Par Steven Spurrier
C’est le sujet du débat tenu à Londres le 12 juin 2012 par l’Académie Internationale du Vin (AIV), clôturant un voyage de 4 jours en Grande-Bretagne destiné à faire découvrir à ses membres le vignoble anglais produisant de si bons vins mousseux. L’AIV, un think tank d’envergure internationale composé d’une centaine de membres provenant de 17 pays différents fut fondée en 1971 par le philosophe suisse Constant Bourquin – dont le livre « Connaissance du vin », publié en 1970, prônait la noblesse des vins authentiques de toutes qualités ou origines, pour défendre la cause du vin et de ses spiritueux dérivés du plus haut niveau. Sa philosophie répond à quatre critères fondamentaux : qualité, authenticité, loyauté (aux origines) et hygiène.

Il s’agit d’une association sans but lucratif mais qui, si elle l’estime nécessaire, peut intervenir auprès des autorités dans le cadre de ses activités et des valeurs qu’elle s’est choisies. Ses membres sont élus par nomination et parrainage, puis par un vote à la majorité au sein de l’organisation, qui est financée par la cotisation annuelle des membres. J’ai eu l’honneur de devenir, en 1973, le premier membre anglais. Mes compatriotes les Master of Wine Michael Broadbent, Serena Sutcliffe, Jasper Morris et John Salvi nous ont rejoints par la suite. Mis à part la visite annuelle de vignobles, l’AIV se retrouve à Genève au mois de décembre de chaque année pour débattre d’importants sujets relatifs à la viticulture. Je fais souvent référence à l’AIV comme à « la conscience de l’industrie du vin ».

A notre arrivée, un dîner de bienvenue nous attendait au Boodle’s, club de gentlemen situé à St. James Street qui fut fondé par Edward Boodle en 1762. Non loin de là, sur la même rue, se trouvent Brook’s et White’s, fondés quelque peu après. Un proverbe du XIXè siècle dit que les membres de Brook’s pensent qu’ils gouvernent le pays, les membres de Broodle gouvernent le pays et les membres de White’s possèdent le pays. Quoi qui ait changé depuis, c’est chez Boodle’s que l’on mange le mieux et le club a ouvert ses portes spécialement un samedi soir pour les 50 membres que nous étions.

Le chef a composé pour nous un menu mettant en valeur les meilleurs produits locaux anglais de saison. Après un apéritif à Furleigh’s Estate, qui produira le vin mousseux Spurrier (si toutefois le raisin mûrit un jour en ce mois de mai le plus humide que l’on ait connu dans la région) 2009 Blanc de Blancs et 2009 Blanc de Noirs, un Sancerre 2008 Lucien Crochet délicieusement croquant ont parfaitement accompagné les asperges anglaises avec leur œuf de canard poché et sauce hollandaise, suivis d’un élégant Chateau de Fonbel 2005 St-Emilion (Alain Vautier d’Ausone en est le propriétaire) et son superbe filet de bœuf Launceston avec truffes d’été, haricots et pommes de terre royales du Jersey, un plat qui gagna les louanges du chef parisien Alain Senderens. Un fantastique Domaine de Chevalier 2004 Pessac-Leognan suivi par du Cropwell Bishop Stilton et du Keen’s Cheddar ainsi que le crumble aux fruits rouges de Boodle’s et une glace cheesecake-citron appellèrent ensuite à déguster un Château Doisy-Vedrines 2003 Barsac somptueusement mûr. Avec le café circulèrent librement des carafes de Taylor 1970.

Le jour suivant, nous partions de bonne heure pour le West Sussex afin de visiter Nyetimber, désormais propriété du hollandais Eric Heerema, avec 150 hectares de vigne dont la production sera bientôt excessive, et qui produit 1 million de litres dans les bonnes années. Depuis que son Blanc de Blancs inspiré du champagne a gagné le Sparkling Wine Trophy à la Competition Internationale du Vin et des Spiritueux dans les années 1990, le Nyetimber a régi la scène anglaise des vins mousseux. Nous sommes arrivés sous une pluie fine et fumes accueillis par Eric Heerema, son partenaire de travail Guy Salter, sa jeune vigneronne canadienne Cherie Spriggs et son mari et vigneron-associé Brad Greatrix, ainsi que le viticulteur Pascal Marty, dans l’une des anciennes granges où des tables étaient dressées pour une dégustation de six vins tranquilles anglais qui avaient été sélectionnés par Stephen Skelton MW, telle une mini-Master Class.

Le vins dégustés étaient :

Pinot Noir Blanc de Noirs 2011 Litmus Wines Surrey – Vigneron John Worontschak
Un échantillon de cuve: rose tendre, fraise subtile et propre, bonne finale sèche

Madeleine Angevine 2010 Sharpham Vineyard Devon – Winemaker Dunan Schwab
Fermenté en barrique: couleur argentée, bonne clarté et bon fruit, belle longueur relevée

Pinot Gris 2010 Stopham Estate West Sussex – Winemaker Simon Woodhead
Couleur argentée, bon nez de Pinot Gris et belle longueur, une touche de sucre résiduelle ajoute de la portée

Tenterden Estate Bacchus Reserve 2011 Chapel Down Vineyard Kent – Winemaker Andrew Parley
Couleur argentée, fruit floral, relativement riche, bonne acidité équilibrante et belle longueur

Ranmore Hill 2009 Denbies Vineyard Surrey – Winemaker John Woronshak
Pâle et floral, bon fruit relevé, encore un peu vert (non chaptalisé)

Foxhole Vineyard Pinot Noir 2011 Bolney Estate West Sussex – Winemaker Samantha Linter
Le seul rouge : rouge cerise éclatant, bon fruit pulpeux pour un Pinot Noir, a besoin de temps pour une diminution de l’acidité.

