Résumé

Un essai de nouveaux systèmes de conduite a été mis en place avec le cépage Merlot au vignoble expérimental de Gudo (TI), cultivé en banquettes. La pente naturelle du terrain s’élève à 65% et la distance entre les banquettes ou les rangs est de 3m. Six systèmes de conduite ont été testés, avec pour objectif de mieux occuper l’espace disponible. Au témoin traditionnel, en Guyot double à palissage vertical simple, ont été comparées des variantes à double plan de palissage, ascendant et retombant au-dessus des talus, conduites soit en Guyot soit en cordon. La charge en bourgeons et en rameaux des systèmes à double plan de palissage a été augmentée de 20 à 60 % par rapport au témoin.

Sur la moyenne des années (1995-2000), cet accroissement de la charge a permis d’augmenter les rendements de 30 à 50% sans porter préjudice à la qualité des raisins et des vins. Cette sauvegarde de la qualité s’explique essentiellement par le rapport surface foliaire exposée (SFE) par kg de raisin qui a pu être maintenu proche pour l’ensemble des variantes. La taille en cordon a provoqué une augmentation du poids des bois de taille et de celui des baies et a réduit la fertilité des bourgeons ainsi que le pourcentage de bourgeons non débourrés et de rameaux faibles. Les nouveaux systèmes de conduite expérimentés ont entraîné par rapport au témoin et selon les systèmes une augmentation des travaux de l’ordre de 30 à 150 h/ha. Ce supplément d’heures a été largement compensé par l’accroissement des rendements.

Mots-clés
Systèmes de conduite, gestion de la canopée, vignes en banquettes, rendement, qualité, surface foliaire exposée.

INTRODUCTION
Plus de la moitié du vignoble suisse est situé sur des coteaux en forte pente (>30%). La création de banquettes (replats soutenus par des talus herbeux) permet de rationaliser la culture de ces vignobles. Les rangs sont orientés en travers de la pente en suivant les courbes de niveau. Cette technique garantit une bonne protection du sol contre l’érosion et augmente sensiblement les possibilités de mécanisation. Elle réduit par contre la densité de plantation et l’occupation de l’espace, la distance entre les rangs dépassant souvent les 3m dans les très fortes pentes (>50%). Au replat nécessaire pour le passage des machines, il faut encore ajouter l’espace occupé par les talus qui soutiennent les banquettes (Murisier, 1981; Murisier et al., 1984). La culture des vignes en banquettes est beaucoup pratiquée an Tessin pour éviter les risques d’érosion dus au niveau élevé des précipitations.

Le système de conduite traditionnel utilisé est le Guyot double, avec un seul plan de palissage vertical. La surface foliaire par hectare est de ce fait peu importante. Selon le niveau de rendement, elle peut être insuffisante à l’obtention d’une qualité optimale. Une augmentation de la densité de plantation peut être obtenue, en resserrant les ceps sur le rang. Cette technique ne modifie pas l’occupation de l’espace, ni la surface foliaire exposée, ni le niveau de rendement et la qualité (Pelossi, 1993; Murisicr et Ferretti, 1996). Pour mieux utiliser l’espace disponible et mieux valoriser la culture de la vigile en forte pente, des nouveaux systèmes de conduite ont été testés, en divisant les plans de végétation en deux (ascendant et retombant). L’objectif global est d’améliorer la production, tout en préservant la qualité.

MATERIEL ET METHODES

Site expérimental
L’essai de nouveaux modes de conduite a été institué en 1989 au vignoble expérimental de Gudo (Tessin) avec le cépage Merlot greffé sur 3309C. La pente moyenne du terrain s’élève à 65% avec une exposition sud/sud-est. Les banquettes ont été créées perpendiculairement à la pente. La largeur du replat est de 1,50m et la distance entre les banquettes ou entre les rangs est de 3m. A Gudo, la température moyenne annuelle (1995-1998) est de 12,1°C et les précipitations sont élevées (1666 mm).

Systèmes de conduite
Six systèmes de conduite ont été lestés. Au témoin traditionnel (Guyot double : 300 x120 cm), ont été comparées des variantes à double plan de palissage, ascendant et retombant au-dessus des talus. Dans ces dernières variantes, différents types de taille (Guyot et cordon) et divers écartements sur le rang ont été étudiés. Dans les systèmes à palissage ascendant et retombant, la charge en rameaux a été augmentée selon les variétés de 20 à 60% par rapport au témoin. La longueur des rameaux ascendants et retombants a été maintenue constante par le rognage, soit120 cm pour tous les systèmes. Chaque variante comprend 4 répétitions.

