Ce n’était pas le « JUIN, Ton Soleil, Ardente Lyre …  » que saluait Guillaume APPOLLINAIRE, mais un soleil très provisoire et à éclipse, qui nous accompagna ce jeudi 8 juin 1995, premier jour de notre Symposium de printemps-été en Champagne, premier jour plus précisément consacré à EPERNAY et à la Vallée de la Marne. Après les deux années précédentes d’études en vignobles méridionaux, nous venions vers le Nord, là où la vigne souffre plus du froid, mais pour donner le Champagne. D’entrée je salue et remercie les trois meilleurs compères Champenois – nos excellents confrères Christian DEBILLY, Rémi KRUG et Pascal LECLERC-BRIANT – qui se sont dépensés avec tous leurs proches, pour organiser et réussir notre voyage, notre séjour, et surtout nous donner un toujours meilleur approfondissement de notre connaissance de leur vignoble et de leur vin. J’y reviendrai.

Dès notre embarquement à bord des cars, Pascal LECLERC-BRIANT nous brossa le tableau de sa région et de cette Vallée de Marne en particulier, avant de nous mener au cœur d’EPERNAY dans les beaux locaux modernes et fonctionnels du Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne, où notre cher Président fit acte d’ouverture de ce symposium de printemps, en saluant aussi nos hôtes, et en rappelant le précédent passage académique : c’était en 1978, il y avait 17 membres de l’AIV. Nous étions 44 à présent. Monsieur André ENDERS, Directeur du C.I.V.C. nous fit bon accueil ainsi que ses collaborateurs présents. Et s’il nous fit un bref exposé du rôle du C.I.V.C., il s’appliqua surtout à nous passionner pour une véritable « Défense et Illustration » du Vin de Champagne à travers une des actions peut-être moins connue mais combien importante qu’il doit sans cesse mener à bien. Très souvent, trop souvent, il s’agit de débusquer les abus, imitations, usurpations déjà du Vin de Champagne lui-même, en sa nature et son identité mêmes, et aussi de préserver le Champagne des amalgames et dérapages très intéressés, souvent peu imaginables, qui en sont faits sans aucune vergogne.

En matière de vin déjà, depuis l’affirmation du fameux procès de Londres, en 1960, qu’il « n’est de Champagne que de Champagne », marquant bien, internationalement, la protection du vin, de sa spécificité et de sa noblesse, il fallait encore et toujours plus protéger l’appellation, et défendre cette minorité d’appellation contrôlée face aux grandes déferlantes des vins blancs du monde entier qu’on pourra toujours et partout plus ou moins bien faire mousser mais qui ne pourra jamais être du Champagne. Et il fallait à travers le monde aussi protéger et assurer le consommateur autant que le producteur. Monsieur ENDERS nous montrait encore que le Champagne était presque victime de sa notoriété, et qu’il n’est pas d’appellation déjà sans notoriété. Outre le vin, c’est aussi le nom qu’il faut protéger. S’il l’est désormais à travers l’Union Européenne, dans le reste du monde, vigilance et combat doivent rester entiers.

Lorsqu’en Nouvelle Zélande, un accord quasi sportif, sans contentieux, parvient à s’établir en 1985, il faut le rechercher ensuite en Australie. Et puis, plus étonnant parfois, il faut connaître l’appropriation sans scrupule qui est faite de la notoriété Champagne, du nom « Champagne » par des fabricants de tout et n’importe quoi, sauf de Vin ! Shampooing, Jus de Sureau, Cigarettes, Parfums, Bains moussants, et non mousseux ! Il faut sans cesse poursuivre, pourfendre, faire juger, faire condamner puisqu’il ne peut y avoir d’alliance qui serait mésalliance, l’utilisation du prestige du Champagne engendrant un détournement de profit, un enrichissement sans cause. L’Appellation est pérenne, le Champagne est exemple. Question d’éthique aussi.