Ces vins furent commentés poliment par les membres de l’AIV, dont les propres vignobles des Nouveau et Vieux Mondes bénéficient peut-être d’un climat plus clément, mais sans moins de dévouement. Après une visite des vignobles de la propriété offrant de merveilleuses vues sur les Sussex Downs, nous nous rendions à une autre grange magnifiquement rénovée pour une dégustation des vins mousseux de Nyetimber.

2008 Rosé
Charmante rose pâle, bulles minuscules, nez de fraise sauvage, finale sèche fine et crémeuse

2009 Single Vineyard Netherland (Pinot Noir 80%, Chardonnay 20%, sortie en 2013)
Pâle, encore jeune mais fait preuve de maturité et bonne origine de vignoble, a besoin de 12 mois de plus

2007 Classic Cuvee (Chardonnay, Pinot Noir, Pinot Meunier, sortie actuellement)
Pâle et vif, nez rappelant le pain et le biscuit, bouche mûre, bonne acidité, déjà complexe

2003 Blanc de Blancs
Encore pâle et frais, nez brioché, rappelant le biscuit, bouche crémeuse agréable, dense mais frais

1996 Blanc de Blancs (magnum)
Jaune citron, encore très frais, crémeux et riche, grillé et minéral, très agréable

Malgré le temps, les traiteurs d’Eric Heerema avaient préparé un menu d’été splendide, débutant par des de « crabe soldat » local et œufs de caille, de l’agneau de South Down ainsi qu’une gamme variée de desserts aux fruits avec lesquels le Nyetimber Demi Sem se buvait très facilement.

Ainsi rafraîchis, nous avons poursuivi notre route vers la Ridgeview Estate Winery de Mike Roberts à Ditchling Common, le rival amical de Nyetimber, dont le Grosvenor Blanc de Blancs 2006 a remporté le trophée des Decanter World Wine Awards 2010, surpassant plusieurs champagnes millésimés. Nous avons dégusté 5 paires de vins de 2009 jusqu’à un 1997 récemment dégorgé, chacun d’une grande classe et élégance.

Bloomsbury 2009 (54% Chardonnay, 26% Pinot Noir, 20% Pinot Meunier)

Jaune pâle, belle clarté et longueur, légèrement épicé, relativement crémeux, bel avenir

Bloomsbury 1999 RD May 2012 (50% Chardonnay, 36% Pinot Noir, 14% Pinot Meunier)
Jaune-or, nez rappelant le pain et la levure, saveur de noisette, corpulent, belle acidité, style Bollinger

Bloomsbury 1997 RD May 2012 (55% Chardonnay, 27% Pinot Noir, 18% Pinot Meunier)
Encore pâle, beaucoup de bulles, relativement levuré, brioché et pourtant frais et crémeux, très bon

Bloomsbury 2002 (59% Chardonnay, 27% Pinot Noir, 14% Pinot Meunier)
Belle couleur légère, fines bulles, fruit fais, bon style de vignoble, haute acidité

Grosvenor 2006 Blanc de Blancs
Jaune pâle, fin nez floral, élégante texture crémeuse, charmante pureté et excellent équilibre

Grosvenor 2009 Blanc de Blancs
Jaune très pâle, frais et magnifiquement équilibré, très pur, a besoin de 12 mois supplémentaires

Knightsbridge 2006 Blanc de Noirs (51% Pinot Noir, 49% Pinot Meunier)
Jaune moyen, relativement vaste et riche, encore un peu grossier, a besoin de s’adoucir

Knightsbridge 2009 (50% Pinot Noir, 50% Pinot Meunier)
Faible teinte rosée, nez de fraise sauvage, vin de vignoble très élégant, très bon même actuellement

Fitzrovia 2009 Rose (50% Chardonnay, 28% Pinot Noir, 22% Pinot Meunier)
Charmant rose pâle, bouquet de friases, beaux et vastes parfums, séduisant

Victoria 2009 Saignee Rose (63% Pinot Meunier, 27% Pinot Noir)
Charmante teinte rose, belle pureté de fruit, un peu riche mais très séduisant

Le jour suivant, un lundi au temps encore plus maussade, nous avons débuté par une visite des splendides jardins de la propriété Great Dixter dans le Kent, avant de nous rendre au déjeuner organisé dans la propriété Hush Heath Estate de Richard Balfour-Lynn, dont le seul vin (pour l’instant, mais un blanc est déjà en cuves) est le primé Balfour Rose. Accueillis dans une cave flambant neuve pour un superbe déjeuner de style Pub (beaucoup de viandes et de tartes, sur lesquelles les membres de l’AIV se sont jetés avec délectation), nous avons dégusté le vin de base pour le Rose 2011, qui a fait preuve de beaucoup de profondeur de fruit et d’acidité naturelle, suivi du relativement mûr et élégant 2009 et du plus pâle 2008, qui état pour moi légèrement meilleur avec sa clarté et sa précision. Notre visite des magnifiques jardins privés et des vignobles personnels de Hush Heath a été écourté par les plus fortes averses du voyage. Le consultant du vignoble Balfour Stephen Skelton et moi-même reviendrons ici dans peu de temps.

Le dîner s’est tenu au Vintners’ Hall, hôtel de ville et berceau du marché du vin anglais datant des années 1300. Un verre de Pol Roger White Foil magnum à la main, nous fûmes entretenus de l’histoire du bâtiment et guidés à travers les salles voûtées et les caves avant de nous attabler pour un repas accompagné exclusivement de vins produits par les membres de l’AIV. Avec le tian chaud de saumon fumé aux haricots à la menthe fut servi le merveilleusement clair Château de Beaucastel 2008 Châteauneuf-du-Pape blanc et un Maximiner Grünhauser Abtsberg Riesling Superior 2006 de qualité Auslese mais richement sec ; deux vins rouges 2006 accompagnaient un gigot d’agneau braisé et des racines de légumes rôties : Domaine Mondivin Cabernet Franc Quintessence, un superbe Cabernet Franc de la région hongroise de Villany et Esprit de Beaucastel Tablas Creek provenant de vignobles calcaires au sud de San Francisco et dont les saveurs se sont déployées dans le verre ; avec les trois fromages – Blacksticks Blue, Somerset Brie et Cornish Yarg – le 2006 Gevrey- Chambertin 1er Cru Lavaux Saint-Jacques Domaine Louis Jadot était simplement fantastique alors que le Chryseia 2004, le vin Douro de Prats + Symington, a fait preuve d’une vigueur et d’une profondeur impressionnantes.

