Rapport moral du chancelier Raymond Paccot prononcé devant l’assemblée générale de l’Académie Internationale du Vin, tenue le jeudi 5 décembre 2013, à l’Hôtel Le Richemond, à Genève (Suisse).

Décisions prises lors de votre assemblée générale du jeudi matin.

Je voudrais remercier une nouvelle fois notre confrère, Roberto de la Motta, pour l’organisation de notre dernier voyage en Argentine.
– Tu as su trouver, mon cher Roberto, le juste chemin entre la convivialité qui caractérise ton pays et la rigueur nécessaire à un magnifique voyage.
–  Je voudrais également souligner la qualité des excellents comptes rendus de MM. Bruno Prats et Christopher Cannan qui laisseront ainsi une trace, écrite avec soin, de nos magnifiques moments passés en Argentine.

Nous avons dégusté là-bas, de très beaux vins, parfois même de grands vins. Le chancelier ne peut cependant s’empêcher de remarquer que certains vins manquent encore de personnalité, de cette empreinte du terroir qui nous est chère.

Vous constaterez l’absence de notre Président M. Mariano Fernandez Amunategui retenu par un problème de mal de dos. Mariano va nous manquer mais, nos excellents confrères, Josh Jensen et Bruno Prats ont accepté spontanément de le remplacer et je les en remercie. Je voudrais féliciter M. Pierre-Henry Gagey, qui a accepté, malgré ses responsabilités et ses nombreux voyages, de faire partie du conseil de l’Académie. Sa connaissance du monde du vin et son respect des valeurs qui nous sont chères, seront certainement très enrichissantes pour notre assemblée.

Le conseil de votre Académie s’est réuni en juin à Alicante et en décembre à Genève. Nous avons constaté que notre site Internet est maintenant devenu efficace et digne d’éloges. A nous de le faire vivre !
En nous faisant parvenir toutes vos informations qui seront mises en valeur sur le site :
– date anniversaires, célébrations, découvertes etc.
– vos nouveaux projets (techniques de culture, expérimentations, lancements de nouveaux produits)
– vos articles de presse (conférences et reportages)
Nous rendrons l’Académie Internationale du Vin encore plus captivante et interactive.

Un autre point que je tiens à rappeler c’est la transmission, la perpétuation des valeurs que défend l’Académie, en communiquant les fondements et les buts de notre association aux générations futures. Je vous encourage donc à inviter la jeunesse du monde viticole à se joindre à nous, ici à Genève ou pendant notre voyage d’étude de printemps.

Par ailleurs, je me réjouis d’accueillir pour la première fois en tant que membres de l’Académie :
M. Guillaume d’Angerville (France)
M. Anthony Hanson (Grande Bretagne)
M. Jorge Lucki (Brésil)
Mme Maria Jose Lopez de Heredia (Espagne)
M. Alvaro Palacios (Espagne)

Je vous rappelle, Madame, Messieurs, que vous êtes ici pour aider à la réflexion. Que vous êtes là, pour défendre la cause du vin au niveau le plus élevé. Vous êtes aussi ici, sans mandat d’une quelconque société financière, économique ou viticole, mais pour vos qualités humaines et professionnelles. Vous entrez à l’Académie en tant que membre, ce qui signifie que 3 absences successives vous obligeraient à nous quitter. Nous comptons sur vos réflexions, vos travaux, les rapports que vous présenterez bientôt pour enrichir nos débats.

Au nom du Président, du conseil et de moi-même, soyez les bienvenus et recevez nos sincères félicitations.

Vous m’avez fait l’honneur de me désigner chancelier de votre Académie. Il m’appartient de vous présenter mon rapport moral qui traduira mes impressions sur l’époque que nous vivons, mes constatations sur le monde viti-vinicole d’aujourd’hui.

A la fin du siècle dernier, deux fléaux se sont abattus sur la viticulture et lui ont infligé des dommages sévères, tant sur le plan qualitatif qu’en termes d’image.

–  Le premier a été la recherche à tout propos d’une meilleure productivité. Le recours systématique aux engrais chimiques et aux produits phytosanitaires conjugués à une mécanisation outrancière a fait croire – illusion qui fait sourire aujourd’hui – à l’amélioration de la qualité. On connaît le résultat : les violences faites à la nature ont eu pour conséquences inéluctables une banalisation des crus, encore amplifiées par la primauté de la technique ; l’œnologie au détriment de l’authenticité et de la qualité de la matière première.

–  Le deuxième fléau, qui n’a fait qu’accroître le premier, est la mondialisation, phénomène de mode amplifié par des moyens modernes de diffusion. Je ne pense pas aux grands vins qui ont depuis longtemps leur place sur toute les tables du monde. Non, je pense à l’uniformisation du goût, à l’appauvrissement de la diversité, au nivellement par le bas, à l’arrachage des plants du terroir au bénéfice de variété en vogue. Le coup aurait pu être fatal et le vin devenir un produit commun. Fort heureusement, l’organisme finit par produire ses propres anticorps. La réaction face aux excès productivistes et aseptisés s’est progressivement développé. Il était temps, la culture de la vigne, au sens propre, comme la culture (au sens de civilisation) du vin sont incompatibles avec la notion de court terme. Le vin ne participe pas à l’assouvissement d’un besoin alimentaire, mais au plaisir, à l’émotion, voire au luxe.

Le monde viticole revient à la limitation des rendements, à l’identité et l’authenticité, au « réveil des terroirs » et au respect croissant d’une plante considérée, enfin, comme un organisme vivant, ainsi que son environnement. Et jusque là, on ne peut que s’en féliciter. Encore faut-il éviter l’intégrisme. La production raisonnée, biologique et pourquoi pas biodynamique, bravo !

C’est affaire de sensibilité personnelle et de compétences professionnelles mais lorsque le non interventionnisme est érigé en dogme par des chapelles qui oublient toute notion de technique ou de progrès, on en arrive à des aberrations. Sans la main de l’homme, le destin ultime du vin est de finir en vinaigre !

Gardons nous donc des excès afin que les apôtres d’un naturalisme exacerbé ne nous présentent pas des piquettes et prétendent au titre de grand cru. Travailler au plus proche de la nature sans la sacraliser, comment trouver l’équilibre ? C’est là qu’intervient la notion de savoir-faire, de métier, par quoi il faut entendre la connaissance intime de l’écosystème liée à la compréhension des processus, à la conscience des limites et à la maîtrise des techniques.

Exprimer la personnalité dans ce qu’elle a de plus subtil, approcher l’harmonie et tutoyer la perfection, voilà l’exigence ! Elle n’exclut pas les choix, les prises de responsabilité, les convictions, la créativité, le positionnement. Le métier, au sens noble, voilà le maître-mot, la pierre angulaire sur laquelle repose la qualité, la maîtrise économique, la transmission aux générations suivantes et portant l’évolution des idées et des techniques, sachant que les innovations d’aujourd’hui seront les traditions de demain.

En guise de conclusion, pour souligner le rôle essentiel des entreprises à taille humaine, où le modèle d’exploitation familiale à tendance à s’essouffler, l’une des missions de l’Académie doit être de développer des réflexions et des solutions pour favoriser leur prospérité, y compris face au carcan législatif et réglementaire qui menace d’étouffer l’initiative et la créativité.