Après la découverte de cette action extérieure, universelle du C.I.V.C., nous allions revenir à la vigne et au vin, grâce à Madame Nathalie PERNOT des Services de Recherche du Comité. Nous croyons toujours savoir presque tout du Champagne, et bien nous allions, grâce à cet exposé passionnant, découvrir combien tout bouge, change même dans le sens de la recherche de perfection, à la fois au Comité Interprofessionnel et dans la région dans son ensemble, dans son harmonie efficace entre vignoble et négoce. L’action menée par le service de recherche du C.I.V.C., pendant dix bonnes années de travail, de communication incessante et de conviction dans l’élaboration du Champagne a permis d’aboutir à une Charte de Qualité adoptée en 1987, impliquant un agrément étendu à tous les Centres de pressurage : exigences supplémentaires pour obtenir l’Appellation qui engage chaque Centre agréé de pressurage, relatives au chargement de la récolte, étude très poussée de chaque mode opératoire, relatives au cuvage, au soutirage, bien sûr aux strictes mesures d’hygiène, en une évolution spectaculaire qui confirme que le pressurage est le point fort de la vinification Champenoise, qu’avec cet outil volontariste supplémentaire, elle est la première au monde dans les Appellations, à définir ainsi.

Exemple encore, que nous allions retrouver tout au long de ces deux journées d’exploration et de retrouvailles équilibrées entre vignoble et négoce, avec aussi la coopération, où nos amis nous guidaient. Mais pour lors, la route nous menait vers Cumières, au long de la Marne. C’est là, dans leurs vignobles, que nos amis Pascal LECLERC-BRIANT et son père Bertrand, un de nos fondateurs, nous présentèrent et expliquèrent leur conviction à mener une culture en biodynamie. Ils ne sont pas les seuls, ici comme ailleurs, mais furent les premiers en Champagne. Tout comme fait et nous l’avait naguère présenté, en Touraine, notre Confrère Noël PINGUET en son Haut lieu. Labourage systématique, pas de désherbage, respect des rythmes biologiques et des liaisons cosmiques, des défenses naturelles développées contre les agressions de la vigne, de préférence, aux actions chimiques considérées elles-mêmes comme agressives plutôt que comme processus de soin … C’est ici conviction, religion.

Nous suivons cela de très près, avec le plus grand intérêt, à l’A.I.V. Mais concrètement, quels sont les résultats ? Dès 1993, ils étaient là : certes, une baisse de production de près de 20%, ce n’est pas rien. Mais si les raisins étaient moins abondants, la qualité en augmentait : l degré en plus dans les Pinots noirs, et 1,5 dans les Chardonnays. Et si le maniement de la biodynamie, maintenant sortie de l’empirisme, est toujours délicat, la qualité et la maturité sont bien tangibles. Pascal, comme son père Bertrand, et comme leurs amis dégustateurs, savent avec confiance que ce sacrifice premier est sûrement un investissement. Après cette visite à la vigne et cette belle démonstration innovante – si on peut dire ainsi d’un retour à des procédés anciens, naturels, antérieurs aux techniques et laxismes chimiques, nous allions faire un autre retour aux sources, pèlerinage vers l’histoire, à Hautvillers, à l’Abbaye, donc chez Dom Pérignon, le Père Bénédictin révélateur de ce qu’on appela en Angleterre « le vin diable ».

Chez Moët et Chandon, après la pause sous la belle terrasse, sous les grands arbres dominant le paysage de vignoble, toujours flûte à la main, un roboratif buffet nous attendait dans le vieux cellier. En contrepoint du Saran blanc de blanc, bel assemblage de Chardonnay, précédant un rosé propre à nous faire oublier que nous n’avions guère sacrifié à notre culte des vins rouges, Monsieur Bruno DUTEURTRE, chargé de recherche chez Moët et Chandon, nous fit partager ses recherches et découvertes sur la mousse, vertu essentielle et pourtant mal connue du Champagne. Communication savante et passionnante liée à un projet scientifique Eurêka de la Communauté Européenne. La remarquable conception de notre voyage avec les travaux pratiques des dégustations toutes plus belles les unes que les autres, depuis les exposés du C.I.V.C. du matin et les constatations d’exigence et de progrès très réelles, nous amenait donc ici, grâce à Monsieur DUTEURTRE, à une approche encore plus pointue, avec des recherches toujours plus savantes et des moyens appropriés, à une connaissance presque exhaustive et encyclopédique depuis que l’A.I.V., en 1978, avait eu pourtant comme thème « les composants du Champagne ».