Contrôles effectués
Sur le plan agronomique, les contrôles ont porté sur le rendement, le poids de la baie, la teneur en sucres (g/l), l’ acidité totale (g/l), les acides tartrique et malique en analysant séparément la récolte des rameaux ascendants et celle des rameaux retombants. La fertilité des bourgeons, le pourcentage des yeux non débourrés, le poids des bois de taille et le poids des rognages ont également été contrôlés. La surface foliaire exposée (SFE) a été approchée en mesurant la surface du couvert végétal externe recevant la lumière directe (Murisier, 1996) . De cette surface, sont soustraits les trous importants observés dans la végétation (Carbonneau, 1976 et 1980). Pour le plan de feuillage ascendant, la surface des deux parois latérales et celle du sommet de la végétation ont été prises en compte. Pour la végétation retombante, seule la surface de la face sud a été retenue, la partie nord (côté talus) étant constamment à l’ombre. La structure de la surface foliaire, ainsi que l’éclairement du feuillage et des grappes a pu être analysée selon les méthodes proposées par Carbonneau (1976 et 1980).

Des vinifications séparées des différentes variantes ont été réalisées. Les raisins, issus des rameaux retombants et ascendants ont été vinifiés séparément jusqu’à la fin de la fermentation alcoolique, de façon à pouvoir effectuer des analyses de polyphénols comparatives. Les deux lots ont été ensuite assemblés, pour connaître la valeur qualitative des vins de l’ensemble du système de conduite testé.

RESULTATS
L’accroissement de la charge en bourgeons et en rameaux (20 à 60%) dans les variantes à double palissage a entrainé une augmentation de rendement à l’unité de surface correspondante (30 il 50%) par rapport au témoin. La part de raisins provenant des rameaux ascendants et des rameaux retombants est pratiquement identique, à l’exception de la variante D, où la proportion de récolte provenant des bois retombants est plus faible. Ceci provient du fait qu’un nombre inférieur de rameaux a été conservé sur la branche à fruit tirée perpendiculairement au rang. Les rendements par cep sont fonction de leur écartement sur le rang et de la charge en bourgeons conservée. Les variantes C et F dont l’intercep est de 60cm, ont les rendements par cep les plus bas, mais des rendemenls/m2 comparables aux variantes B, D et F.

Fertilité des bourgeons
La fertilité des bourgeons des tailles en cordon permanent (variantes B, E et F) a été sensiblement plus faible que celle des tailles Guyot. Les différences sont significatives et se situent entre 0.2 el 0.3 grappe par bourgeon. Les différences de fertilité entre rameaux ascendants et retombants sont faibles. Ceci traduit probablement l’effet d’une exposition du feuillage comparable au moment de l’initiation florale.

Pois de la baie
Le poids des baies a été notablement plus élevé dans les tailles courtes (cordon) que dans les tailles longues (Guyot). Ce phénomène connu compense en pallie la fertilité plus faible observée dans les cordons. Les grappes issues des rameaux retombants ont eu tendance à porter des baies légèrement plus petites que les grappes des rameaux ascendants. Les différences ne sont toutefois pas significatives.

Teneur eu sucres
Considérés globalement, les différents systèmes de conduite ont donné des teneurs en sucres proches, malgré les rendements supérieurs observés dans les variantes à double palissage. Les nouveaux systèmes de conduite ont permis d’augmenter les rendements (30 à 50%), sans nuire à la qualité du raisin. Ce résultat s’explique par la surface foliaire exposée (SFE) qui a été augmentée par le dédoublement des plans de palissage. Les rapports SFE/kg de raisin ont été assez proches pour l’ensemble des variantes, entre 0,8 et 1,0 m2 de feuilles éclairées par Kg  de raisin. Ces valeurs sont un peu inférieures aux valeurs optimales définies par Murisier (1996) et Murisier et Zufferey (1997) pour les cépages Chasselas et Gamay. La teneur en sucres significativement plus élevée de la variante F est difficilement explicable par un seul paramètre. Elle peut être due à l’effet combiné de différents facteurs (végétation double, taille cordon ou resserrement sur le rang.)