 

Avant le café, La Calice d’Amour fut passé à chaque invité dans un pantomime mélange de sérieux et d’hilarité. Enfin, avec le café fut servi du Graham’s 1970, Porto millésimé que tous ont qualifié de merveilleux et meilleur que le Taylor’s goûté deux soirs auparavant. Tout cela nous mis en forme pour le débat du lendemain matin, auquel ont participé 30 oenojournalistes, sommeliers et marchands de vins, abordant le thème « Le vin noble est-il un concept valide ? ». Neuf des membres de l’AIV sont intervenus sous forme de présentations orales : Bruno Prats, Michel Bettane et Claude Bourguignon de France, Victor de la Serna d’Espagne, Paul Draper (Ridge) et Josh Jensen (Calera) de Californie, José Vouillamoz et Raymond Paccot de Suisse et Angelo Gaja d’Italie – sur une variété de sujets illustrant la noblesse (ou son manque) dans les vignobles, les vignes, les caves et les producteurs. Un vote a pris place, avec 75% de l’audience soutenant la motion et montrant ainsi que le concept de vin noble est bien vivant.

Le texte suivant a été rédigé par Jamie Goode, Dr. en biologie des plantes, oeno-journaliste pour The Sunday ExpressThe World of Fine WineDecanterHarpersGrapes TALK et Sommelier Journal.

Quelques membres du panel: Michael Schuster, José Vouillamoz, Raymond Paccot et Claude Bourguignon.

Un jeudi de juin 2012 à Londres, un groupe illustre du grand monde du vin était rassemblé pour discuter sur la validité du terme « Vin Noble ». Quelques journalistes, comme moi, étaient invités. La réunion était organisée par l’A.I.V. et, assez remarquable pour un groupe avec le terme “international” dans leur titre, il s’agissait de la toute première réunion qui n’était pas entièrement tenue en français.

La réunion était d’un grand intérêt, mais il y a avait un manque majeur: nous étions supposés discuter sur la validité de l’adjectif “noble” en relation au vin, sans toutefois avoir jamais  établi la définition du terme “vin noble”. Evidemment, tous les membres de l’A.I.V. sont familiers de ce terme, puisque le fondateur de l’A.I.V., Constant Bourquin, s’est consacré, dans les années 1970, à le discuter et à le définir. Probablement par erreur, l’A.I.V. était convaincue que tout le monde était au courant de la définition de Constant Bourquin et de la position centrale de celle-ci au sein de l’A.I.V. Dans la conclusion de son introduction, Michael Schuster avouait cette défaillance. Il avait demandé aux participants de parler de leur interprétation personnelle du terme « noble », mis en rapport avec le vin. Personne ne l’a fait. Malgré cela, nous avons pu assister à des interventions très intéressantes, produites par une occupation d’intervenants reconnus et iconiques.

Bruno Prats – noblesse et histoire

Bruno Prats a commencé par remarquer qu’il était paradoxal que le concept de Vin Noble ait été inventé par le fondateur de l’AIV, un Suisse, sachant que les Suisses se sont débarrassés de la noblesse il y plusieurs siècles alors que le terme de vin noble semble mal accepté par les Britanniques, qui ont conservé leur noblesse. Il a raconté la création des Crus Classés du Médoc par la noblesse parlementaire de Bordeaux, qu’il décrit comme éclairée et entreprenante. En France, le statut de noblesse interdisait le commerce et l’industrie mais pas l’agriculture. La création de Haut Brion en tant que cru en 1533 fut le premier signe d’une nouvelle tendance, la création de crus individualisés. Si la Bourgogne désignait déjà ses vins par les noms des climats, Bordeaux a ajouté le nom du producteur.

Les Crus Classés appartenaient à des nobles qui ont construit des châteaux. Bruno Prats remarque que si les français sont obsédés par les châteaux, dans le classement de 1855, seuls 5 crus sont qualifiés de « château ». Ce mot est associé à la noblesse d’un vin mais il a été galvaudé et même utilisé pour des Crus « Bourgeois », ce qui est le contraire de la Noblesse. Prats dit qu’un vin noble apporte la noblesse à celui qui le possède. Aujourd’hui, la recherche de la qualité absolue sans considération pour le coût est la règle et ceci fait des Crus Classés l’archétype du Vin Noble. Il ajoute qu’il est plus dans l’esprit de l’histoire des Crus Classés d’être dans des mains familiales et même plutôt dans les mains d’un propriétaire unique.

Mon commentaire? Je ne vois pas ce que Prats a voulu dire d’autre que l’aristocratie en France, noble par naissance, a fondé les plus importants Grands Crus Classés à Bordeaux. A-t-il voulu suggérer que la noblesse est liée aux vins par l’association historique avec la noblesse ? Croit-il que certaines personnes sont plus nobles que d’autres parce qu’elles ont  hérité de droits à leur naissance et que cette noblesse se transmet naturellement aux produits de tout vignoble qu’ils possèdent?