Nous allions ensuite nous partager en deux groupes pour visiter alternativement et plus commodément les maisons POL-ROGER et LECLERC-BRIANT, fiefs de nos confrères père et fils, Bertrand et Pascal, et Christian DE BILLY. Deux très anciennes maisons que nous retrouvions avec joie, qui au pied de la célèbre cheminée d’aération de la basse cave, qui au long des cuves de Christian DE BILLY. Tous avec d’égales convictions, Bertrand et Pascal n’achètent guère de raisins – seulement 10% de leur récolte propre totale à leurs administrateurs et à leurs métayers – et restent attachés farouchement à leurs ceps, leurs parcelles, et à leur identité de vignerons et de terriens. Christian DE BILLY, cinquième génération, affirme toujours de son côté avec ses 94% de crus, ses kilomètres de caves, ses cinq années de stock, la prééminence de la qualité sur la quantité, et affirme aussi que le seul secret, c’est la cuvée, son assemblage, avec aussi une volonté décidée de refuser le bois pour sa conduite de vinification en cuves de béton verré depuis 1936, et désormais d’acier vitrifié. Ce sont là des thèmes sur lesquels nous reviendrons avec passion.

Tout au long de cette journée, nous avions presque tous retrouvé des souvenirs. Pour moi, le soir, rejoindre « les Crayères », la grande table de REIMS, où nous devions somptueusement dîner, c’était rejoindre Gérard BOYER au sommet de son parcours, au sommet de sa qualité et du luxe de sa maison. C’était aussi retrouver un cher et lointain souvenir. Gaston BOYER, son père, auprès de qui il avait appris la passion des produits et des fourneaux, m’avait rappelé au téléphone que j’avais été le premier à écrire sur la modeste « Chaumière » des débuts, à REIMS déjà, mais route d’EPERNAY, et à signaler en diverses chroniques la qualité de plus en plus affirmée des deux générations. Je revoyais le chemin très étoilé parcouru, jusqu’à cette superbe maison qu’affine et embellit sans cesse Elyane, épouse de Gérard, qui garde lui, la modestie de son père et l’assurance de l’artiste dans son travail de cuisine.

Avec lui, les trois compères, Christian, Pascal et Rémi, avaient discuté et mis au point le menu à la fois simple et parfait d’exécution que je transcris ici pour donner regret aux absents et quelque poussée d’appétit à vous tous qui m’écoutez : Salade de Homard Breton avec tomates cerises et ratatouille glacée, filet de Saint-Pierre grillé avec petit flan de bouchots souligné d’une courte sauce céleste avec une concassée de tomates et oignons safranés, Grenadin de Veau de lait avec son jus au persil plat et aux truffes avec quelques girolles, puis les plus exacts fromages de la région à leur parfait niveau, Brie, Chaource, Langres et Maroilles, enfin, coquilles de fruits rouges avec glace au miel. Mais notre thème obligé, douce obligation, était encore et toujours le Champagne, et je ne ferai pas injure à Gérard BOYER, non plus qu’aux vignerons, en disant que nos amis Champenois avaient pensé avant tout à leurs vins : le faire-valoir était bien réparti.

Rémi KRUG présentait sa Grande Cuvée, en apéritif puis sur le début du repas. C’est le KRUG essentiel, entre 6 et 10 années, le fin du fin de l’art de l’assemblage, vertical et horizontal, et surtout – nous reviendrons à ce thème – à première fermentation en fûts de chêne. Christian DE BILLY présenta le POL-ROGER 86, la très fine et complète « Cuvée Winston CHURCHILL » avec dominante de Pinot, d’un harmonieux fruité et floral. Deux grands Champagnes de deux grands Champenois aux deux leçons et convictions différentes : le premier, champion convaincu du bois nécessaire et exclusif, le second totalement en opposition. Fausse querelle, puisque nous étions sous le charme des deux. Pascal LECLERC-BIUANT présenta ensuite son beau Rubis 89, vin un peu plus rouge que rosé, lumineux, typique du seul cépage Pinot noir, tout fruits rouges en bouche, avant que Rémi ne revienne en clôture avec son remarquable KRUG Vintage 85 – sur une très petite récolte, la très grande réussite – concentration de tous les plaisirs du Champagne. Notre Président eut tâche facile pour célébrer chacun des vins, chacun des mets, et aussi les accords des uns et des autres, tous ayant touché les sommets et, bon berger de son troupeau, il nous envoya coucher.

