marine. La présence de nombreuses failles satellites explique la très grande diversité des sols, qui sont composés de couches géologiques d’âge et de nature différents. Sur ce talus sont disposés nos climats qui forment une mosaïque de parcelles de terrain qui, même joignantes, produisent des vins de caractères différents. A l’ouest, le haut du coteau en forme la frontière. A l’est, l’ancienne route médiévale (aujourd’hui la RD 974) est comme l’épine dorsale des climats.

Les climats sont situés dans une zone a priori trop septentrionale pour la vigne, mais à un carrefour climatique unique au monde: la Méditerranée lui apporte sa douceur, et même sa chaleur de l’été, avec l’effet de foehn particulièrement sensible à mi-coteau et dans les vignobles protégés à l’ouest, le Morvan le protège contre les intempéries venues de l’ouest, et il se situe trop à l’ouest pour souffrir de la rudesse d’un climat continental. Et puis ce talus regarde l’est, vers le soleil levant qui vient dès les premières heures de la journée « caresser » nos rangs de vigne, comme le dit poétiquement Jacky Rigaud. La pierre, très présente à la surface des sols, emmagasine la chaleur du soleil pendant la journée pour la restituer à la plante pendant la nuit.

Mais ce qui frappe, bien sûr, immédiatement, celui qui vient pour la première fois, ce sont les sols, ces sols bourguignons argilo-calcaires qui apparaissent à première vue tellement inaptes à toute culture qu’on se demande ce qui a poussé nos ancêtres à tenter d’y cultiver cette plante, plus appropriée dans un climat plus méridional, il y a deux mille ans. Il faut dire que cette première vigne, découverte assez récemment à Gevrey-Chambertin, date de 100 après J.C. et était plantée dans la plaine, en-bas du coteau, c’est-à-dire dans des terres quand même plus riches et plus profondes que sur le coteau lui-même. Mais on le verra, c’est précisément le sol a priori hostile du coteau qui a sublimé le génie de l’homme et lui a permis d’extraire la substantifique moelle des ceps, sous la forme d’un nectar d’une subtilité et d’une complexité sans égales.

Deux villes sont partie intégrante de la géographie des climats de Bourgogne: Dijon, résidence des Ducs de Bourgogne, qui ont joué un rôle central, à coté des moines, dans la fondation de la Bourgogne moderne, et Beaune, où sont installées toutes les grandes maisons de négoce bourguignonnes, Beaune avec ses kilomètres de caves qui forment sous la ville un labyrinthe extraordinaire, Beaune où Nicolas Rolin a fait construire, en 1443, le fameux Hôtel-Dieu, qui aujourd’hui encore rythme le calendrier de la profession par sa vente aux enchères annuelle, le troisième dimanche de novembre. Ainsi, Dijon et Beaune rassemblaient le pouvoir politique, économique, culturel et religieux pendant la période la plus importante de notre histoire bourguignonne, qui va, pour faire simple, du Xème au XVème siècle. Entre ces deux villes, les villages bourguignons se succèdent à quelques kilomètres les uns des autres, souvent nichés dans une des nombreuses combes qui rythment le coteau à intervalles réguliers.

Voilà donc en quelques mots, le théâtre de la viticulture des climats de Bourgogne. C’est une côte étroite, entièrement tournée à l’est et au sud-est, dont les caractéristiques des sols et des sous-sols sont très variées du fait d’accidents géologiques importants et qui est donc propice à la différenciation de parcelles différenciées.

Venons-en maintenant à l’œuvre des hommes dans ce théâtre.

L’histoire, ensuite, en quelques étapes clés

100 après J.C. 

C’est le premier point chronologique à retenir.

C’est le point de départ de 2000 ans d’histoire, 2000 ans de labeur, de tâtonnements, génération après génération, qui ont affiné leurs connaissances des lieux, des sols, des sous-sols, de l’exposition au soleil, de l’hydrométrie, de toutes les caractéristiques spécifiques de chaque parcelle afin d’en déterminer les limites exactes, puis dans un deuxième temps, de les hiérarchiser. Ainsi, on peut dire que si la borne de départ de l’histoire des climats de Bourgogne est cette vigne gallo-romaine de 100 après J.C., la borne non pas finale, mais celle qui gouverne et gouvernera notre Bourgogne pour encore très longtemps, est représentée par les décrets de 1936-1938 qui gravent dans le marbre les Appellations d’Origine Contrôlée et la hiérarchisation des appellations entre Village, Premier Cru et Grand Cru qui, à de très rares exceptions près, sont toujours en vigueur aujourd’hui.