Josh Jensen, Paul Draper et Bruno Prats

Michel Bettane – la noblesse des terroirs français

“J’essayerai d’éviter toute arrogance en discutant de ce sujet”, commençait Michel Bettane, l’un des journalistes des plus brillants, sans toutefois être largement reconnu pour sa modestie. « Terroir est un mot français utilisé presque partout sans qu’il existe une idée précise sur sa signification », déclarait-il. « En France, sa signification n’était pas toujours particulièrement positive ». Il expliquait comment un goût de terroir pouvait référer au goûts terreux associés à ses origines peu nobles. Appréciable mais manquant de finesse. « Le vin avec un goût de terroir est supposé provenir d’un vignoble de moyen niveau».

Les Grands Bordeaux étaient décrits non par leur goût, mais par leur attitude avec des métaphores accentuant leur ressemblances aux êtres humains de qualité. En Bourgogne, les appellations plutôt considérées comme assez moyennes, comme Pommard, étaient décrites en utilisant le terme terreux. Quand les Champagnes n’étaient pas bons, leur identification par leur terre s’avérait possible. Bettane paraissait s’opposer à l’idée que la noblesse des vins provient uniquement de la terre de leur origine. C’est la connaissance et l’expertise qui donnent de la noblesse aux vins. Le travail des humains, en cultivant la terre, apporte beaucoup de changements à la composition originale de la terre.

Si nous entendons par terroir les endroits ou la viticulture est entreprise, les Français sont assez chanceux car ils disposent de la plus grande diversité de terroirs, affirme Bettane. Mais en ont-ils le mérite? Il dit que dans la seconde partie du 19ème siècle, le niveau de culture des sols dans les plus fameux vignobles français était le plus élevé du monde. La France était le pays le plus visité par les riches étrangers et le vin faisait partie des attractions. Beaucoup de générations appartenant à la classe sociale supérieure ont contribué à la création de la réputation des meilleurs vins français, ce qui a permis la fondation de la civilisation du vin. Alors est apparu le phylloxera et les années difficiles du début du 20ème siècle, avec de nombreux changements au niveau de la possession des vignobles. Les nouveaux propriétaires n’appréciaient pas toujours ce qu’ils avaient en main. A la suite de la mauvaise gestion de la viticulture, les raisins diminuaient en qualité, ce qui nécessitait l’adaptation des techniques de vinification pour compenser.

En conséquence, les vins venus de Nouveau Monde s’avéraient souvent meilleurs que les vins français. Ceci a été démontré dans les dégustations à l’aveugle, comme celle connu sous le nom « le jugement de Paris ». La France n’était plus le numéro un mondial au niveau du vin. Cependant, au cours de ces 15 dernières années, beaucoup de travail effectué a rétabli la France à sa position dominante, en tant que premier pays producteur de vins au monde. “Je suis profondément convaincu que la France est de retour dans sa position privilégiée parce qu’elle dispose de privilèges naturels, dit Bettanne. Jamais il n’y a eu un tel éventail de vins en France. C’est difficile à trouver ailleurs dans le monde”.

Mon commentaire? Le discours de Michel était d’un réel intérêt, mais je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il était juste un peu trop “franco-centriste”. La France fait des grands vins mais l’Italie aussi. De même pour l’Espagne et le Portugal et je pourrais en citer d’avantage. Il y a beaucoup de grands terroirs dans le monde et beaucoup d’entre eux n’ont été découverts que très récemment. Les développements au niveau de la vinification ont permis aux viticulteurs de débloquer des terroirs se trouvant alors à l’ombre à cause d’une mauvaise vinification (y compris à cause d’une mauvaise gestion et conduite de la viticulture). Les retours financiers des très bons vins – et le fait que le monde du bon vin n’est plus une exclusivité franco-centriste – donnent la possibilité aux gens d’investir dans la production de grands vins en provenance de grands terroirs, qui n’étaient pas produits dans le passé.

Chose intéressante, dans la séance de questions qui suivait le discours de Michel, il a fait la remarque que c’est le facteur humain qui crée la noblesse dans les vins. Il a déclaré que la notion du Grand Cru est dans la tête des buveurs de vin, en suggérant que ce qui est ressenti comme un grand vin fait partie d’une construction humaine. Cela pourrait conduire à une très intéressante discussion sur l’esthétisme. Comment un vin devient-il grand ? C’est certainement le partenariat entre le sol, le vigneron et le système esthétique de l’évaluation du vin.

Victor de la Serna

Victor de la Serna – noble wine and terroir in Spain, not always eye to eye

A cause d’un retard de chargement de sa présentation Powerpoint, Victor de la Serna en a profité pour expliquer la définition d’origine que l’A.I.V. a établie à propos du vin noble. C’est un vin issu d’une production naturelle en provenance de bons terroirs avec la capacité de bien vieillir (ou d’évoluer favorablement dans le prolongement du temps). C’était la seule et brève interprétation de la part des intervenants de la définition du vin noble. Victor est l’un des meilleurs oeno-journalistes en Espagne et il assure en même temps le rôle de journaliste indépendant et produit quelques très bons vins à partir de son propre vignoble. Victor explique comment l’Espagne est bénie par de grands terroirs. Ce pays possède le plus grand vignoble du monde avec un sol calcaire comme base (ce qui sera contesté plus tard par Claude Bourgignon et par Michel Bettane, même si je crains que Victor ait raison). Souvent en altitude avec de vieilles vignes, le potentiel étonnant de garde des plus grands Riojas, parfois supérieur aux plus grands Bordeaux, est la preuve qu’ils proviennent de grands terroirs, confirme-t-il.