Acidité des moûts
On n’a pas observé d’effets des systèmes de conduite sur l’acidité totale des moûts, ni sur leur richesse en acide tartrique. Par contre, au niveau de l’acide malique, on remarque que les raisins issus des rameaux retombants ont une teneur en acide malique systématiquement plus faible que celle des raisins des rameaux ascendants. Le plus faible développement des rameaux retombants ne permet pas d’expliquer à lui seul ce phénomène. Le témoin A (Guyot) qui a une vigueur comparable à celle de la partie retombante de la variante E (cordon) a en revanche une acidité malique proche de celle des raisins des rameaux ascendants. Des mesures au niveau du microclimat des grappes pourraient permettre d’expliquer les différences observées.

Le poids des bois de taille et des rognages
Comme pour la SFE/m2, les systèmes de conduite à double plan de palissage ont donné des poids de bois de taille sensiblement plus élevés que le témoin (A). Par ailleurs, les tailles en cordon (H, E et F) ont fourni des poids totaux de sarments significativement supérieurs aux tailles en Guyot (C ct D). Les différences proviennent surtout des rameaux ascendants. Les mêmes observations peuvent être faites pour le poids des rognages. Au niveau du poids par sarment (rameau principal + entre-cœurs), on observe dans chaque variante que les sarments retombants sont plus faibles que les sarments ascendants. La mesure du poids des rognages montre que les rameaux retombants ont un développement réduit par rapport aux rameaux ascendants. Il serait important de contrôler séparément les poids des sarments et des rognages issus des rameaux principaux et des entre-cœurs.

Le Merlot présente fréquemment des difficultés de débourrement (Madonna, 1988; Murisier el al.,l990). Les tailles en cordon (B, E et F) réduisent de façon marquée les problèmes de débourrement. Le palissage retombant a eu tendance à donner des débourrements plus réguliers.

Qualité des vins
Les différences de qualité des vins issus de différentes variantes ont été faibles tant sur le plan analytique que sensoriel. Au niveau des polyphénols totaux et des anthocyanes, analysés après la fermentation alcoolique, les variantes à double plan de palissage ont eu tendance à avoir des valeurs légèrement supérieures au témoin. Les écarts entre les vins issus des rameaux ascendants et ceux provenant des rameaux retombants ont également été faibles. La dégustation réalisée en février 2001 sur l’ensemble des variantes et des années, n’a pas permis de mettre en évidence des différences significatives entre les vins des divers systèmes de conduite testés.

Tableau 1. ESSAi systèmes de conduite sm Meriot à Gudo (Tl). Analyse des po]yphéllols après l’cImentation aleoolic]ue (~I 19%-1999) et résultats de dégustation cles vins du 27.02.2001.

Coûts de production
Les systèmes de conduite à double plan de palissage exigent plus de soins aux ceps, en particulier pour la séparation de la végétation ascendante et retombante. Sur l’ensemble des opérations de travaux du cep (taille et travaux en vert), le supplément de main-d’œuvre, lié aux nouveaux systèmes de conduite à double palissage en comparaison avec le témoin, varie selon les cas de 30 à ISO h/ha ou de 600 CHF/ha à 3’000 CHF/ha. Le supplément de travail est largement compensé par l’accroissement des rendements. En effet, 30 à 150 h/ha de travail  supplémentaire correspondant à 600.- à 3’000.- CHF/ha pour 3000 kg/ha de récolte en plus, soit environ 13’000.- CHF/ha.

CONCLUSIONS
– Dans les vignes en forte pente, cultivées en banquettes, l’accroissement de la charge en rameaux combiné au dédoublement des plans de palissage (ascendant et retombant) a permis d’augmenter les rendements à l’unité de surface de 30 à 50 % par rapport au système classique à un seul plan de palissage vertical.

– L’augmentation des rendements obtenue avec les systèmes à double plan de palissage n’a pas entraîné de diminution de qualité tant au niveau des raisins que des vins.

– Le niveau de qualité s’explique essentiellement par le rapport SFE par kilo de raisin qui a été très proche pour l’ensemble des variantes.

– La taille en cordon a fait augmenter le poids des baies et celui des bois de taille. Elle a réduit la fertilité des bourgeons et le pourcentage de bourgeons non débourrés.

– Globalement, les rameaux retombants ont été moins vigoureux que les rameaux ascendants. Il serait important de vérifier si ce phénomène se marque aussi au niveau des entre-cœurs.

– Le contrôle du microclimat spécifique des grappes pourrait contribuer à l’explication de certaines différences observées au niveau de l’acide malique.

– Les nouveaux systèmes de conduite ont exigé une augmentation des travaux du cep de 30 à 150 h/ha selon les systèmes. Ce supplément d’heures a été largement compensé par l’accroissement des rendements.