Le lendemain, vendredi 9 juin, comme toujours en nos voyages avec un petit manque de temps de sommeil, nous étions prêts à visiter les maisons Charles HEIDSIECK et Louis ROEDERER. Nos hôtes devaient, en nous accueillant, traiter chacun un thème. Ne nous étonnons pas si chez ROEDERER, on tenait à nous parler de la valeur du vignoble maison et de la conservation des vins de réserve sous bois. Ce sont les marques de la maison. Depuis deux siècles déjà, ROEDERER a bien équilibré ses vignobles par tiers entre la montagne de REIMS, la vallée de la Marne, la Côte des Blancs, avec 97% de crus. Pour Jean-Claude ROUZAUD, c’est la base absolue, et dans chaque cuve le cru et même les lieux-dits sont identifiés. Peu de caves sont aussi impressionnantes, avec en plus cette sorte de Saint des Saints, la cave des vins de réserve, « le trésor », avec ses foudres sculptés. Ici, en politique inverse des KRUG, qui entonnent leurs jus immédiatement dans les petits fûts de chêne de 205 litres pour la fermentation, ici clone, si on prône et conserve la tradition du bois, ce sont les vins de réserve qui sont gardés et vieillis sous bois, et non l’inverse, pour entrer dans les cuvées d’assemblage.

Tous les paramètres sont maîtrisés, température, hygrométrie, dans ces caves soigneusement isolées, et pour ce qui est des fûts neufs, on les affine, le tanin devant être totalement exclu. Au passage et au détour d’une autre cave de stockage, nous devions nous étonner devant deux mille « mathusalem » en bouteille à fond plat, du « Cristal » de millésime 1990, sur lies, qui sera dégorgé en 1998 pour célébrer… l’an 2000 ! Le vin est toujours une admirable synthèse du passé lointain ou proche, et du futur. Après la cave, la salle des cuves, Jean-Claude ROUZAUD, petit-fils ROEDERER, allait continuer de répondre à nos questions dans le grand salon aux documents, photos, lettres, historiques et impressionnants. Et nous commenter une dégustation du vin de base 1994, à 2/3 de pinot noir et 1/3 de Chardonnay. Tout aussi impressionnants les 93 et 90 allaient suivre, et le 88 avec quatre ans sous bois, pour confirmer la leçon de maturation que cherche toujours ROEDERER.

Travaux pratiques? Approche toujours plus pointue et sérieuse, en cette visite pleine d’enseignements. Nous allions nous rassembler ensuite chez Charles HEIDSIECK, où Daniel THIBAULT, Chef de Cave, nous assura une dégustation tout à fait propre à illustrer le thème développé ici : « l’assemblage et le style de la marque ». Les cépages, les crus et les assemblages pour arriver à Piper HEIDSIECK et Charles HEIDSIECK. Il soulignait, comme ses vins eux-mêmes, que le Champagne n’est pas monolithique et disait : « Nous sommes des éleveurs, de moins en moins des œnologues, et nous parlons de « mature » plus que de vieillir en cave ». Tout cela, et aussi tout dans nos verres, impliquait plus que des nuances, des convictions que nous retrouvions partout au long de ce voyage, et au cours du repas qui suivit, toujours chez Charles HEIDSIECK.

L’HEIDSIECK « blanc des millénaires », de 1983, qui me parut bien l’expression la plus significative des Chardonnay puis le Brut réserve, demi-sec, propre, huit ans après dégorgement, à redresser l’image habituellement bien négative du « demi-sec », permirent tous deux à Jacques PUISAIS de jouer des interactions vins/mets, en particulier sur les fromages régionaux, et sur l’assiette « tout chocolat », en remerciant Daniel THIBAULT de ses démonstrations d’esthétique du vin, alors que Jean-Pierre PERRIN le loua d’être encore plus éleveur passionné qu’œnologue spécialisé. Pour ma part, je voulus saisir l’occasion d’avoir à même table les quatre protagonistes d’un débat que nous avions vu s’ouvrir et se préciser, chacun à priori totalement différent, sinon même opposé dans ses convictions, et tous quatre faisant in fine les plus beaux Champagnes. Alors puisque vous êtes réunis avec nous, Christian DE BILLY, Rémi KRUG, Pascal LECLERC-BRIANT et Jean-Claude ROUZAUD, expliquez-nous vos convictions, entre vos choix ou exclusions : cuves, pas cuves ; bois, pas bois ; cuves d’abord, bois en fin de course ; ou bois pour vins nouveaux … Je ne sais si le débat fut tranché. Il le sera peut-être de façon plus poussée lors du prochain Symposium de l’A.I.V., que nous voulons consacrer au bois, justement. Pourra-t-on en tirer leçon définitive?