Victor se concentre sur les deux régions espagnoles avec une tradition de plusieurs siècles: Jerez et la Rioja. Les Phéniciens ont introduit les vignes dans le sud de l’Espagne en 1.100 avant J.-C. et plus tard, Columella distinguait les bons (albarizza) et les mauvais (sables) terroirs à Jerez. Cependant le concept de terroir de Jerez a été sévèrement réduit au cours des 40 dernières années à la suite de l’effondrement du marché des vins de Jerez et de sa production. Ceci a conduit à l’adaptation générale des techniques pour réduire les coûts de production en minimalisant l’effet terroir. Selon de la Serna, la plupart des maisons devraient suivre l’exemple de Valdespino, qui possèdent leur propres vignes en vinifiant dans des fûts de chêne sans faire appel aux levures sélectionnées. Il cite Lopez de Heredia comme exemple pour montrer dans quelle direction la Rioja devrait aller. Il ne vinifient que des raisins en provenance de leurs quatre propres vignobles, y compris celui de 100 hectare de Viña Tondonia. Il y a aussi des petits producteurs artisanaux produisant du vin à partir de raisins en provenance de vignobles non reconnus et interdits. L’Appellation Rioja s’est longtemps opposée à la classification des vignobles et les raisins de nombreux grands vins sont, selon les millésimes, proviennent de vignobles variés.

Telmo Rodriguez (Remelluri, Rioja) a démarré la production des vins avec la mention des lieux de provenance des vignobles sur l’étiquette: la Bastida et San Vincente de la Sonsierra. Il a eu du fil à retordre pour parvenir à encourager les autorités à prendre le concept du village en considération et depuis, il a la permission de mentionner les villages sur l’étiquette, sans fondement légal, et il n’a pas besoin de prouver que ce qui figure sur l’étiquette correspond au  lieu de provenance des raisins. Vrai vignoble ou marque banale ? Il faut faire confiance au producteur. Ensuite, de la Serna décrit la naissance en Priorat de la première appellation village comparable à la Bourgogne. En concluant son intervention, Victor dit que c’est une tragédie que les deux plus grandes régions viticoles sont surtout connues pour leur pratiques de vinification. Les vignerons de son âge (il a environ 65 ans) sont amoureux d’astuces techniques mais les plus jeunes de 30 ans environ sont bien au courant de la technologie mais préfèrent retourner à la vigne. Mon commentaire: je pense que Victor a présenté un très bon travail en décrivant la tension entre les vins de terroirs authentiques en Espagne et les vins probablement plus célèbres, émanant d’une technique de vinification plus sophistiquée. Il est l’un des critiques Espagnols que j’écoute le plus.

Paul Draper

Paul Draper – Vin noble: une perspective californienne
Paul Draper a commencé son intervention en disant qu’il préfère le terme “vins de place” plutôt que ”vins nobles”. Qu’est-ce que cela peut bien dire ? Le premier devoir du vin est de donner du plaisir. Il existe des vins dont les raisins demandent beaucoup d’aide en cave. Plus de 90% des vins du monde sont des vins d’industrie et il sont créés dans les caves (lieux de vinification). Mais ce procédé radical n’est pas du tout approprié pour les vins vendus cher. Dans la vigne, indépendemment de la façon de la travailler – biologique, bio-dynamique ou conventionnelle – vous avez un espace de travail limité. La cave ne connait pas ce genre de limites. La plupart des viticulteurs n’est pas disposée à discuter de sa position sur la pente glissante de la vinification industrielle.

La Californie dispose d’un climat assez favorable où il n’y pas beaucoup de pluie entre le mois de mai et les vendanges. Dans les vignobles il est alors beaucoup plus facile de travailler en utilisant des techniques organiques ou durables. Exception faite pour l’année 2011, qui est l’année la plus désastreuse depuis 50 ans dans certains endroits. Dans la cave ce n’est pas la même chose. Le terme « faiseur de vin » (winemaker) veut dire pour beaucoup de gens que le métier consiste à créer le style des vins. On dispose de concentrateurs, d’appareils à osmose inversée et d’autres outils de travail pour créer un style. Durant les dernières années, on a pu constater en Californie une montée importante de la vinification de consensus : les gens observent ce que les collègues à succès pratiquent pour essayer de faire des vins du même  style. Ensuite, il devient difficile de distinguer les vins.

“J’espère que nous allons nous éloigner des bombes à fruit”, dit Draper. Vers la fin du 19ème et au du début du 20ème siècle, les gens étaient bien plus proches de la vigne en travaillant en cave d’une façon plus naturelle qu’aujourd’hui. Il ajoute qu’un bon vin “de place” a besoin d’une dose de SO2 minimale pour assurer son expression de vérité. S’il manque de SO2, il ne montrera pas son caractère de place, ni son potentiel de garde. La plupart des faiseurs de vin est convaincue que pour faire du vin, il faut disposer d’une boite à outils chimiques. Mais on voit un nombre de producteurs qui s’orientent délibérément dans le sens de l’expression de « la place ».

Mon commentaire: je pense que Draper a fait un bon commentaire. La part intéressante de la scène viticole californienne semble s’orienter vers un travail plus naturel avec des expressions plus claires des terroirs en reculant devant la surmaturité et devant l’excès d’interventions techniques. Il raconte, de manière très intéressante, que sa formation en matière de vin lui permettait de déguster de nombreuses bouteilles de vieux et grands Bordeaux. Ravi de constater qu’il était capable de reconnaître les caractères des différents terroirs, des Châteaux et des propriétés. Ceci est actuellement assez difficile. Bordeaux semble évoluer dans le sens inverse et vers la Californie en augmentant la maturité et les interventions. Des vins probablement moins intéressants et moins nobles maintenant que dans le passé, même si les vins se vendent actuellement à des prix plus élevés.

Josh Jensen

Josh Jensen – terroirs new and old
Josh Jensen commence en disant qu’il n’y a quasiment pas de calcaire en Californie: il en sait quelque chose parce qu’avant de créer Calera Vineyard, il a mis plus de deux ans pour en trouver. Les autres producteurs disposants de terroirs calcaires sont Ridge, Tablas Creek et Chalone. « Le merveilleux concept de terroir devrait inspirer tous les producteurs et tous les amateurs de vin » a-t-il déclaré. En plus des influences habituelles du terroir, il a fait remarquer que la Californie a une influence en provenance de buissons aromatiques indigènes comme le lilas sauvage et l’Aesculus californica, ainsi que des espèces importées telles que l’eucalyptus et la lavande. Leur huiles aromatiques peuvent parfumer le vin.

