Jamais depuis la triste époque de la prohibition américaine, nous n’avons connu dans nos démocraties occidentales des lobbies anti alcools aussi puissants, aussi peu respectueux des libertés fondamentales inscrites dans nos constitutions et surtout aussi stérilement dépensiers de l’argent public. Le mal a commencé au début de 1991 par le vote d’une loi bâclée, la fameuse loi 91- 32 signée entre autres, par le premier ministre Michel Rocard, le ministre de l’agriculture Louis Mermaz et le ministre de la santé Claude Evin. Ce dernier l’ayant en large partie inspirée, elle porte depuis sa naissance le nom de loi Evin! Avec le principe même de cette loi, les dés républicains sont pipés. Le corps médical, de conseiller normal et légitime du pouvoir public en matière de santé publique, s’arroge le pouvoir politique et plus grave encore le pouvoir législatif puisque Claude Evin est médecin! En tant que médecin, il lui était moralement  difficile d’équilibrer les exigences de la nation en matière de santé (la lutte contre l’alcoolisme est un combat qui concerne effectivement au premier chef la nation et ceux qui sont en charge de la conduire) et celles, tout aussi capitales, du respect des libertés individuelles, de la prospérité de la principale activité agricole du pays et même de son premier rapporteur de devises.

Je rappelle que le vin et les spiritueux font vivre directement ou indirectement plus d’un demi-million de français et rapportent à la nation plus de 10 milliards d’euros, soit l’équivalent de 150 à 200 airbus ! La paresse de notre grand médecin et mauvais légiste, alliée au machiavélisme absurde et caricatural de ses conseillers, a pondu un texte bâtard, monstrueux, au sens propre du mot puisqu’il traite de deux de nos grands maux, le tabagisme et l’alcoolisme, mais légifère sur les produits et non leur usage, trompant ainsi le citoyen. Je parle de machiavélisme parce que, à plusieurs reprises, des représentants du principal lobby anti alcoolique, l’ANPAA, ont avoué qu’ils s’étaient inspirés de l’exemple américain où on avait terrassé la production de tabac pour créer un véritable concept de santé publique. Terrasser en plus la production de vin en France et voilà installé pour l’éternité le pouvoir médical dans notre pays. Notre fameuse loi se divise en deux titres, même si son article liminaire 2 en prévoit trois, le tabagisme, l’alcoolisme, et la toxicomanie, ce qui est bien la preuve de sa rédaction précipitée. On voit par l’addition de ce troisième fléau (non traité !),  l’extraordinaire manipulation de l’opinion, qui amalgamera tabac et tabagisme, alcool et alcoolisme, et, par l’addition de la toxicomanie, toutes les drogues et toutes les conduites addictives!

Le but de cette manipulation est simple, transformer la valeur instructive de la loi pour en renforcer la valeur autoritaire, la protection des comportements humains autorisant les mesures de censure ou de contrôle policier sur les individus, et surtout de se moquer de leur compatibilité avec les libertés  fondamentales de la république. On est loin du simple constat de la stupidité qu’il y avait de mettre sur le même plan les égarements de la jeunesse qui se cache dans les toilettes des écoles et lycées, pour s’intoxiquer à la cigarette, et les réunions de gourmets et leurs jouxtes amicales sur la qualité de nos plus grands crus! Enfin il n’était pas innocent, en songeant aux mannes qu’on pourrait recevoir de la nation, de faire croire que toute consommation de vin ou d’alcool est le point de départ possible et même probable d’une conduite addictive ! L’ANPAA, je le rappelle , reçoit de la nation 66 millions d’euros, entretient 1400 salariés, et paie quelques médecins sans patients 80 000 euros pour parader auprès des juges d’instruction, sans contrôle financier possible de commissions parlementaires, puisque le budget de fonctionnement de l’association provient en grande partie de celui de la sécurité sociale, dont on dit pourtant qu’il est en perdition… On comprend pourquoi!

Donc deux drogues, deux « toxicomanies », deux conduites addictives, et même traitement pour les deux! C’est comme si, en médecine, on traitait de la même façon mauvaise audition et mauvaise vue! Le traitement? Mentions de précaution obligatoires, contrôle précis de tout ce qui relève de la publicité ou de ce que le légiste nomme de façon amusante et archaïque « propagande », interdictions diverses d’affichage publicitaire ou informatif, et surtout invitation aux tribunaux à condamner tout ce qui pourrait inciter (et particulièrement la jeunesse) à la consommation d’une boisson alcoolisée! En revanche, rien dans une loi sur le tabagisme et l’alcoolisme qui ne concerne l’éducation du public dans ce domaine et rien qui ne la relie à l’apprentissage de la responsabilité, ce qui devrait pourtant être l’ambition ultime pour les citoyens d’une république digne de ce nom! Les conséquences calamiteuses de cette loi nous ne les connaissons que trop ! La mise en place très coûteuse d’une surveillance policière tatillonne sur les routes, source d’un racket d’état indigne d’une république non bananière. Le financement à fonds perdus et cachés par la nation d’une multitude de « bonnes volontés » soucieuses de surveiller les comportements individuels des citoyens et de prendre en charge à leur place la surveillance de leur santé. Sans que cela ait la moindre incidence sur la chose!