* En tout cas, pour Christian DE BILLY, c’est simple, et il ne s’encombre pas de recherches, c’est fini, plus de bois, plus de bois, la cuve, toujours, et pour les vins de réserve. Certes, il n’a pas eu la cuverie de ROUZAUD, mais cela aurait-il changé ses convictions et ses choix ? Il est venu aux cuves en 1938. Il y croit, tout simplement, foi de charbonnier, et conforte sa position sur ses grandes bouteilles.

* Rémi KRUG est passionné de bois. Elément de vie, d’échange, comme le jus du raisin lui-même. Les grands vins de Champagne ont besoin du bois, peuvent s’exprimer au mieux avec le bois, ont besoin du bois pour cela. Et encore plus assurément dès les premières fermentations, bien sûr, surtout pas pour faire du boisé, mais pour assurer un bon phénomène de respiration. Par contre, jamais en réserve avec le bois, parce qu’il cherche à garder de la fraîcheur aux vins de réserve qui s’arrondissent et mûrissent en gardant cette fraîcheur.

* Jean-Claude ROUZAUD, obsédé à bien juste titre, par une extrême propreté est pour cela et à la base, favorable à la cuve, mais il a voulu pour les vins de réserve renforcer le bois et son utilisation parce qu’il est convaincu que l’élevage se fait là, à ce moment-là, et que « quelque chose se passe, qui mûrit le vin ».

* Pour Pascal LECLERC-BRIANT, il avait au départ des cuves de béton verré, et comme il assurait toujours la vinification séparée de chaque parcelle, il voulut éviter le bois afin de ne pas gommer l’expression individuelle de ses vins, et choisit de conserver les vins en cuves pour préserver l’expression du terroir. Pas de motion de synthèse, sinon dans la beauté de chacun de leurs vins. Chacun campe sur ses positions. « A ciascuno la sû verita », à chacun sa vérité, eût dit PIRANDELLO, et l’interprofession Champenoise tient à préserver cette diversité dans la qualité parce qu’a près tout, elle rassemble plus qu’elle ne sépare. Je le répète, ceci aura des échos prolongés, plus poussés, sinon une synthèse, l’an prochain à l’Académie dans nos travaux prévus.

Nous allions aborder ensuite un autre aspect non négligeable du Champagne avec la vie coopérative, à CHIGNY-LES-ROSES. C’est le Président Jacky BRUGGINI qui nous fit un bref exposé sur le système coopératif Champenois, et sur la place de la coopérative de CHIGNY-LES-ROSES dans cet ensemble, qui rejoignait les explications de Madame PERNOT, au C.I.V.C., sur les centres de pressurage agréés. On en voit, avec une organisation spécifique quasi vigneronne au départ, l’application efficace en regroupement, avec un très profond esprit d’équipe, montrant bien – comme notre Chancelier Jean-Pierre PERRIN en fit compliment – que tout se retrouve : coopération, et vignoble, et négoce, ad majorem. Encore à CHIGNY, c’est un pur vigneron que nous allions retrouver, au Clos du Moulin, avec Jacques CATTIER.

En 1952, le père de Jacques CATTIER fut un précurseur des « cuvées spéciales » : sélections de sélections qui furent les porte-drapeaux des vins de Champagne. Il y avait eu un moulin et un clos autrefois. Le clos est toujours là, témoignage historique pour un vin noble. Notre idéal. La visite fut trop brève, même pour observer la plantation des « vignes en foule », c’est-à-dire plantées un peu n’importe comment et par marcottage, une curiosité, mais elle nous permit surtout de contempler le vignoble clos, déjà mentionné sur la célèbre carte de CASSINI, et d’en apprécier la très belle cuvée, avec ce Clos du Moulin, assemblage des millésimes 83, 85, 86, moitié Chardonnay et moitié Pinot noir, jaune doré à reflets verts, très équilibré.

Départ hâté pour REIMS, un tout petit trop peu de repos… et en route vers le Golf de REIMS, à GUEUX, pour un « dîner blancs de blancs » au Château des Dames de France. Ce dîner sympathiquement rustique proposé par Alain GUICHAOUA permit, en situation, à ce récital de blancs de blancs, de se dérouler sans fausse note : Pascal LECLERC-BRIANT proposa d’abord sa nouvelle cuvée, 91/92, dont la fraîcheur nous remit en selle dès l’apéritif. Rémi KRUG nous présenta son précieux et rare Clos du Mesnil. Cela deviendra comme une grande œuvre classique : complètement clos sous l’église de MESNIL-OGER, maintenant comme enserré et protégé dans le village, les KRUG sont restés secrets et silencieux pendant deux décennies sur cette propriété et son évolution, avant d’affirmer avec ce 85 la beauté et la réussite de ce vin d’unité : un seul lieu, un seul cépage, un seul millésime. Au contraire, ou plutôt en complément exceptionnel de ce qu’ils font habituellement. Après ce rare 85, très vivace, exubérant même, le 82, plein, riche, fondu et fin en même temps que long en bouche ; deux vins précieux qui furent pour beaucoup belle révélation.