Jensen a également ajouté que la discussion sur le terroir n’est pas complète sans prendre en considération les levures indigènes présentes dans le vignoble. La pratique habituelle de tuer les levures sauvages en ajoutant du SO2 à la réception des raisins est une mauvaise idée. Chaque site représente un terroir. Beaucoup de terroirs continentaux et méditerranéens en Europe datent de l’Antiquité. Des classifications ont été proposées et codifiées. Maintenant, beaucoup de ces sites sont considérés comme légendaires. Qu’en est-il des nouveaux sites avec des plantations de seulement 50 ans? «Mes trois premières vignes ont été plantées il y a 37 ans», dit Josh. «Chacune de ces vignes a été plantée dans une terre vierge, n’ayant jamais subi de culture agricole . Il s’agit indéniablement d’un terroir unique. » Mais pouvons-nous considérer ces jeunes terroirs comme des grands terroirs? Ou des très bons terroirs? Ou moyennement bons? Il est probablement trop tôt pour prononcer un jugement. La Nouvelle-Zélande et le Chili ont une prépondérance de vignes plantées depuis, disons, 1950. «Chacun de nous devrait se faire son propre opinion», conclut Josh.

Mon commentaire: Josh est vraiment intelligent, et la façon dont il a répondu à une question de Anthony Rose le prouve. Anthony a suggéré que le fait que le vin d’Eduardo Chadwick, Seña a récemment surclassé dans une dégustation à l’aveugle certains premiers crus classés de Bordeaux, montre bien que Seña est un vin noble. Josh, surpris par la question, a suggéré, de la manière la plus diplomatique possible, que ce n’est pas une conclusion logique.

José Vouillamoz

José Vouillamoz – Le concept de cépage noble
Dans son discours, José Vouillamoz a abordé le concept des cépages nobles contre les cépages communs, voir vulgaires, en indiquant qu’une telle approche n’a aucun sens.

Chaque cépage commence sa vie comme une graine, mais pour garder les caractéristiques intéressantes de la variété, il doit se multiplier végétativement par les produits de la taille, les sarments. Comme cela se pratique depuis 1000 à 2000 ans, il y a une accumulation de mutations. Certains d’entre eux échappent à l’œil nu, tandis que d’autres sont spectaculaires, comme un changement de couleur. Chaque fois que nous identifions une différence en produisant une multiplication à partir de cette plante, nous avons un clone.

Ce point est intéressant parce que pinot noir, pinot gris et pinot blanc son considérés comme des variétés différentes, mais ils ne le sont pas. Techniquement parlant, ils sont des clones de la même variété, produits par des accidents au cours de leur longue histoire. José a montré quelques exemples de classifications des variétés nobles et des variétés communes. Ils proviennent tous d’Europe centrale, sans référence aux variétés géorgiennes, par exemple. Et les mêmes variétés sont souvent classées différemment. Le concept de cépages nobles est un peu bête. En 1997, on a découvert les parents du Cabernet Sauvignon : le Cabernet Franc et le Sauvignon Blanc, qui évidemment, n’était pas un transfert délibéré. Un grand nombre de cépages sont reliés entre eux. Les parents du Carmenere sont le Cabernet Franc et le Cabernet Gros. Et le Gouais Blanc, qui a été cultivé dans toute l’Europe, a produit de nombreuses variétés «nobles», agissant en tant que parents du Chardonnay, du Riesling, du Furmint et du Blaufrankisch, entre autres. Pourtant, le Gouais est considéré comme un raisin de qualité médiocre; une mauvaise herbe. Les gens l’ont utilisé pour le planter aux périmètres de leurs vignobles afin de dissuader les voleurs de raisin.

On dit toujours que les variétés nobles gardent leur caractère quand ils se déplacent. Mais Sangiovese, Tempranillo, Furmint et Nebbiolo ne voyagent pas bien. Egalement, on dit que les variétés nobles ont de faibles rendements, mais ce n’est pas vrai: Syrah, par exemple, a des clones à haut rendement. Mon commentaire: brillante présentation de José et probablement la meilleure de toute la session. Sa force était l’orientation sur les données ciblées. Ainsi nous disposions d’exemples concrets pour discuter, au lieu de notions vagues. C’était aussi très agréable d’avoir un coup d’œil très rapide sur le prochain livre sur les cépages, rédigé par Vouillamoz, Harding et Robinson, qui promet d’être une publication de taille.

Raymond Paccot – biodynamie et vins nobles
Raymond Paccot introduit le sujet de la biodynamie avant de donner la parole à Claude Bourguignon. Il explique brièvement l’agriculture biologique en signalant que le 20è siècle a vu arriver des nouvelles méthodes de culture, certaines bonnes, certaines mauvaises. Les terroirs et les vignobles sont victimes des herbicides et des engrais hydrosolubles. «Les sols pollués ne peuvent plus respirer, dit Paccot. «Ces sols ne peuvent pas produire les meilleurs raisins». Le résultat de la biodynamie, selon lui, est un vin noble, ce qui reflète la personnalité de l’endroit où les raisins mûrissent.

Claude Bourguignon

 

Claude Bourguignon – biodynamics and noble wine

«Le travail des scientifiques n’est pas de porter un jugement, mais d’observer et de mesurer», commença Claude Bourguignon, en contournant le besoin de commenter les affirmations de la biodynamie, qui sont problématiques pour les scientifiques (mais pas pour Claude Bourgignon). Son intérêt est dans le sol et dans la vie qu’il contient. Fait intéressant, Bourguignon a souligné qu’il voit parfois plus de vie biologique dans le haut des sols travaillés de façon conventionnelle que dans le haut des biodynamiques, là ou les vignerons utilisent de la matière organique pour améliorer le sol. Mais les différences se situent dans la profondeur.