Tout bon statisticien (sauf apparemment ceux payés par l’état) étant capable de démontrer que la diminution des courbes de consommation d’alcool actuelles était inscrite dans les faits bien avant la promulgation de la loi Evin, de son lourd arsenal de censure et de répression, et de son coût! J’ajoute, et j’en viens ici à l’exercice quotidien de mon métier, la création d’une pression morale sur le personnel politique et les communicateurs des grands médias visant à réduire progressivement à zéro la place de toute boisson alcoolisée, et au premier rang et volontairement le vin, y compris les vins nobles, ceux qui réunissent chaque année à Genève les membres de l’Académie Internationale du Vin, maffieux notoires! Les leviers de cette pression sont simples : truquer les chiffres. On utilise nos statisticiens de l’INSEE pour faire croire que le français avec 59 litres de vin consommés chaque année est le citoyen le plus alcoolique d’Europe. L’association de la Presse du Vin que je préside a montré que ce chiffre était obtenu par la division entre 64 millions de français (bébés compris) du volume de vin vendu dans le pays, sans tenir compte des achats et de la consommation de nos 80 millions de visiteurs et de tout le commerce frontalier! La consommation probable réelle des français, telle que mon ami Bernard Burtschy, vice président de l’Association de la Presse du Vin et l’un des éminents statisticiens du pays l’a calculée, ne dépasse pas 40 litres, pas plus que celle de nos voisins suisses ou italiens.

L’autocensure est un autre levier puissant, beaucoup de journalistes généralistes influents étant soit membres d’un lobby anti-alcoolique, soit anciens alcooliques eux-mêmes et, nous l’avons vu, les derniers devenir les premiers commerçants de leurs fautes passées! Pendant des années, Robert Namias, directeur de l’information de TF1 mais aussi président de la Prévention Routière, veillait à réduire pratiquement à néant le vin sur sa chaîne, ce qui n’est heureusement plus le cas aujourd’hui avec son successeur. Et j’épargnerai ici le triste Hervé Chabalier et autres alcooliques repentis… Les lobbies anti alcooliques, comme la loi les y autorise, engagent de nombreux procès en sorcellerie, dont les derniers sont particulièrement révélateurs : le quotidien le Parisien a été condamné pour un article de fin d’année ventant la réussite et les mérites des vins de Champagne. Heinecken a du fermer son site Internet. Moët, rappelé à l’ordre pour des incitations à la consommation camouflées sous des phrases comme «voir la vie en rose ! », a mis fin à ses sites en français et a considérablement réduit ses communications dans la presse. Les comités interprofessionnels sont sans cesse censurés pour leur affichage. On a (heureusement sans succès) essayé de rayer de nos paysages urbains les jolies filles des affiches du BIVB : le bureau a pu prouver que ces jolies filles n’étaient pas des mannequins mais de vraies viticultrices…

On a condamné les vins de Loire pour avoir associé jeunesse sobre et délicatesse dans un slogan publicitaire, ce qui en dit long sur le racisme anti jeune de ces lobbies. L’exercice de notre profession, interface entre le monde du vin et le public, est constamment rétréci et menacé, d’autant que de nouvelles mesures de censure sont au programme concernant la législation sur l’Internet , qui n’avait pas été prise en compte en 1991. Rien de définitif n’est encore sorti de la plume du législateur, mais les premiers essais ont de quoi faire frémir : les sites professionnels ou informatifs sur le vin pourraient être assimilés à des sites pornographiques et recevoir des restrictions considérables d’accès! Heureusement ces excès ont conduit de nombreux esprits à s’interroger sur le bien-fondé de ces attitudes prohibitionnistes. Le ministre de la Santé Roselyne Bachelot semble avoir pris la mesure de l’aveuglement de ses propres conseillers et de leur mépris pour le fonctionnement normal d’une société démocratique. Les élus du vin, députés, maires, sénateurs commencent à comprendre les conséquences tragiques d’une diabolisation d’un produit phare de notre savoir-faire et de notre art de vivre, aussi bien sur le plan de son importance économique que sur son rôle capital dans le développement des régions, la protection de l’environnement et le maintien de paysages agricoles travaillés dans nos campagnes.

Enfin, une association comme l’APV, qui regroupe l’ensemble des journalistes du vin, commence à faire front et à dénoncer les mensonges des statistiques, la gabegie de l’argent public, l’aggravation de l’alcoolisme de fin de semaine chez les jeunes et les moins jeunes. Sans vouloir diviser les boissons alcoolisés en boissons honorables et boissons dangereuses, l’alcool n’étant pas divisible, il ne faudrait pas oublier la valeur alimentaire et esthétique des boissons fermentées, leur capacité à illustrer le génie de notre climat et de nos terroirs, le savoir faire de nos hommes et de nos femmes et un art de vivre dans lequel la gastronomie, la convivialité, la joie de vivre contribuent largement à faire de ce pays la première destination touristique de la planète!