Entre l’an 100 et 1936, quelques étapes intermédiaires ont marqué notre histoire. Petit à petit, la volonté de lier le vin au lieu sur lequel il est produit s’est installée dans notre région qui est devenue, de manière incontestable, le modèle de la viticulture dite de terroir. Chez nous, une parcelle donne une cuvée; cette cuvée donne un vin, c’est-à-dire une étiquette spécifique, qui est donc l’expression aromatique et gustative du sol sur lequel il est produit.

Mais revenons aux étapes principales de notre histoire:

Du 6ème au 8ème siècles

Dès le 6ème siècle, la vigne est plantée sur le coteau et non plus seulement dans la plaine. Une loi burgonde, la loi Gombette, favorise indirectement l’implantation du vignoble sur les pentes. Malgré une plus grande pauvreté des sols, la vigne y produit des vins de meilleure qualité. Dès cette époque, on commence à comprendre que les meilleurs vins seront produits sur les « méplats », cette zone de faible pente, à mi-coteau, qu’on appelle aussi le « piège à limons ». Parallèlement, les premiers éléments juridiques de protection de la vigne apparaissent également à cette époque. La viticulture s’impose au centre de la société burgonde.

Un siècle plus tard, seulement un siècle plus tard, allais-je dire, on parle déjà du vin issu Clos de Bèze à Gevrey-Chambertin. On identifie donc déjà un vin en fonction de l’endroit où il a été produit.

De 900 à 1100, le rôle primordial des moines

La période qui va de 900 à 1100 est cruciale pour la Bourgogne. Les moines cisterciens fondent Cluny (en 910) puis Citeaux (en 1098). Ces deux abbayes auront un impact considérable et définitif sur la Bourgogne car ce sont bien les moines qui les ont fondées qui ont les premiers travaillé à la hiérarchisation des climats telle que nous la connaissons aujourd’hui. Les moines ont les premiers compris l’importance de promouvoir avant tout la qualité des vins de Bourgogne. Avec la puissance de l’église, notamment la puissance financière, les moines améliorent la qualité des vins produits, augmentent leur renommée, investissent massivement pour construire les cuveries, celliers et autres batis pour vinifier puis conserver le vin, et enfin développent de nouveaux marchés pour leurs productions. Le Clos de Vougeot est bien sûr l’expression la plus célèbre du bati bourguignon hérité des moines.

Allen Meadows, qui a écrit un ouvrage remarquable sur Vosne-Romanée, intitulé « The Pearl of the Côte », cite dans ce livre Matt Kramer, grand connaissseur de la Bourgogne, pour tenter d’expliquer ce qu’est cette viticulture de terroir que les moines nous ont léguée. Kramer, nous dit Allen Meadows, utilise le terme « somewhere-ness » pour montrer le lien qui existe en Bourgogne entre le lieu et le vin. En France, Ségolène Royal, candidate malheureuse à l’élection présidentielle de 2007, s’était attirée beaucoup de moqueries en utilisant le néologisme « bravitude » depuis la grande muraille de Chine où elle se trouvait. Malgré cette référence défavorable, j’ai envie de traduire le « somewhere-ness » de Matt Kramer par « lieu-itude« . La viticulture que les moines ont fondée est ainsi empiriquement sous-tendue par les caractéristiques spécifiques du lieu de production, comme si les limites de chaque parcelle, de chaque clos, avaient été déterminées après de multiples vinifications et dégustations, sur plusieurs générations: c’est bien la « lieu-itude » d’un vin de Bourgogne qui le caractérise: nulle part ailleurs la recherche de la relation entre lieu et le vin n’a été aussi sophistiquée qu’en Bourgogne.

Dès cette époque, les premiers clos apparaissent, les chemins délimitent les lieux-dits, et les murgers séparent les parcelles. La pierre calcaire, en filigrane dans tous nos vins de Bourgogne, est présente en grande quantité dans nos vignobles. Avec elle, les vignerons construisent leurs murs, leurs cabotes, leurs caves et leurs cuveries.