“En biodynamie nous constatons toujours des racines plus profondes”, dit Bourguignon. Il voit plus de micronutriments disponibles dans le sol en profondeur et plus d’activité microbiologique. Tous les composés produits dans un système vivant sont produits par des enzymes, fait-il remarquer. Et ces enzymes ont des cofacteurs métalliques, tel que le magnésium dans la chlorophylle. Ce genre de micronutriments vient du sol. Il ajoute que nous ne connaissons pas encore toutes les enzymes impliquées dans la synthèse des composés aromatiques ou de leurs précurseurs. Les fruits hydroponiques produits n’ont pas de goût, dit-il. S’il n’y a pas de microbes du sol, il n’y a pas de micronutriments et donc pas d’arômes, car les enzymes ont besoin de ces oligoéléments comme cofacteurs.

Il a donné des exemples de Morgon, qui est cultivé sur des sols riches en manganèse et de Brouilly, cultivé dans des sols riches en zinc. Ces niveaux sont élevés dans les raisins, et peuvent entraîner des différences dans les vins. «En un siècle, la croissance des racines de vigne s’est réduite de 3,5 m à 0,5 m », affirme Bourguignon. Mais il est possible de contrecarrer cette évolution grâce à la biodynamie. « Lorsque vous arrêtez l’utilisation d’herbicides, la vie réagit rapidement et en un an on pourra constater une croissance des racines de 20 cm. Les herbicides réduisent la faune parce qu’elle n’a rien à manger.

Mon commentaire: Bourguignon fait quelques déclarations courageuses qui peuvent être forgées dans une hypothèse vérifiable. Il suggère que le facteur limitant l’expression aromatique des vins se trouve dans les oligoéléments agissants comme des enzymes co-facteurs dans la synthèse de l’arôme (ou précurseurs d’arômes – parce que la plupart des arômes sont formés par les levures lors de la fermentation) de synthèse. Ceci est vérifiable, mais je pense qu’il présente une image un peu trop simpliste. Des cofacteurs sont nécessaires, non seulement pour des enzymes impliquées dans la synthèse des précurseurs d’arômes et des arômes, mais également pour la croissance de la vigne. Leur absence ou une carence aurait un impact sur la croissance de la vigne de façon significative.

Les microbes présents dans le sol s’impliquent avec la vigne d’une façon multiple et complexe. Il serait intéressant de comparer la non utilisation d’herbicides en viticulture conventionnelle avec l’utilisation d’herbicides uniquement au pied de la vigne, avec différents régimes de récolte sous couverture (cover crop regimes), et de voir si la biodynamie offre de l’efficacité organique par rapport à une culture organique avec compostage ou encore une viticulture conventionnelle moins les herbicides mais avec compostage et ainsi de suite. Il existe tellement de combinaisons.

Angelo Gaja – the wine artisans

Angelo Gaja a terminé la session avec une présentation divertissante, passionnée et largement concentrée sur la signification de l’artisan vigneron. Pour Angelo, la famille est importante. Il la décrit comme le berceau de transfert des connaissances et de l’expérience entre les générations. Il pense que le mot terroir est trop souvent utilisé: « avons-nous besoin d’un nouveau mot pour expliquer ce concept? J’ai toujours hésité à utiliser le terme de terroir », dit-il. «Je pense qu’il appartient strictement à la Bourgogne. Il ne nous appartient pas de la même manière. Ensuite il parle des gens de Langhe. Ils avaient une prédisposition aux jeux de hasard, qu’ils ont transférée, après la seconde guerre mondiale, à la viticulture, en appliquant ce jeu hasardeux de la vinification.

Il a également évoqué la notion de la perfection dans le vin. « Les artisans n’ont jamais la production de vins parfaits dans leur l’esprit », dit-il. «Dans notre région, il est possible de produire des vins avec un peu d’imperfection – un peu trop tanniques ou bien un peu trop acides. Il ne faut pas oublier que la nature n’est pas parfaite. J’aime cette idée que les grands vins doivent souvent avoir une petite imperfection qui leur donne de la personnalité et qui révèle de la grandeur », poursuit-il. « La nature n’est pas socialiste. Il existe des parcelles capables de produire des grands vins que d’autres parcelles sont incapables de produire. Les artisans comprennent cela. Nous tenons à choisir les consommateurs qui savent apprécier les vins avec une petite imperfection. L’imperfection peut devenir la signature du vin ».

Conclusion générale

C’était une discussion intéressante, mais dans l’ensemble, le message final n’était rien de plus que la somme de ses parts. Je n’ai pas senti qu’il y avait beaucoup de synergie entre les présentations et il y manquait un fil rouge intellectuel. C’est dommage, parce que le calibre des participants aurait permis une discussion très intéressante. Il aurait été agréable de voir les membres du groupe s’affronter un peu. Mais nous avons quitté la séance en emportant quelques bijoux avec nous. Quant à la question de savoir si “le vin noble” est un concept valable, nous avons tous été appelés à voter à la fin. J’ai voté non, en me trouvant dans une minorité, même si elle est importante. Ma justification? Tout d’abord, je pense que le terme « noble » est un mot maladroit en anglais. Cela suggère qu’il a profité d’un traitement spécial, qu’il n’a pas mérité. Aujourd’hui, nous sommes plutôt réticents à l’idée d’hériter d’une noblesse par la naissance chez les humains: nous croyons que tout le monde mérite les mêmes chances, quelle que soit leur origine. Par conséquent, l’existence d’une élite auto-choisie sous forme de club fermé, en excluant ceux qui ne sont tout simplement pas le bon type, ne nous convient pas.

