Au mois de juillet, je suis allé faire du vélo dans le Frioul avec des amis. Très vite,  nous avons été étonnés devant la qualité remarquable de la cuisine et des vins. Quand je dis étonné, je veux dire que tout était très bon, même dans des petits restaurants de bord de route. Le vin au pichet fut la plus grande surprise : à prix plus que raisonnable (10 à 15 euros), nous avions des cabernets francs et des merlots qui étaient délicieux. Des vins de soif, mais aussi des vins de plaisir. Il fallait beaucoup de sagesse et de discipline pour ne pas commander une carafe de plus. Un de mes amis me posa alors la question suivante : «Toi qui fais partie de l’AIV, qui parle de vin vrai, de vin noble, quelle réflexion as-tu sur ce que nous buvons ? » Ma réponse fut : « Ces vins me font penser à de beaux primeurs provenant de bons terroirs, bien vinifiés par quelqu’un qui doit aimer le vin » Un mois plus tard, je suis passé voir notre chancelier à qui j’ai raconté mon aventure. Jean-Pierre m’a encouragé à rouvrir avec vous aujourd’hui la discussion sur le vin vrai et le vin noble. J’ai essayé de relire la définition de ces deux notions :

– Vin vrai : vin qui reflète son terroir, son cépage, son origine et peut-être son vinificateur

-Vin noble : origine historique, provenance reconnue, terroir exceptionnel.

Je reprends le texte de notre ami Victor de la Serna en 1999. Victor parlait de l’invasion de cépages étrangers en Espagne, principalement de cépages français. Il disait : « Il y a là peut être matière à réflexion pour l’Académie, qui s’oppose à juste titre à l’uniformisation de la viticulture mondiale. Il reste pourtant la question des régions possédant des terroirs à l’excellent potentiel, mais qui se voient affublées, pour des raisons historiques, d’un encépagement de basse qualité. Ce fut le cas du Languedoc-Roussillon, c’est encore le cas dans les hauts-plateaux castillans». Je rejoins Victor dans cette réflexion et pense que c’était sûrement le cas du Frioul.

Pour faire un peu d’historique sur l’évolution du vin de l’ancien monde, dans les 50 dernières années, il me paraît nécessaire de rappeler qu’en 1950, à part de rares exceptions, le vigneron était pauvre. On oublie trop souvent qu’il était un agriculteur travaillant très dur pour tirer de sa vigne de quoi nourrir sa famille. Son rêve était de pouvoir payer des études à ses enfants pour qu’ils puissent faire un autre métier. Il n’y a donc pas si longtemps que l’on ose se poser la question de la « vérité » d’un vin. Nous avons vécu un changement d’attitude chez un grand nombre de producteurs. Une ambition qualitative est née.

Elle a amené à réduire les rendements, à respecter les sols et parfois, dans des régions ne jouissant pas d’une reconnaissance historique, à un ré-encépagement partiel ou total ; parfois avec des cépages locaux et parfois avec ces cépages dits «internationaux». D’où la question : ces gens ne font-ils pas des vins vrais ? Quelles seraient d’éventuelles alternatives? Le rôle du vigneron n’est-il pas, entre autres, de faire le meilleur vin possible ? Ainsi se présente l’ancien monde avec une partie du public qui l’accepte, mais aussi une autre partie qui le critique. On parle de standardisation, de mondialisation, d’uniformisation et même parfois de «perte de son âme». On peut aussi considérer que c’est le poids de l’histoire. Le cas du Nouveau Monde est bien différent. Il est souvent critiqué pour son absence de tradition, son climat inadapté et, bien sûr, sa commercialisation excessive. Par contre, tout le monde accepte l’idée qu’il utilise des cépages « internationaux», puisqu’il n’y a pas de cépages autochtones. D’un côté nous avons les pépiniéristes français qui vendent, sans le moindre problème, du Riesling à des vignerons du Nouveau Monde. Il y a aujourd’hui des centaines de milliers d’hectares de Riesling hors de France. Au même moment, nous avons le domaine de l’Aigle qui, dans l’Aude, plante un demi hectare de Riesling pour expérimentation. Il s’attire immédiatement les foudres de la profession et de l’administration, est obligé d’arracher, se retrouve avec des difficultés financières et, dégoûté, finit par se vendre.