Du Xème au XVème siècle

Grâce à leur puissance et leur influence sur toute l’Europe, les Ducs Valois de Bourgogne ont offert aux vins de Bourgogne un considérable rayonnement économique et culturel. Ils comprennent vite l’importance de contrôler la qualité des vins produits en Bourgogne, à des fins notamment commerciales. En effet, indirectement, la position de la Bourgogne par rapport à ses marchés a joué un rôle primordial dans l’amélioration de la qualité. Les marchés finaux pour les vins de Bourgogne étaient en général éloignés de leur lieu de production (par exemple, les Pays-Bas) et n’étaient pas reliés à la Bourgogne par des liens routiers ou fluviaux. Il était donc important de produire des vins de grande qualité, dont la valeur et la renommée justifiaient le transport coûteux, et qui pouvaient résister au voyage.

Pendant cette période, un très grand nombre de climats, de lieu-dits, reçoivent leur nom et leurs limites définitifs. Mais l’évènement le plus important de cette période est sans conteste l’édit de 1395.

Philippe le Hardi (duc de Bourgogne en 1363) interdit, par un édit de 1395, la culture du gamay sur les coteaux bourguignons.  Il justifie cette décision par le caractère plus productif, mais aussi plus commun du Gamay par rapport au Pinot Noir. L’édit n’est pas populaire mais Philippe le Hardi a raison. On voit ainsi que petit à petit le pinot noir devient l’instument par lequel les sols, le terroir, le climat, s’expriment dans le vin. Le climat vit dans le vin grâce au pinot noir, ou le vin nait sur son climat avec le pinot noir comme sage-femme.

On pourrait dire, autrement, que le pinot noir est au climat ce que l’archet est au violon.

Le plus rare Stradivarius du monde n’est qu’un morceau de bois silencieux sans son archet. De la même manière, nos climats bourguignons ne pourraient pas s’exprimer dans toute leur diversité sans ce cépage particulier, qui s’accomode si bien de nos sols argilo-calcaires. C’est l’unicité du cépage, l’absence d’assemblage, qui permet à toute la palette de sensations issues du terroir et de la sève du cep de remplir notre verre de Clos de Tart, de Romanée Saint Vivant ou de Clos des Chênes. Qaund deux terroirs adjacents plantés tous deux en pinot noir produisent deux vins différents, c’est bien le terroir qui s’exprime, pas le cépage, ni le vigneron. Humblement, le vigneron est comme l’instrumentiste qui se saisit délicatement du violon, prend son archet, et joue une partition différente pour chaque climat qu’il exploite.

La décision de Philippe Le Hardi oriente définitivement la Bourgogne vers la qualité, la recherche de l’excellence, et, progressivement, la hiérarchisation des climats. L’émergence de lieux aux caractères spécifiques délimités, dénommés et protégés par l’usage et les traditions se poursuit sur cette période, soutenue par des normes de production exigeantes, élaborées par les moines, les ducs, et les vignerons.

Dans mon village de Volnay, qui était la propriété des ducs de Bourgogne jusqu’à la fin du XVème, on sait qu’un officier royal est venu faire un inventaire des biens qui étaient revenus au roi de France à la fin du règne des ducs. Ce document d’inventaire, qui date de 1507, cite les Champans, les Caillerets, les Taillepieds, autant de noms de climats qui existent encore aujourd’hui, mais il décrit aussi le Clos des Ducs, que j’ai le privilège d’exploiter en monopole. Il en précise la localisation exacte et la superficie, soit 52 ouvrées. 52 ouvrées, c’est l’équivalent de 2.15 hectares environ, qui est la surface du Clos des Ducs aujourd’hui: on peut donc penser que les limites de ce Clos n’ont pas évolué depuis le XIVème siècle. Quand on observe la parcelle depuis l’est, on constate d’ailleurs qu’elle jouit en effet d’une exposition très particulière, unique à Volnay.

Anecdotiquement, il est par ailleurs intéressant de remarquer que ce Clos a gardé son nom, le Clos des Ducs, alors que la plupart des Clos des Ducs existant dans d’autres villages sont devenus des Clos du Roi au XVIème siècle, comme par exemple à Corton.

Epoque moderne

La notion de climat apparait véritablement dans les écrits bourguignons au XVIème siècle, même si un document de 1484 en parle déjà au sujet du Clos de Bèze. A partir du XVIème siècle, l’implantation de la vigne sur les coteaux est pérenne et les grands climats sont déjà reconnus. Dans le même temps, l’expérience des vignerons est suffisante pour que les principales pratiques oenologiques soient déjà connues, à tel point que leurs principes généraux n’évolueront pratiquement plus jusqu’à aujourd’hui.