Deuxièmement, élément bien plus important, à aucun moment de cette discussion le terme «noble» n’a été bien défini. Comment alors aurions-nous pu nous décider sur la validité du concept? Certains terroirs sont-ils meilleurs que d’autres? Bien sur que oui. Certains morceaux de terre représentent des sites privilégiés pour la production de vin. D’autres ne sont pas du tout adaptés à la culture de raisins de cuve. Ceci est une évidence. Existe-t-il des vins qui sont meilleurs que d’autres? Là, il s’agit d’une discussion plus intéressante et appartenant au domaine de l’esthétique. Le vin fin est sujet à un système esthétique, et nous pourrions avoir un bon débat quant à savoir pourquoi certains vins sont appréciés et d’autres ne le sont pas, et en on peut se demander, par exemple, si les vins naturels appartiennent à la catégorie des vins fins. Certains vins sont clairement sur-évalués. Le fait qu’une famille fortunée avec un grand château produise du vin depuis des générations ne signifie pas pour autant que son vin est d’office particulièrement spécial. Comme tous les vins produits par des artisans ne sont pas d’office de grands vins.

L’AIV est une organisation intéressante, et il semble qu’ils pensent à leur avenir en organisant ce débat, le premier dans leur histoire favorisant l’anglais plutôt que le français. S’ils veulent devenir une organisation internationale dans le monde du vin d’aujourd’hui, ils vont devoir abandonner le français ou disposer d’une traduction simultanée lors de leurs réunions. Sinon, ils risquent l’isolement, en suivant un parcours trop franco-centriste, dans un monde du vin qui a beaucoup changé depuis que Constant Bourquin a présenté sa définition du vin noble

Bruno Prats : Noblesse des crus classés de 1855

Si la Bourgogne doit son développement à l’Eglise, les crus classés du Médoc le doivent à la Noblesse. Non pas la noblesse d’Epée qui n’a jamais exploité directement ses terres et s’est contentée d’encaisser ses fermages mais la noblesse de Robe, celle des Parlementaires bordelais. Noblesse récente, ayant souvent acheté ses titres, mais noblesse éclairée et entreprenante à laquelle son statut de noblesse interdisait l’industrie et le commerce mais pas l’agriculture et surtout pas la plus noble de toutes, la viticulture. Le mouvement physiocratique du milieu du XVIII siècle soutient que la terre est la seule source de richesse et que les progrès de l’agriculture permettront la libération des hommes et l’accès au bonheur.

La création de Haut Brion par Jean de Pontac en 1533 est le premier signal d’une attitude très nouvelle dans la viticulture mondiale : la création d’un domaine viticole important, dont les vins sont vinifiés sur place et vendus sous le nom du domaine. La mention de « Ho Bryan » dans le diary de Samuel Pepys en 1654 sera la première mention d’un vin de Château au sens bordelais.

La Bourgogne connaissait l’identification d’un vin par rapport à un terroir précis, mais la noblesse bordelaise y ajouta l’identification à un producteur vinificateur. Nul n’illustre mieux le rôle de la noblesse de robe dans le développement des Crus Classés du Médoc que le Marquis Nicolas Alexandre de Ségur, né en 1697, Président à Mortier au parlement de Bordeaux et propriétaire de Lafite, Latour et Calon. A la même époque, le Marquis Pierre d’Aulède possède Margaux et un grande part de Haut Brion. Le Conseiller de Brassier possède Beychevelle, le Marquis de Lascazes possède Léoville. Noblesse et Crus Classés sont indissociables.

L’étape suivante est la construction du Château, symbole de la noblesse du vin. Sans doute parce qu’ils en ont brûlé beaucoup pendant la révolution, les français sont fascinés par le Château au point d’appliquer ce mot à toute bâtisse plus ou moins flanquée de tourelles et dotée d’un perron. Le château est le symbole même de la noblesse. La résidence du Président de la République française, dont le nom officiel est « Palais de l’Elysée » est surnommée par la classe politique «Le Château». Pourtant, dans le document original du classement de 1855, sur 55 crus classés, seuls cinq portent le nom « château ». (Margaux, Lafite, Latour, Beychevelle et Issan). Les autres crus sont désignés soit sous le nom de leur propriétaire: «Lynch», «Rauzan», soit sous un nom de lieu-dit : «Leoville», «Mouton», soit sous l’association d’un nom de propriétaire et d’un nom de lieu-dit :«Cos-Destournel», «Ducru-Beaucaillou».

Issan, construit au XVIIème siècle, et Beychevelle au XVIIIème, répondent bien à la définition d’un Château. Margaux était un ancien castel médiéval avant que le Marquis de La Colonilla ne le remplace par «une bâtisse dans le goût moderne», comme le disait Bertall. Mais Lafite est une maison certes ancienne mais modeste et la demeure de Latour n’a rien d’un château et est de construction très tardive. Le terme château leur est attribué comme hommage à la noblesse de ces crus. Aujourd’hui le terme château à Bordeaux n’a plus de relation avec un bâtiment mais désigne simplement une exploitation viticole indépendante assurant à la fois la culture de la vigne et la vinification. Il faut y voir le désir de tout producteur d’affirmer la noblesse de son vin.

L’achat récent de Crus Classés par de grandes fortunes étrangères au monde du vin ne signifie-telle pas que le vin noble ennoblit celui qui en est responsable ? N’est-il pas significatif que ces nouveaux propriétaires rivalisent en matière d’investissements techniques somptueux et en efforts de qualité extrêmes ? Il y eu des passages à vide dans la qualité de certains Crus Classés. Certains ont pu se reposer sur le classement comme une garantie de noblesse sans contrepartie. Mais aujourd’hui, ils ont tous compris la maxime de La Rochefoucauld . « Un grand nom abaisse celui qui ne sait pas le soutenir ». Pour moi les Crus Classés du Médoc sont l’archétype du vin noble.