Je ne peux pas résister au désir de rappeler les propos d’un de nos membres fondateurs : Pierre Galet. Dans les années 50, il s’était battu pour défendre et la qualité et une certaine liberté liée à une responsabilisation de chacun. Malheureusement il n’a pas été écouté. Voici ses paroles : «Pour les cépages de qualité, j’avais suggéré d’établir une liste nationale, en laissant la liberté à chaque viticulteur de faire son choix en fonction de ses objectifs…J’ai personnellement  toujours regretté que les bons cépages de qualité ne soient pas autorisés sur l’ensemble du territoire, afin de laisser à l’initiative privée des possibilités d’expérimentation, permettant de rechercher de nouveaux types de vins. Il est tout de même anormal qu’on interdise aux Français de planter ces cépages de qualité et que par ailleurs on exporte des boutures ou des greffés-soudés de ces même variétés pour les planter dans d’autres pays viticoles

« Cette liste nationale pourrait comprendre :

En blanc : Chardonnay, Pinot blanc et gris, Chemin, Riesling, Gewurztraminer, Melon, Sémillon, Sauvignon, Clairette, Furmint, Roussane, Viognier, Aligoté, Savagnin.

En rouge : Pinot noir, Meunier, Gamay noir, Cabernet franc, Cabernet-Sauvignon, Cot, Merlot noir, Grenache, Syrah, Mourvèdre, Cinsaut, Poulsard. […] »

Ces phrases ont été écrites par Pierre Galet en 1968. Etait-il révolutionnaire, visionnaire ou tout simplement plein de bons sens libéral ? Souvent critiqués pour la complexité de nos appellations, nous ne sommes guères ouverts à la moindre évolution. L’ami Pierre-Henri Gagey l’a fort courageusement expliqué ici il y a 2 ans. Nous l’avons écouté, mais les vignerons bourguignons ne l’ont pas entendu et bloquent toute réforme. Nous avons aussi tendance à considérer que tous les terroirs, grands ou petits, font partie de notre ancien monde. Cela est digne de l’arrogance de certains chefs d’Etat! Il y a indiscutablement des industries du vin en Californie qui sont peut concernées par le terroir. Mais il y a aussi des vignerons, comme nos collègues Paul Draper et Josh Jensen, dont on ne peut ignorer la longue démarche à la recherche de terroirs. Ils ont indiscutablement réussi à faire de grands vins, fruits d’un terroir, d’un cépage, d’un climat et de passion. Il me paraît évident que les membres de l’Académie aiment le vin. J’ai aussi le sentiment qu’en voulant défendre le vin vrai, le vin noble, nous avons tendance à défendre les AOC historiques ou mythiques, mais, comme le disait Victor, nous fermons la porte au progrès dans les régions qui n’ont pas la chance d’avoir des cépages intéressants.

Je prendrais comme exemple mon cas dans le Var. Je me suis retrouvé avec une propriété où il y avait avant tout Cinsaut, Ugni Blanc, Alicante, Carignan. Il y avait aussi un peu de Syrah et de Cabernet- Sauvignon. Je ne conçois pas de produire des vins que je n’ai pas envie de boire. Après de nombreux essais, je vinifie aujourd’hui avant tout du Viognier qui se plait beaucoup sur notre sol, et un assemblage de Syrah, Cabernet-Sauvignon et Merlot. J’ai perdu l’AOC, mais je fais des vins qui me font plaisir et dont je suis fier. Est-ce que mon vin n’est pas vrai ? Passion et immobilisme ne sont pas synonymes. Il y a les AOC historiques qui peuvent en principe progresser dans le cadre de la loi. Et il y a les autres, dont les règles ont été figées par des technocrates dont la passion est plus la paperasserie que le vin ( l’immobilisme est aussi le choix de beaucoup de vignerons). Pour ces AOC, un peu de libéralisme, comme le proposait Pierre Galet, serait sûrement utile. J’ai voulu rouvrir ce dossier car je pense que l’Académie peut aider à progresser vers plus de vins de qualité. Je pense que nous devrions élargir notre vision à défendre non seulement les vins « nobles », mais aussi nous pencher de temps en temps sur les vins « vrais. » Il est important que nous nous intéressions à ces vins un peu moins traditionnels mais qui, faits avec passion, peuvent faire vivre le vigneron. Je vous remercie de m’avoir donné un peu de votre temps.