Aux XVIIème et XVIIIème siècles, l’utilisation du nom de climat se répand rapidement pour désigner les parcelles dont les vins sont identifiables. Les vins de la côte, connus jusqu’alors sous le nom générique de vins de Beaune, sont peu à peu identifiés par leur climat d’origine, notamment le Clos de Vougeot, le Clos de Bèze déjà cité, la Romanée, le Clos de Tart.

Au XIXème, les premières classifications officielles apparaissent. La liste des différents climats connus et reconnus depuis le Moyen-Age sont ordonnés selon une hiérarchie indiscutée, et les vins sont décrits dans leurs qualités et leurs différences, selon le climat dont ils sont issus. La classification Morelot date de 1831, celle de Lavalle de 1855. Des cartes à l’usage du consommateur apparaissent, qui montrent les différents climats dans chaque village.

1936-1938

Ce sont les propriétaires viticulteurs qui sont à l’origine des décrets de 1936 et 1938, qui viennent après la loi de 1919. Ces décrets gravent dans le marbre la hiérarchie des climats de Bourgogne en en fixant les limites et en imposant un classement très hiérarchisé. Parmi ces viticulteurs visionnaires et soucieux de protéger notre Bourgogne figuraient Henri Gouges, le grand-père de Christian et Pierre, et Sem d’Angerville, mon grand-père, dont le valeureux combat contre les mauvaises pratiques encore en vigueur à l’époque a permis la protection de l’authenticité des vins de Bourgogne et donc de leur qualité.

La notion d’Appellation d’Origine Contrôlée apparait dans les décrets de 1936-1938 en distinguant les caractères physiques des climats et en reconnaissant le savoir faire des hommes à travers les usages locaux loyaux et constants. Aujourd’hui, ce système d’AOC a montré qu’il résistait à l’épreuve du temps, même si quelques villages ont récemment demandé la promotion en grand cru de certains de leurs premiers crus.

Ainsi ces décrets apparaissent bien comme le résultat de 2000 ans d’histoire sur une géographie a priori hostile, ou à tout le moins défavorable. C’est ce qui fait le caractère unique de la Bourgogne, et on ne peut qu’être reconnaissant envers les générations successives qui, par leur persévérance et avec humilité, ont compris ce qu’ils pouvaient tirer de cette petite bande de terre, en en analysant chaque recoin, en repérant, empiriquement d’abord, plus scientifiquement ensuite, les plus infimes différences climatiques qui séparent chaque parcelle, en imposant des pratiques oenologiques strictes, appliquées au seul cépage du pinot noir, catalyste de la révélation aromatique de nos sols, enfin.

Conclusion

Quand je pense à ma condition de viticulteur bourguignon, la publicité pour une fameuse montre suisse me revient toujours à l’esprit. En gros, elle dit qu’on ne possède jamais vraiment une montre Patek Philippe, on ne fait que la conserver pour la génération suivante. C’est l’état d’esprit dans lequel on doit être, me semble-t-il, quand il s’agit de nos climats bourguignons. Notre génération a un devoir de conservation, c’est certain, mais aussi, je pense, le devoir de remettre à la génération suivante des terroirs en meilleur état que celui dans lequel ils nous ont été transmis.

On sait bien, en effet, les conséquences dramatiques pour notre vignoble de la généralisation de l’utilisation des désherbants, des fongicides et de tous les produits phyto-sanitaires qui ont été découverts et commercialisés aggressivement dans l’après-guerre. On sait aussi que la sophistication exponentielle de nos tracteurs, et l’augmentation parallèle de leur poids, contribue à compacter nos sols, c’est-à-dire à les tuer à petit feu. On sait enfin que les clones, malgré tous leurs avantages, sont une menace pour la diversité du cépage du pinot noir, et donc pour la complexité de nos vins.

C’est pourquoi je suis heureux que la Bourgogne soit aujourd’hui si fortement engagée dans une viticulture plus respectueuse du terroir, plus attentive à la nature, plus en accord avec le rythme des saisons. Si nous nous écartons de cette philosophie, nous risquons de perdre ce qui a été construit si patiemment et minutieusement sur 2000 ans: l’expression de nos climats dans toute sa complexité.

Je vous remercie de votre attention.