Notre dernier jour en Champagne nous rassembla sous les voûtes de la Cathédrale de REIMS, sous la bénédiction souriante des sublimes statues et puis nous terminâmes notre véritable cure de Champagne, cure ou récital prolongé, chez les KRUG. Quelle Famille! Six générations qui aboutissent désormais à Olivier, continuateur à venir de ses père et oncle, Hemi et Rémi, et de son grand-père, qui nous recevaient tous avec autant de juste fierté que de modestie : « Nous sommes une goutte d’eau dans l’océan! ». Les KRUG, je les ressens comme les piliers de la sagesse. Ils disent avoir deux métiers, transformateurs de raisins, et un peu artisans industrieux. Ils créent un style inimitable. Bien sûr, personne ne pourrait s’étonner de trouver chez eux un parc de fûts de chêne. Ce style KRUG, ce goût de KRUG, légèrement toasté, brioché, provient de la fermentation sous bois, avec une constance de raffinement qui ne recherche bien sûr pas le goût de bois et fuit les tanins, mais qui est plus que la marque, qui est la signature de cette étonnante famille, de cet accord de trois générations qui œuvrent, goûtent, confirment, et signent.

Ce fut une extraordinaire dégustation KRUG, préparée soigneusement en couples rassemblés de vins de collection : 1981-1982, 1961-1962. Toutes les typicités étaient exaltées. Tout était à la fois quintessence de personnalité et magnifique fondu. Le millésime, et plus encore comme ici jusqu’aux plus magnifiques, est à la fois expression d’une année, et celle du « mariage KRUG », à la fois façon, art de faire, et, encore une fois et toujours, le style. C’était une apothéose, tout à fait, et notre Président put remercier et exalter la qualité d’une famille que l’on retrouve si bien dans son vin. Dans nos visites, nous avons bien pu sentir ce qui fait le ciment et la qualité irremplaçable de la Champagne, faite à la fois d’authentiques vignerons et d’un négoce qu’ailleurs on pourrait discuter et décrier mais qui est dans une même authenticité, lorsqu’il est représenté par de tels mainteneurs d’exigence et de tradition que ceux qui nous y ont reçus.

Le déjeuner d’adieu se fit à la maison du Vigneron, à SAINT YMOGES, bien sûr encore et toujours exaltation du Champagne. Après la dégustation verticale de la veille chez les KRUG, nous eûmes une dégustation horizontale des LECLERC-BRIANT : LECLERC-BRIANT les Crayères en apéritif, LECLERC-BRIANT Clos des Champions sur le croustillant de Coquilles Saint-Jacques, LECLERC-BRIANT les Chèvres pierreuses, toujours Cumières, sur les fromages, un récital, un festival, que vint clore en final un POL-ROGER millésimé 88 magnifique. Nous ne pouvions plus que rendre grâces. Demander grâces aussi. J’en connais qui révèrent d’un improbable verre de vin rouge après une telle cure de trois jours! Mais quel éblouissement surtout. J’en garde aussi qu’on croit toujours tout connaître d’un vin merveilleux mais simple que serait le Champagne. Mais on découvre toujours plus, et mieux, en Champagne et chez les Champenois. On croit que tout y est simple unité, comme s’il s’agissait après tout d’un même vin à effervescence !

Et pourtant, quelle richesse, quelle diversité. Que de beautés. Un seul vin et déjà trois cents crus. C’est comme si on pouvait risquer d’oublier de dire que le Champagne c’est du vin. Et quel vin! Merci à vous tous les Champenois qui vous êtes dévoués à nous laisser ce grand souvenir pétillant, autour de nos chers Confrères Christian DE BILLY, Pascal LECLERC-BRIANT, mon filleul Rémi KRUG, qui ont su tous les trois avec vous tous, cristalliser en parfaite réussite ce voyage A.I.V. millésime 95 dans notre beau pays.